Se voyant minoritaires dans la société, les catholiques regardant vers la droite politique fabriquent-ils une église sans Christ ?
À l’occasion d’une rencontre avec des amis de la tendance Chrétiens et pic de pétrole, j’ai constaté la convergence de nos idées. Un vécu commun et des options fondamentales communes sans qu’il y ait l’usage d’algorithmes créant une pensée commune. Je parle d’algorithme, mais, en toute honnêteté, je dois avouer que je ne comprends pas bien de quoi il s’agit. Je peux seulement dire que par la rencontre en atelier de réflexion, les idées communes se sont fortifiées. Pour s’en rendre compte se rendre ici, la dernière conférence de ce groupe.
Ceci dit, je suis frappé par la coïncidence de la soirée d’hier avec le courriel de Robert lu ce matin. Robert, P.O. retraité, envoie à ses contacts des articles qu’il a sélectionnés ? Je le remercie, car ses lectures prolongent et renforcent la conversation d’hier soir. Elles complètent ce que nous disions notamment à propos du dernier livre de Patrice de Plunkett
Alors je vous donne à lire l'article du Monde qui prolongeant notre échange, s’inscrit bien dans le contenu d’En manque d’Église. En témoigne cette page : Jeunes, attachés à la justice sociale, attentifs aux pauvres, s’alimentant au Christ de l’Évangile, ils ne se disent pas chrétiens de gauche
Le Monde 30 janvier 2018 :
Des catholiques contre la tentation identitaire, par Cécile Chambraud
Des catholiques s'inquiètent du raidissement identitaire d'une partie de leurs coreligionnaires en France, pris par l'angoisse du déclin, et ils l'écrivent. Depuis les manifestations contre le mariage pour tous, en 2012 et en 2013, on a beaucoup scruté la remobilisation des catholiques dans la sphère politique, la place de plus en plus visible d'un catholicisme d'affirmation et la droitisation électorale d'une part importante des pratiquants, que le vote en faveur du Front national ne rebute pas plus, désormais, que la moyenne de l'électorat. Tandis que ce courant prenait confiance en sa capacité d'expression – alors même qu'il avait essuyé une défaite sur le terrain législatif –, des groupements politiques ou associatifs se sont structurés, des sites Internet sont apparus pour entretenir la flamme, des initiatives missionnaires se sont multipliées.
En novembre 2016, la victoire de François Fillon à la primaire de la droite a témoigné de l'ambition de cette mouvance de demeurer un acteur dans la sphère politique. La situation intenable pour les minorités religieuses, notamment chrétiennes, en Irak puis en Syrie, créée par les conquêtes territoriales de l'organisation État islamique (EI) à partir de l'été 2014, l'a tenue mobilisée. En revanche, le mouvement des réfugiés qui a suivi l'a déstabilisée, réactivant l'angoisse d'une dissolution du marqueur chrétien en France.
Trois livres différents* interrogent ce glissement, considéré comme une conséquence du sentiment douloureux d'être de plus en plus étranger au reste de la société :
1) Avec les outils du sondeur, Jérôme Fourquet répertorie les signes de cette évolution. Pour le directeur du département " opinions " de l'IFOP, ces quelques années ont été, pour ces catholiques de "la droite de Dieu", celles d'une prise de conscience, à savoir qu'ils sont désormais minoritaires dans une société largement déchristianisée, dans un environnement en mutation rapide, marqué par l'implantation de l'islam.
En cinq ans, cette prise de conscience s'est accompagnée d'un déplacement de leurs principaux sujets de préoccupation. Non pas que les questions liées aux familles, à la procréation et à la fin de vie, après avoir été au cœur de la mobilisation de 2012-2013, aient perdu de leur importance pour eux. Mais elles semblent avoir perdu une partie de leur capacité mobilisatrice. En témoignerait, par exemple, la hausse de l'acceptation de l'extension de la procréation médicalement assistée, y compris dans les rangs catholiques, comme l'a montré un récent sondage paru dans le quotidien La Croix.
En revanche, deux sujets, en partie liés, ont envahi les questionnements de ces catholiques : la méfiance à l'égard de l'islam, et les hésitations face à l'accueil des migrants.
L'assassinat par deux djihadistes du père Jacques Hamel, à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), en juillet 2016, a joué un rôle important dans cette évolution, nourrissant "la hantise de devenir dhimmi - un citoyen non musulman d'un État musulman - dans son propre pays ". Une donnée mise en avant par Jérôme Fourquet est frappante : après l'assassinat, la part des Français qui refusent l'amalgame entre musulmans et djihadisme (les deux tiers) demeure au même niveau qu'après les attentats de janvier 2015. Chez les catholiques pratiquants, il tombe à la moitié. Quant à l'adhésion à l'accueil des réfugiés, rappelle Jérôme Fourquet, il passe chez les catholiques pratiquants de 76 % en août 2014, lors de la prise de Mossoul par l'EI, à 48 % un an plus tard, lorsque les réfugiés ne sont plus - majoritairement des chrétiens fuyant l'EI.
"Un christianisme sans Christ"
2) S'adapter à ce statut de minorité dans la société est une chose. Se recroqueviller au point de courir le risque de devenir une "secte" en est une autre, contre quoi met en garde Patrice de Plunkett. L'ancien directeur de la rédaction du Figaro magazine, aux côtés d'Alain de Benoist, aux belles heures de la nouvelle droite de la fin des années 1970, a opéré depuis un virage radical. Revenu à la foi dans les années 1980, il fait siennes, après "avoir cédé deux ans à la tentation intégriste", la critique du capitalisme libéral et la prise de conscience écologique. Son livre s'en prend à la frange des catholiques qui "s'ingénient à donner l'image d'un front du refus".
Plus fidèles à leur milieu qu'à l'enseignement de l'Église, accuse-t-il, ils refusent au fond sa critique du capitalisme néolibéral ainsi que de tirer les conséquences économiques et sociales du principe de l'écologie intégrale. Ils se revendiquent d'une "identité" chrétienne pour critiquer l'accueil de trop de réfugiés. Tout cela les conduit à être hérissés au plus haut point par le pape François qui, sur tous ces sujets, exprime le contraire de ce qu'ils pensent. La "bergogliophobie - du nom du pape François, Jorge Mario Bergoglio - fonctionne dans le même esprit qu'autrefois l'intégrisme contre Paul VI et Jean Paul II", écrit Patrice de Plunkett, qui les accuse pas moins que de se "fabriquer un christianisme sans Christ".
3) Face au vertige de ce monde qui semble vaciller aux yeux d'une partie des catholiques, trois jeunes doctorants plaident pour un engagement bien différent de ce "catholicisme intransigeant", "d'objection, ouvertement contre-culturel" et défensif. Pour Pierre-Louis Choquet, Jean-Victor Elie et Anne Guillard, il est temps pour les chrétiens de "s'affranchir de cette peur historique qui empêche de considérer a priori les idées des mouvements dits de gauche" et de mettre en œuvre un "autre retour des catholiques dans la cité", fondé sur un double souci de justice sociale et écologique.
* À la droite de Dieu - Le réveil identitaire des catholiques, Jérôme Fourquet, Editions du Cerf, janvier 2018, 176 pages, 18 euros.
Cathos, ne devenons pas une secte, Patrice de Plunkett, Salvator, janvier 2018, 160 pages, 15,90 euros.
Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien, Pierre-Louis Choquet, Jean-Victor Elie, Anne Guillard, Les Editions de l’Atelier, septembre 2017, 140 pages, 15 euros.