Prier, réfléchir, agir - 1
Je
reprends cette relecture de méditations vieilles de plus de 30 ans. Une façon de constater la continuité d'idées fortes. Une existence n'est qu'une seule ligne que l'on creuse (ou que l'on
néglige d'approfondir).
Avec cette première semaine d'août, je reprends ce que je considère être à la base de mes réflexions sur l'Action catholique. Comment peut-on voir et agir selon l'Evangile quand il n'y a pas un minimum de contact avec le Transcendant dans la prière, la contemplation, la lecture méditée de la Parole ?
Je dis "reprends", car, plus haut, d'une certaine façon, je me suis déjà exprimé à ce propos. Mais voilà, suis-je bien objectif ? Ce que j'écris n'est-il pas que le fruit de mon imagination ? Où sont les racines évangéliques de mon propos ? Où sont les fondements bibliques ?
Je veux répondre le plus clairement possible à ces questions, moins pour une satisfaction intellectuelle personnelle que pour un enracinement plus grand dans la Parole. Le résultat de ma recherche est une bien simple étude de l'Evangile selon Saint Luc et des Actes des apôtres ; étude qui n'expose aucune nouveauté mais me renforce dans le primat à donner à la prière dans toute vie chrétienne.
Cette étude d'Evangile se voudrait entièrement gratuite, c'est-à-dire objective. Il est pourtant possible de se demander si je n'essaie pas de tirer la couverture à moi, si je ne cherche pas, d'une façon ou d'une autre, à me justifier. C'est généralement ce qui se produit quand, ayant une idée en tête, on cherche à voir si elle se trouve dans l'Evangile. Enfin …
Donc, depuis quelque temps, je dis que les mots Prier, Réfléchir, Agir résument l'ensemble de l'attitude chrétienne. Je me demande si ce "trinome" n'englobe pas plus parfaitement la vie du disciple de Jésus-Christ que cet autre, largement traditionnel, de "voir, juger, agir". En fait, ces deux résumés de l'existence ne se contredisent pas, malgré ce qui pourrait apparaître;
"voir" et "juger" ne sont-ils pas contenus dans "réfléchir" ? Seulement, la formulation que je choisis me semble mieux exprimer l'ensemble de la vie du disciple de Jésus-Christ, du chrétien. Elle est plus globalisante. Nous verrons.
Je vous invite alors à me suivre dans cette relecture de la Parole pour y détacher ce que l'évangéliste Luc a écrit à propos de la prière de Jésus et des disciples en vue d'une action. Sous forme de conclusion, j'indique, une fois de plus, pourquoi il me semble important d'enraciner notre action dans la prière. Et, puisque notre action veut coller au réel, le "voir" et le "juger" suivront nécessairement.
Jésus-Christ
1 - La prière du Christ.
Suivons l'Evangile selon Saint Luc où il est question de la prière de Jésus. nous y relevons les passages où i est question de la prière de Jésus.
1.1 Voyons d'abord les situations où il est vu en prière.
Ce peut être au milieu d'une foule, à la suite d'un acte religieux, comme le baptême donné par Jean :
" Or, comme tout le monde était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait ". Luc 3, 21.
Ce peut être dans la solitude d'un désert où Jésus "se retirait" pour prier (5, 16). Il en a l'habitude. Le temps des verbes : "il se retirait", "il priait" indique que cette attitude priante s'est souvent reproduite dans la vie de Jésus. Personne n'est étonné de le voir prier "à l'écart" (9,18), éloigné d'un jet de pierre des apôtres (22, 41), "dans la montagne" (6, 12 ; 9, 28 s), dans un lieu solitaire.
Les disciples qui le voient ainsi osent le déranger pour l'interroger (9, 18). C'est une preuve du caractère ordinaire de sa mise en situation de prière. Il arrive même à Luc de ne pas trouver utile de préciser l'endroit exact de sa prière. Jésus est "quelque part en prière" (Luc 11, 1).
Enfin, Jésus indique au cours de ses conversations qu'il a prié pour les siens (22, 32). Qu'a-t-il dit ? Qu'a-t-il demandé au Père pour que la foi de Pierre - et des autres - ne disparaisse pas ? Si Luc n'a pas osé divulguer le contenu de cette prière du Messie, Jean le fera. Au Chapitre 17 du Quatrième Evangile, nous avons la formulation de la magnifique prière que Jésus, "se concentrant dans le mouvement qu'il porte vers Celui qui est dans les cieux", adresse au Père pour ses apôtres, pour ses amis, pour tous les hommes.
1.2 En d'autres lieux, Luc nous donne le contenu du dialogue de Jésus avec le Père. Il nous arrive de pénétrer la prière de Jésus.
Sous l'action de l'Esprit-Saint, Jésus exulte et dit :
"Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout petits " (Luc, 10, 21).
Les autres prières explicites du Seigneur sont présentées dans le contexte de la Passion. Au Mont des Oliviers, il prie le Père d'écarter de lui cette coupe, puis se ravise : que ce soit ta volonté qui se réalise (22, 41 s). Juste avant de mourir, il demande au Père d'accorder son pardon à ceux qui le crucifient (23, 34) et, alors que tout est fini, il exprime son don total en priant avec le psaume 31 :
"Père entre tes mains je remets mon esprit" (23, 46).
Nous avons certainement remarqué les nombreux usages du mot "Père".
Toutes les prières de Jésus, y compris le verset 6 du psaume 31, sont introduites par une invocation au Père (10, 21 ; 22, 42 ; 23, 34). C'est que, tout au cours de sa vie, Jésus a été voué aux affaires de son Père ; c'est chez lui qu'il doit être, comme il le dit à ses parents alors qu'il a douze ans (2, 49), et c'est à lui qu'il se donne (23, 46).
1.3 Jésus prie
Par sa prière même, par l'expérience qu'il a de la référence priante au Seigneur Invisible, Jésus est une invitation à prier, un modèle de prière.
c'est parce que les disciples le voient en prière, qu'ils lui demandent :
"Seigneur, apprends-nous à prier " Luc 11, 1
Et c'est parce que Jésus est un homme ayant expérimenté la difficulté du dialogue avec le Tout-Puissant, que les siens acceptent d'être secoué dans leur paresse et lourdeur à prier.
La prière ~ Géthsémanie montre bien que celle-ci est difficile ; c'est un combat, comme le dit le mot grec agonia (22, 41 s). Aussi, tout en ayant confiance, tout en se maintenant dans l'attitude filiale, il convient de lutter, d'insister courageusement.
Par sa vie, Jésus donne donc un enseignement sur la prière. Il prie et invite à prier pour les ennemis (6, 28), pour la venue du règne (10,2 ; 11, 2). A l'aide de paraboles, il indique le devoir d'insister. Parabole de l'ami qui se laisse fléchir (11, 5 - 8). Parabole du juge qui se fait prier longtemps (18, 1 - 8). Enfin, quiconque demande reçoit (11, 9 - 13).
Je signalai plus haut que Jésus secouait les apôtres. Nous le voyons au cours de la prière au Mont des Oliviers. Le moment est grave. Le Fils de Dieu est en prise avec la tentation et ses amis ne prient pas
" Quoi! Vous dormez 1 Levez-vous et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation !" (22, 46 - 40).
Autrement dit, si vous ne priez pas, comment allez-vous être soutenus dans la tentation ?
Oui, la prière est nécessaire. Comme le Maître a prié, ainsi doivent prier les disciples. Et le temple, lieu terrestre de la référence à l'Absolu, ne peut être
qu'une maison de prière (19, 46).