Économie… ? « sociale », « solidaire », « collaborative »… pourquoi pas économie « tout court » ?
Samedi prochain se tient le deuxième matin du laboratoire tenu par le groupe Chrétiens et pic de pétrole. En me préparant à cette rencontre laborieuse (comme il se doit pour un labo), j’ai retenu un article du quotidien La Croix qui m’apparaît très approprié à cette recherche. Je souhaite alors vous le donner à lire pour aiguiser votre regard critique. Si vous participez à l’initiative de CPP ce sera une bonne préparation. Sinon, je souhaite faire naître en vous l’envie de créer dans votre localité (ou quartier) un groupe soutenant ce type de réflexion. Si l’économie libérale est fondamentalement bonne, pourquoi ajouter à ce concept des mots tels que « participative », « distributive », « circulaire », « démocratique » ?
FORUM. L'économie sociale pour tous.
Thierry Aumonier, dirigeant d'entreprise
La Croix : 2/11/15
La colère des hôteliers devant le développement d'Airbnb ou les violents affrontements qui se sont produits en France récemment avec les chauffeurs de taxis à propos d'UberPop nous interrogent sur les bienfaits des « nouvelles » économies. Délaissant le terme générique d'« économie », on nous présente aujourd'hui un bouquet d'économies, plus séduisantes les unes que les autres: « sociale », « solidaire », « collaborative »… Face à cette floraison, il faut d'abord comprendre de quoi on parle et ne pas être dupe des promesses des mots. Il faut aussi et surtout faire relever les défis de cette évolution par l'économie tout entière.
L'« économie sociale et solidaire » se présente comme un ensemble homogène, qui dispose d'un ministère dédié depuis 2012 et d'une loi propre depuis 2014. Elle se définit comme le secteur qui cherche à concilier performance économique et utilité sociale. Sa part dans l'économie française, qui est déjà de 10 %, paraît en voie d'accroissement. On l'appelle parfois « tiers secteur », en opposition au privé lucratif et au public. Son périmètre englobe les associations et fondations, les coopératives et les mutuelles. (N.B. Novembre est le mois de l’économie sociale et solidaire.)
La réalité est moins claire. D'abord, l'économie sociale ne se prive pas d'être lucrative ; voir les associations fiscalisées pour cette raison, les coopératives détenant des filiales capitalistes ou les mutuelles rejoignant des groupes privés. Peut-on croire que le Crédit agricole, qui a un statut coopératif, constitue une alternative aux banques capitalistes ? Le statut de l'entreprise sociale ne garantit pas davantage que les salariés y soient plus heureux. Quant à l'assimilation de l'économie sociale à l'économie solidaire, elle est contestable. Cette dernière, qui ne représente qu'une petite partie de l'ensemble, se définit essentiellement par son objectif qui, lui, est prioritairement social. Dans cette logique, l'« économie de communion », inventée par les Focolari, pousse la solidarité jusqu'au partage intégral des profits. Chez elle, comme dans l'économie solidaire, l'entreprise n'est qu'un outil de mise en œuvre d'une démarche sociale.
Le partage est également le maître mot de l'économie collaborative mais ce n'est pas le même… Il s'agit du partage de l'usage d'un même bien ou service : covoiturage, co-utilisation d'équipements, co-surveillance, etc. Le but de l'usager n'est pas la solidarité mais le profit. Au total, sous des appellations qui les habillent de vertus (sociale, solidaire, collaborative), les réalités sont à la fois très différentes… et très inégalement vertueuses. à l'ère du marketing, ceci n'est pas toujours innocent. Bien des acteurs de l'économie sociale, qui mettent en avant leurs valeurs, ressemblent à l'âne de la fable de La Fontaine qui se drape de la peau d'un lion pour se faire respecter.
Si l'économie sociale désigne des entreprises qui associent une communauté au travail à la production d'un bien ou d'un service utile à la collectivité, toute entreprise devrait pouvoir s'affirmer sociale. Pour la loi de 2014, une entreprise sociale ou solidaire doit avoir « un but autre que le seul partage des bénéfices », « une gouvernance démocratique » et une gestion où (en particulier) « les bénéfices sont majoritairement consacrés au maintien et au développement de l'entreprise ». Ces critères sont louables mais non distinctifs : de nombreuses entreprises du « privé lucratif » visent autre chose que le seul profit ; bien des dirigeants de groupes privés ont à rendre compte à leurs actionnaires de manière au moins aussi exigeante que ceux d'entreprises sociales à leurs adhérents ; enfin, quel que soit son statut, une entreprise qui n'affecte pas une large partie de ses bénéfices à son développement est promise à la disparition. On peut toujours décréter des seuils pour indiquer que certaines entreprises sont plus sociales que d'autres, mais il ne s'agit que de différences de degré, toujours contestables, et non de nature.
Dans la pratique, l'entreprise la plus sociale est probablement celle qui applique le mieux la doctrine sociale de l'Église. Le défi d'intégrer les dimensions économique, sociale et environnementale est à relever par l'économie tout entière. Il est d'ailleurs admis par tous que le « développement durable » concerne toutes les entreprises… On relève régulièrement que les Français n'en ont pas une image favorable et comprennent mal les réalités économiques. Mettre en avant des concepts flous et contestables ne risque pas d'arranger les choses. Au contraire, faire assumer par l'entreprise toute sa dimension sociale, ce qui est le devoir du dirigeant et non la responsabilité du législateur, constitue la meilleure chance de réconcilier les Français avec l'entreprise.
AUMONIER Thierry
Parler de doctrine sociale de l’Église ce sera, en partie notre but, samedi prochain. Nous en parlons assurément dans la perspective de la COP 21. Sur son site, Dominique Lang cite un discours de Mgr Pontier. Cela vaut la peine de le lire. Une fois de plus, on y rappelle la lettre de 1982 invitant à changer de modes de vie. Plus que jamais, cela est important.