Expulsions de trois « sans papiers » au-delà de notre communauté de Grenoble, c'est l'ensemble du Mouvement qui est touché
Alors que je lis dans La Croix l’étonnante position d’un « bon » catholique disant que « les populations européennes se sentent menacées dans leur identité par une immigration massive : l’Église risque de se couper encore plus d’elles si elle continue de mépriser cette angoisse en la dénonçant comme une frilosité ou un repli identitaire », je reçois –largement diffusée- une déclaration intitulée : « La solidarité, plus que jamais un délit ».
Vraiment, les migrants sont plus que jamais mal venus en Europe. Et, dans les sphères chrétiennes, on se pose la question : « l’accueil des migrants menace-t-il l’identité chrétienne de l’Europe ? » Même les chrétiens irakiens, pourtant mieux acceptés par des communautés catholiques, constitueraient un danger pour les valeurs occidentales.
Cela vaut le coup de se rendre sur le site du Journal « La Croix ». J’espère que l’accès sera libre et que vous pourrez entendre les deux brèves vidéos.
Cette crainte de l’étranger s’accorde magnifiquement avec la descente de gendarmes dans la communauté d’Emmaüs. Lisons ce communiqué d’Emmaüs Grenoble :
« Hier, notre site de La Mure a été visité par une compagnie de Gendarmerie en pleine vente sur notre antenne de La Mure. L'ensemble des compagnes et compagnons a été choqué de cette interpellation surprise, trois d'entre eux qui étaient en situation irrégulière, ont été emmenés à la Gendarmerie et se sont vus notifier des obligations de quitter le territoire sous 48h (pour deux d'entre eux) et 30 jours pour le troisième. Au-delà de l'équipe de La Mure et de notre communauté de Grenoble, c'est l'ensemble du Mouvement qui est touché, à la veille des 10 ans du "départ en grandes vacances" de l'Abbé Pierre ».
Voir ce document :
Ceci dit, voici la déclaration :
La solidarité plus que jamais un délit.
Bien sûr, la solidarité n’a jamais été inscrite dans aucun code comme un délit.
Cependant, des militants associatifs qui ne font que venir en aide à des personnes en situation de très grande précarité, victimes de décisions dangereuses, violentes, voire inhumaines, se retrouvent aujourd’hui face à la justice.
Avec l’instauration de l’état d’urgence, et dans le contexte baptisé « crise migratoire » on assiste à une recrudescence de poursuites visant à empêcher l’expression de la solidarité envers migrants, réfugiés, Roms, sans-papiers… Au-delà, c’est le soutien à l’ensemble des personnes étrangères qui tend à devenir suspect, l’expression de la contestation des politiques menées qui est assimilée à de la rébellion et au trouble à l’ordre public.
La loi permet en effet de poursuivre les personnes qui viennent en aide aux « sans-papiers », mais toutes sortes d’autres chefs d’accusation servent désormais à entraver toute action citoyenne qui s’oppose aux politiques mises en œuvre. L’ensemble de ces intimidations, poursuites, condamnations parfois, visent donc bien en fait ce qui constitue de nouvelles formes du « délit de solidarité ».
Dès 2009, les associations de défense des droits de l’homme et de soutien aux étrangers avaient dénoncé le fait que le délit d’ « aide à l’entrée, à la circulation et au séjour des étrangers en situation irrégulière », introduit à l’origine pour lutter contre ceux qui font commerce du trafic et de l’exploitation des étrangers, ait permis au fil du temps de sanctionner les « aidants » d’étrangers sans papiers, même agissant dans un but non lucratif. Si les peines prévues ne sont pas toujours appliquées, une telle réglementation a bien sûr un effet dissuasif sur celles et ceux qui refusent de se soumettre à des politiques hostiles aux étrangers.
La mobilisation associative, à l’époque, a abouti à plusieurs réformes successives, dont celle du 31 décembre 2012 qui a été présentée comme la « suppression » du délit de solidarité. Il n’en est rien ; la nouvelle rédaction des textes se contente de préciser et augmenter les cas d’exemption de poursuites. Outre l’aide apportée à des parents est autorisée l’aide qui aura seulement visé à « assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger » ou à « préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ». Malgré tout, des personnes ayant manifesté leur solidarité avec des étrangers sans titre de séjour continuent d’être inquiétées – convocations à la police ou à la gendarmerie, gardes à vue, perquisitions, écoutes téléphoniques, voire poursuivies et parfois punies d’amende et emprisonnement.
Dans le même temps, des poursuites ont commencé d’être menées sur la base de textes sans rapport avec l’immigration.
- Les délits d’outrage, d’injure et de diffamation, de rébellion ou violences à agent de la force publique sont utilisés pour défendre l’administration et la police contre celles et ceux qui critiquent leurs pratiques ;
- Le délit d’ « entrave à la circulation d’un aéronef » qui figure dans le code de l’aviation civile permet de réprimer les passagers qui, voyant des personnes ligotées et bâillonnées dans un avion, protestent contre la violence des expulsions ;
- La réglementation qui sanctionne l’emploi d’un travailleur étranger sans autorisation de travail a servi à inquiéter des personnes qui, hébergeant des étrangers en situation irrégulière, acceptent que leurs hôtes les aident à effectuer des tâches domestiques.
Aujourd’hui, les motifs des poursuites se diversifient toujours plus. Tandis que les poursuites pour aide à l’entrée et au séjour ont repris de plus belle, de nouveaux chefs d’accusation sont utilisés pour condamner les actions solidaires ;
- La réglementation en matière d’urbanisme a été invoquée à Norrent-Fontes (Pas de Calais) pour demander la destruction d’abris pour migrants ;
- Des textes sur l’hygiène ou la sécurité applicables à des locaux ont servi à empêcher des hébergements solidaires à St-Étienne ;
- L’absence de ceinture de sécurité et d’un siège pour une fillette à bord d’un camion a permis la condamnation d’un aidant à Calais ;
- L’intrusion dans des zones particulières, interdites pour cause d’état d’urgence, a été utilisée, à Calais également, pour sanctionner le regard citoyen :
- Le délit de faux et usage de faux est utilisé pour intimider des personnes qui ont voulu attester de la présence depuis plus de 48h de personnes dans un squat à Clichy ;
- Etc…etc…
Et, de plus en plus, le simple fait d’avoir voulu être témoin d’opérations de police, d’expulsions de bidonvilles, de rafles, peut conduire à une arrestation, sous couvert de rébellion ou de violences à agent.
Ces procédés d’intimidation doivent cesser. Nous affirmons la légitimité du droit de regard des citoyens et des citoyennes sur les pratiques de l’administration, de la justice ou de la police. Nous voulons que soient encouragé(e)s celles et ceux qui se montrent solidaires des personnes en situation de précarité sans se soucier de savoir si elles sont ou non en situation régulière quant au séjour. Nous refusons que les populations visées par des politiques ou des pratiques xénophobes soient privées de soutien. C’est l’avenir du principe même de solidarité qui est en jeu.
Nous vous appelons tous et toutes à vous joindre au combat que nous, organisations syndicales et associatives et comités de soutien informels, avons décidé d’engager ensemble, au sein du collectif que nous avons constitué.
DelitSolidariteFraternite@rezo.net
Signataires :
ACORT - ADDE - AFVS – Alternative Libertaire – Amoureux au ban public – Catred – Cedetim/Ipad – Cnafal – Collectif national Droits de l’Homme Romeurop – Comede – Comegas – Copaf – Culture et Liberté – Emmaüs France – Fasti – Fédération d’Entraide Protestante – Fnars – Fondation Abbé Pierre – Ftcr – Gisti – La Cimade – Ligue des Droits de l’Homme – MRAP – OCL – Secours Catholique - Union Juive française pour la Paix – Utopia 56 –
Fédération SUD Education – Fédération SUD Santé Sociaux – Ferc Cgt – Syndicat des Avocats de France – SNUipp FSU – SNPES-PJJ-FSU – SUD industrie Francilien – Syndicat de la Magistrature –Union Syndicale Solidaire