La pensée du chrétien engagé dans le monde prend la forme d'un double adage : Pas de mystique sans politique Pas de politique sans mystique
Lisons le chapitre sur La suite du Christ à la page 92 du livre de Pierre-Yves Materne, La condition de disciple, Cerf 2013.
Une page à lire, surtout en ces jours, où nombreux désespèrent du politique malmené par les politiques. La Gauche qui devrait se soucier de l’humain ne fait que comme la droite dans sa volonté d’accroître ses avoirs.
J’ai abordé la question de la suivance de Jésus Christ en parcourant principalement l’évangile selon Matthieu. Je disais notamment que se mettre à la suite de Jésus n’était pas une option dans le christianisme. En effet, cette suivance concerne tous les baptisés.
Voir également ici.
Dans son dernier livre, Décroissance ou Décadence, le journaliste Vincent Cheynet, objecteur de croissance, questionne la volonté de liberté sans limite qui se donne à voir dans nos sociétés.
Lien à propos de l'illustration.
Voilà ce qu’en dit P. Y. Materne :
La christologie fondatrice de l'éthique.
La marche à la suite de Jésus n'est pas seulement une spiritualité parmi d'autres, elle constitue au contraire le noyau de la vie et du témoignage chrétien. Le sujet chrétien n'est pas simplement celui qui a un jour reçu le baptême dans l'Église. Bien plus, il est le disciple du Christ qui s'efforce de mettre sa vie dans le sillage tracé par Jésus lui-même. Sans aucune hésitation, Hauerwas comme Metz mettent la question de la suivance au centre de leur théologie. Leur conviction partagée consiste à dire qu'on ne peut vraiment connaître le Christ qu'en le suivant concrètement, c'est-à-dire par une pratique qui façonne l'existence. L'éthique chrétienne découle tout naturellement de cette dimension spécifique de la foi. Il s'agit de vivre ce qui est demandé par Jésus, à savoir une conversion personnelle tournée vers les autres. Cela étant dit, ici encore, Metz et Hauerwas se distinguent quant aux dispositions que le sujet doit acquérir. Tandis que Metz met l'accent sur la capacité à être solidaire et compatissant envers tout homme, à commencer par « le plus petit des frères », en rejoignant les mouvements de liberté et de justice dans le, monde, Hauerwas insiste de son côté sur le courage et la patience qui doivent caractériser le disciple non violent. Chez Metz, Jésus est celui qui souffre avec toute personne humaine et que je rencontre dans l'acte de compassion envers elle. Chez Hauerwas, Jésus est le visage du Dieu non violent qui est vainqueur du monde, et les chrétiens sont les dépositaires et prêcheurs de cette foi. Dans le cas du théologien allemand, on s'attache surtout aux répercussions universelles du message chrétien, tandis que, dans l'autre, on s'attache davantage à l'ancrage local du témoignage.
L'articulation entre mystique et politique.
La mystique est à comprendre ici comme ce qui touche la relation personnelle à Dieu. Tout croyant accorde une certaine importance à la relation à Dieu, même si les manières de la vivre diffèrent selon les expériences. Pour nos auteurs, la relation à Dieu est médiatisée par les autres, c'est-à-dire qu'elle dépend de l'intersubjectivité. Il s'agit d'une mystique de l'action qui oblige le croyant à prendre une posture spécifique par rapport au monde. Chez Metz, la « mystique » est une relation à Dieu qui passe par tout homme, à commencer par le plus démuni (le souffrant). La mystique, dans la tradition biblique, recommande la justice pour tous. Suivre Jésus, c'est vivre de l'Esprit qui l'a animé et aussi du même abandon, de la même pauvreté. Chez Hauerwas, la relation au Christ passe par la communauté des baptisés, qui centre son existence sur la vie de Jésus (mort et résurrection). La prière est une manière de se mettre à la place de Jésus pour vivre avec la même radicalité que lui. Le suivre consiste non à copier ses comportements, mais à mener une vie pacifique qui scandalise et qui peut conduire à la mort (martyre).
Le terme politique doit être clarifié. On peut d'abord dire que cela ne vise pas en premier lieu les acteurs politiques (partis, gouvernements, institutions... ), sans toutefois les exclure. Cela signifie une attitude de responsabilité envers d'autres. Le politique n'est pas d'abord une question de gestion de la vie collective mais une prise de responsabilité à l'égard d'autrui et du monde. Les croyants sont appelés à apporter quelque chose au monde pour qu'il soit plus conforme au projet de Dieu. Si Dieu attend des chrétiens une collaboration pour réaliser son Royaume, il faut lui donner tout le soutien nécessaire. Autrement dit, la foi ne peut en rester au stade d'une mystique, mais doit devenir un engagement décidé pour que le Royaume advienne. Inversement, la foi ne peut être supplantée par une action publique comme dans le rêve marxiste. La foi doit conserver sa dimension mystique pour ne pas se fondre dans le monde. La pensée des deux auteurs pourrait prendre la forme d'un double adage: Pas de mystique sans politique. Pas de politique sans mystique.
Devant la question du passage de l'un à l'autre de ces deux pôles, les deux théologiens n'ont cependant pas les mêmes vues. En effet, Metz, n'ayant pas de difficulté à reconnaître l'autonomie du monde sans aboutir pour autant à l'athéisme, voit le politique comme une action responsable en faveur des plus démunis, passant par les institutions publiques existantes. Plus largement, il s'en remet aux acteurs de la société civile, sans se focaliser sur l'État. Certes, on ne trouve pas chez ce théologien une pensée du politique qui permette d'interroger la complexité du réel. Metz reste au plan de l'intuition et de l'interpellation, laissant peut-être à d'autres le soin de préciser les contours d'une théologie du politique.
Hauerwas, par contre, estime que la politique à mettre en œuvre doit être spécifiquement chrétienne, passant exclusivement par la communauté des disciples. Ceux-ci sont en effet dans le monde, mais ils doivent garantir la primauté de l'éthique qui les caractérise. La responsabilité à l'égard de la société implique de lui montrer combien le Royaume de Dieu correspond à une autre manière de vivre (collective, non violente, vertueuse... ). La conviction qui anime cette perspective est que le monde ignore ce qu'est le Royaume et vit dans le mensonge. Le monde se rendra compte de son aveuglement à partir du moment où il rencontrera des témoins du Christ. Dans sa perspective communautaire, Hauerwas n'attend rien de l'État, qu'il perçoit comme une institution fondée sur la violence.