Vie d’ici et d’ailleurs : Coulibaly, suite.
Peinture de Richard Holterbach
Le samedi 30 octobre, je disais que M. Coulibaly ne regrettait pas d’avoir fait ce chemin. Il me disait : « Il est préférable de souffrir en France que de souffrir au pays.
Voici la suite de son entretien.
2 - la vie ici
Parvenez-vous, aujourd’hui, à vous loger décemment ?
Non. C’est encore très difficile. Il peut arriver que je dorme chez des amis, chez des marchants de sommeil ou encore dans un appartement à rénover pendant la durée des travaux.
« Marchants de sommeil » … ?
Ce sont des personnes qui profitent de ma situation de « sans papiers » en mettant à ma disposition une place où je peux passer la nuit, en échange d’argent, ou de services gratuits qu’ils n’auraient pu se payer.
Alors, combien payez-vous pour une nuit ?
La somme peut aller de 10 à 15 euros par nuit, ça dépend du temps qu’il fait.
Et quels services gratuits leur rendez-vous ?
Cela va du nettoyage total de la maison à faire les courses avec mon propre argent ou encore, leur faire les repas, faire du baby-sitting…
Vous avez parlé des travaux, de quels travaux s’agit-il ?
J’effectue des travaux du bâtiment avec certains artisans de la place.
Êtes-vous bien payé ?
Mais non ! Je suis payé à la journée et souvent par semaine quand celui pour qui je travaille veut bien me payer. Je reçois entre 25 et 50 euros par jour.
Combien d’heures travaillez-vous pour cette somme-là ?
Misère. Je fais entre 8 et 12 heures.
Mais, avez-vous essayé de discuter avec vos employeurs pour un salaire plus honnête ?
Dites-moi vous-même si ça vaut la peine d’essayer. Je pourrais être mis à l’écart !
Ne vous est-il pas venu à l’idée de les dénoncer ?
Non, les dénoncer à qui, comment, puisque je n’ai aucun droit.
Depuis deux ans que vous êtes sur ce territoire, vous êtes-vous présenté à la préfecture ?
Ah non. Surtout pas ça.
Et pourquoi donc ?
Il faudrait avoir de bonnes raisons avant de s’y aventurer. Attention hein !
Votre ambassade est quand même au courant de votre présence en France ?
J’ai voulu qu’elle soit au courant, qu’elle me délivre des pièces d’identité de mon pays ; mais la secrétaire de monsieur l’ambassadeur m’a ri au nez et elle m’a dit : « comment n’avez-vous ni de passeport, ni de carte d’identité ? Ce n’est pas croyable ce que vous me dites. Et vous vivez comment, vous ? En tout cas, nous avons reçu l’ordre de ne pas établir des pièces d’identité aux gens qui sont dans votre situation. Je vais quand même vous envoyer au service d’identification ». Le service d’identification n’a jamais répondu à mon coup de fil. A chaque fois que j’appelle à mon ambassade, c’est toujours ce qui se produit.
Continuerez-vous de vivre de cette manière-là, cette précarité ?
Ai-je le choix ? Bien sûr , j’espère être régularisé, vivre convenablement, comme un humain que je suis, même si la vie est très difficile ici aussi.
Dans le numéro d’octobre des prêtres du Prado, Pierre Marmiloud écrit
"Et vous les demandeurs d'asile, les sans-papiers, toujours plus nombreux, vous faites résonner, en silence, ce cri : «Ne sommes-nous pas aussi des humains ?» «L'humain, la dignité inséparable des uns et des autres auront le dessus ! » répond, comme en écho, la cohorte des associations, des réseaux, des personnes qui ne se résolvent pas à fermer ni leurs yeux ni leurs mains. Les cercles du silence relaient cette action devant la conscience de chacun et devant celle de notre société. Avec vous, reconnaître devant la crèche (c-a-d. la naissance de Jésus) la vie qui nous est donnée, l'autre comme un don, et non comme un obstacle, un problème, un danger, reconnaître le frère et le Fils qui nous sont donnés dans l'Enfant-Dieu, le plus petit d'entre nous ! Voilà un travail caché et indispensable ! N'alimente-t-il pas la nappe phréatique de la vie fraternelle quoi qu'il en soit. La gratuité, dans un monde où tout est devenu monnayable, quelle respiration ! Quelle joie ! J'ai à revenir sans cesse à la crèche pour me réjouir, être libéré des calculs de tous ordres, être proche des petits, manifester la vie offerte à chacun, plus précieuse que tous les moyens, marques et autres émotions en vogue !"