Restauration d’une dogmatique ecclésiale
Régime des certitudes contre régime des témoignages
Voulons-nous une connaissance essentielle ou une connaissance existentielle du sens de la vie ?
Je pense que depuis toujours l’esprit humain oscille entre ces deux tendances. Soit, on met l’accent sur les définitions du mystère de l’être divin et de ses créations, dont l’homme : soit, on considère avant tout le vécu existentiel. Dans le premier cas, on baigne dans la certitude, dans l’autre on s’évertue à la recherche du vrai. Théologie dogmatique contre théologie spirituelle. « La dogmatique "ecclésiale", écrit C. Théobald, est sans cesse attirée par le projet d’un ecclésiocentrisme englobant. Or, elle doit compter aujourd’hui avec la multi-appartenance des sujets et leur difficulté à unifier leur vie. Va-t-elle se rendre naïvement complice de leur tentation de chercher cette unité dans une simple conformité à la loi du groupe ecclésiale ou saura-t-elle les conduire vers le mystère absolument singulier de leurs existences ? » ( voir : Le christianisme comme style)
Jacques Lagroye aborde à sa façon, celle du sociologue et militant chrétien, cette question dans ses contestations et restauration d’un régime d’autorité, la vérité dans l’Église catholique. L’Église institutionnelle privilégie désormais la connaissance abstraite de Dieu, ses définitions, alors que le monde est en attente de témoignages vécus qui montrent le bienfait de tel ou tel engagement. Théologie cognitive contre théologie pratique. Théologie descendante : que Dieu nous dise sa vérité, contre théologie ascendante, théologie spirituelle où l’homme, conscient de l’impossibilité de nommer Dieu, partira de « l’expérience du sujet et de son sentiment “océanique” pour donner sens au terme même de Dieu et pour repérer dans le langage spirituel le travail de ce qui le dépasse infiniment. »
Il me semble que ces simples mots : certitude contre recherche, suffisent pour résumer et donner un cadre à l’actuelle crise de l’Église. Alors que les uns, “les anciens”, veulent la connaissance de la société pour y apporter avec des mots actuels, le témoignage de l’amour miséricorde, les autres, “plutôt les jeunes”, veulent l’affirmation d’une vérité non discutable.
« Ceux qui proposaient hier d’autres voies, et donc d'autres risques, vieillissent et meurent, perdent leurs positions d'autorité au profit de plus jeunes qui ne les entendent plus ; inévitable renouvellement, mais dont les effets commencent seulement à se faire sentir », écrit Jacques Lagroye.
« Ce que nous avons tenté de montrer, au-delà de ce constat, c'est que la conception du rapport à la vérité, jouant dans l'institution comme principe de rationalisation des pratiques, et légitimant la hiérarchisation effective des rôles, donc aussi l'exercice du pouvoir que confère l'autorité, est au cœur de ce qu'on appelle aujourd'hui “la crise”. La virulence des conflits sur cette conception… résulte inéluctablement des contradictions que les catholiques vivent quotidiennement, mais que pour diverses raisons certains s'efforcent de nier et finissent par ne plus percevoir, tandis que d'autres en sont irrémédiablement affectés. L'Église est, de ce point de vue, une institution où s'affrontent des formes inconciliables de l'utopie religieuse. Ce que tentent de réaliser nombre de catholiques que nous avons lus, observés ou écoutés, c'est un bricolage instable de ces conceptions ; un théologien, qui en était conscient, percevait ces tentatives comme une expérience collective de l'“écartèlement sur la croix” que l'Église et tout chrétien, à l'image de leur fondateur et de leur Dieu, doivent nécessairement faire. Pour moi, en tant que chercheur en sociologie, j'y vois le point nodal des oppositions entre deux grandes représentations du rapport à la vérité, typifiées ici en régime des certitudes et régime des témoignages. La restauration du premier, surtout quand elle est dissimulée par des aménagements partiels, esquisse la possibilité d'une “sortie de crise” ; que cette possibilité se réalise ou pas dépend de multiples facteurs qu'on ne saurait envisager tous ; s'en inquiéter relève d'un souci de prévision que la sociologie est bien incapable de satisfaire ».
Christianisme comme style
Ce sont nos modes de vie imprégnés d’Evangile, plus que les définitions dogmatiques, qui apportent aux personnes de notre entourage le sens du Christ. La lettre des évêques aux catholiques de France (1996) l’exprime très bien. J’ai eu la joie de retrouver ce texte sur le site d’une Eglise lyonnaise, celui de la paroisse de l’Esprit-Saint des portes de Lyon.
A lire, relire et approfondir avec d’autres.