Les chrétiens de gauche, anti-capitalistes, communistes ou anarchistes, dans le sillage notamment de Jacques Ellul, existent aussi
Au café du coin on parle beaucoup de gauche, de droite, de centre. Si des jeunes étaient présents, à l’écoute des conversations de comptoir, ils diraient : mais il n’y a plus ni gauche ni droites. Effectivement, ces façons de voire la politique sont peut-être dépassées.
J’ai rencontré de jeunes « cathos » (c’est ainsi qu’ils se désignent), sortant plutôt de grandes écoles, voire de très grandes, tenir cette position. Maintenant, il n’y a ni gauche, ni droite. On entend : « La droite et gauche sont séparées par une ligne Maginot qui est devenue obsolète ».
Pourtant, il y a bien des politiques qui valorisent fortement la croissance de biens matériels avec comme perspective de les concentrer dans les mains de quelques uns – c’est là que je placerai la droite, et des politiques qui vise avant tout le bien humain mettant en avant le plus pauvre pour que se développe une réelle fraternité, lieu, à mo avis, de la gauche.
Mais, me dit-on, ce n’est pas si simple. Que faire des politiques qui s’affichent socialistes et conduisent une politique d’enrichissement de quelques uns au détriment d’un grand nombre proche de la misère ? Et comment concevoir une économie socialiste qui ne songe qu’à ses compatriotes, épuisants les ressources des régions lointaines au point de contraindre des régions entières à la misère de la famine ? Le souci du bien être de l’homme ne devrait-il pas être universel.
Je résume encore. S’il y a une droite proche du capital et une gauche attentive à l’humain, quel équilibre doit tenir un centre qui sera tantôt, centre-droite, tantôt centre-gauche. Et encore, alors que je me sens une authentique vocation à œuvrer au maximum pour que tout homme sur toutes les terres grandissent dans son humanité au maximum, je vais choisir un politique du centre (droit ou gauche) afin que l’extrême droite n’atteigne pas le pouvoir ?
La social-démocratie est un modèle de démocratie représentative qui se situe, dans ses principes, entre le régime des « républiques socialistes » – parti unique, dictature du prolétariat, nationalisation des moyens de production –, et celui de la « démocratie libérale »
Il me semble qu’au café du coin, où se retrouvent chômeurs et travailleurs salariés, la question s’exprime avec acuité. Enfin, c’est une prise de position, une stratégie, que j’entends : pour fermer la porte du pouvoir à l’extrême, je pense voter centre droit bien que, pour l’égalité et le confort des personnes marginalisés dans la pauvreté, je préférerais me prononcer pour une gauche mettant l’humain au-dessus de tout. Donc du capital et de l’enrichissement par le productivisme de quelques uns.
Mais voilà que le tenancier du café du coin, afin de ne déplaire à aucun client me dit : ce n’est pas si simple.
Et il semblerait qu’il ait raison. Quoique ?
Jadis, on parlait de chrétiens de gauche. Au PSU, il y avait, dit-on, beaucoup de chrétiens. Que sont devenus ces militants ? Il me semble que tout est noyé dans un centre dont il est difficile de savoir ce qu’il exprime. Je me pose aussi la question de l’actuel lieu de vie des disciples d’Emmanuel Mounier. Un ami Goulven pose ce genre de question – ou d’accusation – aux rédacteurs en chefs et patron de Témoignages chrétiens. Il a écrit à la revue désormais mensuelle. Selon lui, dans "Témoignage chrétien", la ligne de Mignard (qui est entré au comité exécutif de la campagne de Macron, après avoir été le compagnon de route de Hollande pendant 30 ans !) me semble beaucoup plus contestable que celle de C. Pedotti (qui est plus "hamoniste"). Son courrier est dirigé contre l'évolution du courant Rocard-Delors (Hollande-Valls-Macron ensuite)...
Le voici :
« Ces dernières semaines, je me suis régalé de vos éditoriaux sur le scandale Fillon. Rapporter le comportement du candidat « républicain » au message chrétien dont il se réclame, et cela pour dénoncer un écart insupportable, c’est une clef de lecture à la fois salutaire et originale, que seul votre journal, ou presque, peut porter.
En revanche, votre dossier sur les « cathos de gauche », dont je me délectais par avance, me laisse sur ma faim.
Dans votre rétrospective de ce courant, vous vous arrêtez systématiquement et symptomatiquement en 1981. La vision que vous dessinez est la suivante : après 1968, les chrétiens de gauche ont été accueillis à bras ouvert par le PSU puis le PS, et ils ont largement contribué à la victoire de Mitterrand. Les « cathos de gauche » se seraient ensuite évaporés, d’avoir trop bien « réussi » (dixit Jean-Pierre Mignard). 1981 marque en tout cas, sous vos plumes, une « fin de l’histoire » somme toute fort glorieuse, et on n’a guère de réflexion sur l’évolution politique des 35 dernières années, ce qui est tout de même un peu gênant.
Je compléterai le trou noir en rappelant que, s’il y a bien quelque chose que Mitterrand a « réussi », c’est à récupérer les courants communistes et chrétiens de gauche : après le “tournant de la rigueur” de 1983, il a dévié leurs aspirations vers une politique d’austérité économiquement de droite, dont nous ne sommes pas sortis depuis, et qui explique une bonne partie des impasses auxquelles nous sommes confrontés : paupérisation des classes populaires puis moyennes, dévoiement catastrophique de l’Union européenne vers une mise en concurrence généralisée (entre les pays-membres et à l’intérieur de chacun de ces pays), montée du FN, désastres écologiques, etc.
Jean-Pierre Mignard estime que les « cathos de gauche » ont gagné, dans l’Église et au-delà, parce que, écrit-il, « le secours catholique comme le secours populaire » est devenu « banal », parce que personne « n’oserait dire qu’il est contre le Secours catholique ».
On peut interpréter cette « banalité » autrement. Le problème n’est-il pas précisément que le monde dans lequel nous vivons donne trop de travail à des structures comme le Secours catholique et le Secours populaire ? L’autre partie du problème, à mon sens, c’est que le PS, dont J.-P. Mignard a été l’un des compagnons de route les plus éminents, porte une très lourde responsabilité, par ses politiques violemment anti-populaires, dans cette évolution.
Notre auteur peut bien se gausser qu’« hier » des chrétiens aient pu « se fourvoyer parfois jusqu’à retrouver dans l’Internationale des accents du Magnificat et dans la personne de Jésus un dirigeant syndical » : à mes yeux, son soutien actif au mouvement de Macron, qui poursuivra résolument, en pire, les mêmes politiques que le PS, est un fourvoiement bien plus avéré au regard même du message évangélique. Il y a là une imposture : certes moins prononcée que celle de Fillon, mais une imposture tout de même.
Votre journal parle surtout au nom des cathos du centre et du centre-gauche, ce qui, par ces temps extravagants de « Manif pour tous » qui courent, reste toujours bon à prendre. Mais les chrétiens de gauche, c’est-à-dire anti-capitalistes, communistes ou anarchistes qui, dans le sillage notamment de Jacques Ellul, existent aussi, ne peuvent pas tout à fait se retrouver dans la voix que vous portez ».
Je ne peux que reconnaître que la lecture de la lettre de Goulven à Témoignages chrétiens a suscité ma réflexion et, ainsi, se trouve à la source de ma réflexion. Une réflexion que j’aimerai bien partager avec les chrétiens qui se trouvent dans la quartier où je vis.