Jésus n'appelle pas des candidats à la prêtrise pour être prêtre, mais des hommes pour être Homme. Vocation à vivre l'homme dans le Christ
Vincent van Gogh (1853-1890), Le bon Samaritain, Delacroix, 1890, 60 x 73 cm, Huile sur toile / papier / carton
Étant déchargé de la mission curiale d’une paroisse, j’observe souvent que l’on conçoit le rôle du curé comme devant accomplir un certain nombre d’actes cultuels sans quoi, il serait considéré comme « ne faisant rien ». Le prêtre déchargé de paroisse et invité à rendre « des services », par exemple dire la messe, ici ou là, sans que cela lui prenne trop de temps.
Il me semble que je me suis déjà exprimé sur ce sujet. Tant pis, je le redis. Avant de solliciter une messe à dire, il conviendrait de prendre en compte la communauté, qui, même sans prêtre, se réunit pour prier. Ce n’est pas le prêtre (rôle sacerdotal) qui doit réunir la communauté, mais les fidèles du Christ se réunissant régulièrement pour s’associer au Seigneur Jésus, qui quand elle le peut (et se réjouissant de le pouvoir) s’assemble afin de célébrer l’Eucharistie. Pour m’exprimer plus personnellement, je dirais que je ne souhaite pas passer le moins de temps possible avec des gens, mais au contraire, avoir assez de temps avec eux, pour, ensemble, vivre une intense communion fraternelle en étant uni au Christ. Autrement dit, peu importe le prêtre-curé d’une paroisse. Ce qui compte avant tout, c’est la communauté, notamment par l’intermédiaire de ses délégués, les membres de l’Équipe d’animation pastorale issue du conseil pastoral. Le dynamisme d’une Église locale vient des laïcs qui se doivent de bien accueillir le nouveau curé et le former afin qu’il puisse demeurer le plus proche possible de tous les habitants du quartier, c’est-à-dire de la paroisse. Antoine Chevrier a concrétisé ce souci missionnaire de proximité auprès des habitants de quartier de la Guillotière, en obtenant de l’évêque la permission de quitter le ministère pour se rendre auprès des personnes afin de répondre à leur attente et de susciter un désir de Jésus-Christ. Il le fit en quittant le presbytère Saint-André pour se rendre dans la salle de bal du Prado.
Aujourd’hui encore, je ressens cet appel à présenter la Bonne Nouvelle libérée de toute appartenance religieuse. Le prêtre et un ancien, un sage, un sanctifié qui œuvre à la cohésion et au progrès spirituel des disciples du Christ et non un personnage sacré, un sacerdos qui opère la médiation entre Dieu et les hommes. Christ est l’unique à être investi d’une mission sacerdotale au sens cultuel. Tous les baptisés sont prêtres, prophètes et rois.
La méditation de Daniel Duigou parue cette semaine dans le quotidien La Croix exprime cette profonde réalité mystique : tous œuvrent à ce que l’homme soit davantage Homme. C’est là que s’instaure le Royaume. Je vous donne à lire cette page.
L’appel
L'Appel de Jésus est souvent choisi, et avec raison, lors des ordinations de prêtres. Mais, relayé par ce passage de l'Évangile de Marc, il s'adresse aussi, et d'une façon générale, à tous les hommes, en vue du baptême. Il se trouve que dans le contexte des récents et tragiques événements à Paris, cet appel prend une résonance exceptionnelle.
Après les massacres, la mobilisation. Après l'émotion, la réflexion. Après le rassemblement, l'action. Les événements qui ont endeuillé la France et la liberté ont montré la fragilité de l'homme et celle des sociétés démocratiques face à la barbarie. Alors que les exploits de la science et des nouvelles technologies tendent à faire croire aux individus que l'homme arrive au sommet de sa puissance, la réalité leur rappelle que l'humanité n'est peut-être qu'au début de son histoire.
La force de l'Évangile d'aujourd'hui est de s'inscrire, au-delà des siècles qui nous séparent de sa rédaction, dans cette même urgence: l'homme est à construire. Jésus n'appelle pas Simon, André et Jacques pour créer une nouvelle religion, un parti politique ou un syndicat. Il convoque ces pêcheurs vis-à-vis d'eux-mêmes, dans ce qui fait l'essentiel de leur aspiration à vivre : être au service des hommes.
La force de l'Évangile est ensuite que le lecteur, prêtre ou pas prêtre, ne peut pas ne pas se sentir lui aussi appelé. Il ne peut pas ne pas se sentir concerné par cette urgence dans ce qui fait sa vie d'aujourd'hui. Jésus n'appelle pas seulement des candidats à la prêtrise pour être prêtre, mais d'abord des hommes pour être « homme ». Le programme est clair: « Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l'Évangile. » Il s'agit, dans un « ici » (en Galilée, là où tout commence pour Jésus, et où tout finit) et un « maintenant », qu'ils deviennent d'abord « homme » dans leur humanité. Et ils le deviendront en quittant leur position tranquille et confortable pour marcher à la suite de Jésus et annoncer le règne de Dieu à tous les hommes, dans un aléatoire (une vie d'errance dans la mesure où elle se laisse interroger par les événements) qui les exposera à leur propre humanité. Il n'y a pas l'homme d'un côté et Dieu de l'autre, des clercs d'un côté et des non-clercs de l'autre: Jésus propose aux uns et aux autres de devenir d'abord des hommes en le suivant, c'est-à-dire en prenant leur responsabilité, en ne distinguant pas leur existence de l'avenir des autres hommes, et, ainsi, en devenant comme lui des fils de Dieu.
En invitant Simon, André et Jacques à se convertir, il ne leur demande pas de devenir quelqu'un d'autre, mais, au contraire, de s'accomplir dans ce qu'ils sont, complètement. En les invitant à croire, il ne leur demande pas de s'échapper de leur réalité, mais, au contraire, d'investir le réel de l'homme et vivre encore plus l'homme dans ce qui les anime profondément et fondamentalement. Et c'est ainsi qu'ils annonceront le règne de Dieu.
En fait, le récit de Marc met en scène un événement dans l'événement. Il est précisé que Jésus les « vit ». Dans le début de l'Évangile de Marc et jusqu'à cette rencontre, Jésus est dans une position passive. Mais, lors de la rencontre, le lecteur l'entend pour la première fois dire « je » en exprimant un « vous ». Jésus est alors dans une position active; il provoque cette même position chez ses interlocuteurs. La rencontre fait surgir le Sujet chez l'être. Nous ne sommes pas dans une scène écrite d'avance; Jésus éprouve l'humain dans sa chair et révèle cet humain chez l'autre dans l'immédiateté de la rencontre. Il est déjà là, le règne de Dieu, dans l'imprévu de l'humain qui se révèle grâce à Lui.
Le lecteur ne peut donc qu'être bouleversé par l'Appel de Jésus, au point d'en être déstabilisé dans sa propre histoire, dans son essentiel qui fait l'urgence de sa vie et de son époque. En assistant comme au théâtre à l'événement, il sait déjà ce à quoi va impliquer l'Appel chez les disciples, et donc dans sa propre vie; il est déjà dans l'après-rencontre, au moment où, lors de l'arrestation et de la mort de Jésus, ces mêmes disciples vont devoir assumer leur choix. Il prend conscience du prix de sa liberté que lui révèle l'Appel. Jésus ne l'appelle pas à choisir entre être prêtre ou n'être pas prêtre, mais entre croire ou ne pas croire que le Règne de Dieu vient.
Le baptême est à vivre pour tout citoyen qui l'a reçu, engagé dans l'histoire de l'humanité et dans sa vocation à vivre l'homme dans le Christ. Prêtre ou pas prêtre, nous sommes d'abord appelés à vivre l'homme dans son humanité, pour vivre le règne de Dieu.
DUIGOU Daniel