Du parcours avec des sans papiers découle une solidarité que j’ai reçue d’amis, de mouvements syndicaux, associatifs ou d’action catholique
Voici un autre article de la prochaine publication du Prado Quelqu’un parmi nous. J’ai déjà donné à lire les souvenirs de Suzanne qui nous indiquent que la migration italienne date de plusieurs siècles. Cela rentre dans le constat que le désir de voir ailleurs pour vivre et non survivre est naturellement humain. Le gouvernement Macron-Napoléon ne peut, en conséquence , obtenir des résultats que dans la violence. Ainsi le montre l’intervention policière à Notre-Dame des Landes où l’idée de coopération, d’entr’aide, de collectif… n’est pas admise car cela risque de mettre en question le système économique, capitaliste abreuvé d’individualisme. Je vous invite à lire l’article que Christiane m’a passé. Notre-Dame-des-Landes : que la Ferme des 100 Noms ne devienne pas celle des sans noms !
Intéressant aussi l’article du Monde à propos de la migration de Haïtiens vers la Guyanne, laboratoire d’une méthode pour limiter l’asile. Je place cet article en fichier joint.
Ceci dit, je livre en cette page le témoignage de Jeanne.
Jeanne, célibataire, est à la retraite. Elle habite une grande maison et un jardin. Elle est bien impliquée avec ses voisins dans la vie associative de son village. Jeanne a été bénévole à « Forum réfugiés ».
Un accueil inconditionnel
Forum réfugiés est une structure d’accueil et d’hébergement qui s’occupe des demandeurs d’asile pendant tout le temps de leurs procédures auprès de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) et de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration). Cette structure assure l’hébergement en CADA (Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile) ou à l’hôtel. Elle accompagne les personnes auprès des instances concernées, assure des cours de français, etc... Mais elle ne prend plus en charge tous les demandeurs qui sont déboutés du droit d’asile avec une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), ceux-ci tombent alors dans la clandestinité s’ils ne repartent pas dans leur pays d’origine, ils ne touchent, alors aucune aide, beaucoup d’entre eux restent en France car ils ne savent plus où aller et le retour au pays s’avère impossible pour de multiples raisons. C’est le cas pour de nombreux migrants dont les pays sont dits « sûrs » par la France mais ne le sont, de fait, pas vraiment (problèmes économique, démocratique). Cela concerne des pays tel que : la Serbie, le Kosovo, l’Albanie, l’Arménie, la Géorgie, le Sénégal… Un exemple. La France connaît une hausse de 66 % de demandeurs d’asile venus d’Albanie 7 630 demandes en 2 017 (source OFPRA).
Jeanne donnait des cours de français dans cette Association, mais elle n’a pas pu se résigner à laisser à la rue ceux, qu’elle accompagnait, déboutés du droit d’asile.
Voici son témoignage :
« La première famille avec laquelle je me suis engagée venait de Géorgie quand elle a été déboutée, je l’ai soutenu pendant un an, puis une Association a pris le relais. Le père de famille avait pu acheter une vieille caravane, j’ai trouvé un emplacement pour la mettre il y a eu les aides financières, les fournitures de vêtements, je les ai orientés vers les Restaurants du Cœur, la Cimade et tout un réseau relationnel s’est mis en place autour d’eux. Des liens d’amitié se sont tissés. À force de ténacité, bien qu’ayant une OQTF, nous avons trouvé une solution, puisque Claudia vient de trouver un travail en CDI, qui lui permet l’obtention d’une carte de séjour. À leur contact, ils m’ont fait découvrir qu’on avait toujours quelque chose à donner même si l’on ne possédait rien, nous avons noué des liens d’amitié qui perdurent encore aujourd’hui.
Puis il y a eu une deuxième famille albanaise avec un enfant de 3 ans qui ne pouvait plus loger en Foyer car le petit garçon avait contracté la varicelle, je les ai installés chez moi pendant trois semaines.
La troisième famille que j’héberge actuellement est celle d’Hélèna, de Trosghim, son mari, et d’Oriana leur fille de 8 ans. Ils venaient de recevoir leur refus de demande d’asile et devaient quitter le CADA où ils vivaient. Je leur donnais des cours de français depuis 2 ans. Je n’ai pas eu le cœur de les laisser à la rue. Je les ai donc emmenés chez moi, sans limite de durée ; c’était un peu l’aventure, je n’ai pas réfléchi longtemps ; ils n’ont aucune ressource, si ce n’est une aide alimentaire des restos du cœur. Je suis propriétaire de ma maison et ma retraite d’infirmière est de 1 730 € par mois. Je ne me suis pas coupé les « cheveux en quatre ». Il fallait le faire. Je n’aurais pas pu les savoir dehors, c’était une évidence. Je les ai installés au deuxième étage et nous partageons les parties communes (salle à manger, cuisine, salle de bains). Au début, ils se sentaient redevables de tout ; c’est tellement dur d’être hébergé chez quelqu’un ! Ils ne voulaient pas passer pour des profiteurs, alors ils voulaient tout faire dans la maison, ménage, cuisine, repassage. Je n’étais pas d’accord, alors nous nous sommes organisés, nous effectuons les taches ménagères en alternance. Nous mangeons ensemble, en partie avec l’alimentation qui leur est fournie par les restos du cœur et les produits du jardin. Nous cuisinons à tour de rôle des repas français et albanais. J’ai un grand jardin que je n’arrivai plus à entretenir seule. Trosghim a été pour moi d’une aide très efficace ; il a réaménagé et redonné au jardin toute sa splendeur. Trosghim était agriculteur en Albanie, il m’a beaucoup appris sur la culture des plantes.
La petite Oriana va à l’école du village où elle est bien intégrée. Je leur ai fait rencontrer mes amis, je rencontre les leurs. Il y a parfois des moments difficiles mais on règle les différents rapidement par le dialogue ; chacun a trouvé son rythme de vie. Dans des situations pareilles, on mesure vite l’essentiel.
Je ne sais pas combien de temps va durer cet accompagnement particulier. Hélèna et Trosghim me disent « on a de la chance de t’avoir rencontrée, tu nous as offert un toit, on n’aurait jamais pensé rencontrer quelqu'un comme toi et tes amis. Nous pouvons attendre ainsi plus sereinement la suite des événements, ça atténue les grandes angoisses ». Je suis soutenue dans cet accueil par diverses Associations, le Secours Catholique, la Cimade, tout un réseau qui se charge des démarches administratives. Pour l’instant cette famille vient de nouveau d’être déboutée mais nous n’abdiquons pas. Il y a d’autres pistes, d’autres avant eux ont réussi grâce à la solidarité. Nous marchons ensemble.
Pour moi qui vivait seule et qui, dans ma jeunesse, ai souffert de problèmes familiaux assez lourds, je découvre ce qu’est « la chaleur familiale » et qui m’a tant manquée enfant.
Je réalise que de ce parcours avec ces familles sans papiers, découle d’une solidarité que j’ai moi même reçue de la part des amis, des mouvements syndicaux, associatifs ou d’Action catholique dans lesquels je suis engagée depuis longtemps. Tout cela m’ouvre à d’autres cultures ; j’ai vécu un an en Inde, enfant, avec mes parents ; cela m’avait sensibilisée aux problèmes de l’exil. Cette ouverture aux gens me conforte dans ce que je suis et m’enrichit, me permettant de découvrir en moi des choses que je ne connaissais pas. Je suis sûre que ce séjour chez moi va permettre à cette famille d’être mieux intégrée en France.
Devant cette situation de vulnérabilité, nous ne savons pas de quoi demain sera fait pour eux, cela m’a paru indispensable, malgré les risques encourus de m’engager avec eux. Je continue. Ils sont pour moi une famille et je sais que les liens d’amitié que nous avons noués ensemble sont indéfectibles.
Il y a plus de satisfactions et de bonheur à ouvrir sa porte plutôt que de la laisser fermée.
Jeanne