Une œuvre qui serait la métaphore de ce que pourrait être la vie sur terre
Robert Arnoux dans les jardins de Séricourt, du 1er juin au 30 septembre 2012
Hymne à l'amour
Brigitte Camus :
Au fil de notre promenade artistique dans les jardins de Séricourt en compagnie des sculptures de Robert Arnoux, bonheur, langueur et stupeur nous étreignent avec intensité. Les statues ne sont ni posées, ni en représentation, elles habitent ici, elles déambulent, elles vivent dans ce jardin, elles ne sont pas objets, mais métaphore. Elles ne sont pas des fantômes ou des symboles, mais des archétypes de l’amour qui prend son apothéose en osmose avec l’un des plus beaux jardins de France perdu au bout du monde dans un paradis qui n’est pas perdu, mais, au contraire, accessible à tous. Entre ombre et lumière, entre buis taillés et herbes folles, entre sages clairières et arabesques savantes, entre lupins en érection et coquelicots en folie, au pied d’arbres centenaires, les épousailles de l’art et de la nature nous incitent à nous abandonner à cet hymne à l’amour qui prend plusieurs visages et se dévoile au gré de rêveries, d’audaces et de mystères. Car, ici, rien n’est visible au premier regard.
Robert Arnoux croit en une forme d’universalité qui transcende les univers, les barrières entre les époques et les arts ; c’est pour cette raison qu’il inscrit son aventure artistique dans un continuum, puisant aussi bien dans l’art rupestre, l’art égyptien que dans l’art roman, le gothique, l’art sacré. Il « communie » avec le roi Salomon et la reine de Saba, les vierges à l’enfant, et les fresques de Fra Angelico. Si sa filiation artistique le rapproche de Moore et Brancusi, c’est aussi un admirateur fervent de grands sculpteurs actuels, tels Christian Lapie, Denis Monfleur, Jaume Piensa et Florence de Ponthaud-Neyrat. Il aboutit à l’ascèse et à l’épure faisant fi de toute époque et de tout enfermement pour cheminer vers l’élévation. Aussi ses statues sont-elles vigies, figures de proue, âmes chevillées au corpus de la pierre et de la chaux et au corps de la passion… Vierges blanches ou noires, totems hiératiques face aux tornades existentielles, elles défient le temps avec leurs étonnantes scarifications qui sont autant de « cicatrices » sur une « peau » faussement lisse.
Ainsi le couple, l’amour paternel et maternel, l’amour de la nature, l’amour au monde et l’amour divin, sont-ils embrassés par Robert Arnoux dans un même élan pour mieux nous embraser.
L’artiste puise son fondement dans des sources vives enfouies, et jaillissantes. Nos premiers pas nous guident dans le jardin Renaissance crée par Yves et Guillaume Gosse de Gorre où la statue du sculpteur-une commande des paysagistes pour ce lieu-ouvre les mains en offrande à la vie pour défier la pesanteur. Cette silhouette blanche cristallise en milliers de cristaux de roche nos peurs et nos espérances. Au cœur de ce jardin, des petites fontaines sur un sol recouvert de cailloux gris symbolisent le côté sombre de la société. Une table provenant d’une tannerie (derrière la statue), la pierre d’une ancienne citerne, une auge sont autant des témoignages que des traces de la beauté du labeur mis à l’honneur en guise de préambule.
Le couple, la famille… déclinés par Robert Arnoux (Les amants de Sebourg, le baiser, la promenade… s’installent en ce jardin dans leur demeure naturelle : dans la chambre de l’amour, la chambre jaune ou la cathédrale de roses, points culminants du parcours. Comme si ces statues étaient là depuis toujours et pour toujours. Car ce qui relie l’artiste à la nature s’exprime également par sa technique de fresque sublimant les captations de lumières, différentes à chaque heure. À la nuit tombante, certaines statues sont nimbées d’une lumière quasi surnaturelle, au solstice d’été, elles irradient de blancheur. Les terres naturelles, chaux, poudre de marbre, utilisées par l’artiste, se transforment en calcaire polychrome, accentuent ce rapport tellurique de l’artiste avec l’environnement, ce, d’autant plus que les statues n’ont pas de socle : leur socle c’est le jardin. La lumière et la matière magnifiées par ce parti-pris inscrivent les sculptures dans le cycle de la nature.
Pour autant, Robert Arnoux sait nous signifier que nous devons aussi lutter :
Dans le jardin guerrier où l’inquiétude prend le pas sur la luxuriance, il ne s’agit plus de s’étreindre, mais de se battre pour pouvoir continuer à tenir debout et à aimer. Les 3 statues sont debout face à la violence du monde et à celle qui nous habite, elles résistent aux forces destructives. Elles sont les pythies de l’amour et nous aident, avec une autre silhouette noire campée plus loin, à franchir le Styx à l’orée de l’allée de l’infini qui termine le jardin guerrier. Comme pour nous signifier que la guerre ne mène à rien. Cette passeuse des âmes, sentinelle noire nous attend, tel Orion, pour nous mener vers d’autres mondes.
Et c’est précisément à ce moment, à la fin de cette promenade, que nous pouvons peut-être comprendre pourquoi et comment cet amour et cette passion dépassent l’artiste. Robert Arnoux et Yves Gosse de Gorre, par leur volonté d’aller au-delà de l’affirmation de soi et par leur art de la mise en scène de ce qui est invisible et intemporel, ont crée une autre œuvre, qui n’est ni les sculptures, ni les jardins.
Cette œuvre commune qui invente un autre monde pour le futur est la métaphore de ce que pourrait être la vie sur terre. Cette œuvre échappe aux artistes : aucun musée ne peut l’accueillir ; cette œuvre commune ne porte pas de signature sauf celle de l’infinitude de l’amour.
Brigitte Camus
Directrice de collection aux Éditions Le Livre d’Art