Il est donné à l’artiste de proposer, de laisser voir…accompagnant ses œuvres avec cette intériorité qui nous vient du plus profond de l’âme
Ce jour je rédige le trimestriel de Résurgence(s) qui sera principalement dédié à la biennale d’art sacré actuel, visage de l’invisible - session 2019. L’exposition se tiendra à Lyon dans la chapelle du lycée Saint-Marc tenue sous la tutelle de la Compagnie de Jésus. Voir ici les informations.
Mon souci dans la rédaction de ce numéro d’octobre est de montrer le dialogue, au sein de l’Église, que nous avons (ou essayons d’avoir) avec les artistes des arts plastiques. Dans nos réflexions associatives, il nous arrive souvent de constater que l’Église à Lyon ne fait pas de ce dialogue une priorité. C’est comme si l’on n’avait pas besoin des créations artistiques en ce domaine.
J’ai été très content de découvrir sur la toile et de lire une homélie prononcée à Marseille à l’occasion d’une Messe des artistes. Des artistes connus, André Gence, Michaël Frontini… sont cités dans cette homélie. Je reçois tout cela comme un appel pour notre Église à Lyon. Bref, je suis heureux de vous donner à lire cette homélie prononcée le 10 février 2016 par le Recteur de la Basilique du Sacré-Cœur de Marseille, Mgr J-P Ellul.
Chers frères et sœurs,
chers amis,
L’antienne d’ouverture de cette eucharistie nous introduit immédiatement dans notre désir de rendre grâce pour les dons que le Seigneur met en nous, car il aime tout ce qui existe et n’a de répulsion pour aucune de ses œuvres. Nous voici devant la sainteté de Dieu créateur, en ce mercredi des Cendres, en cette année du Jubilé de la Miséricorde, pour rendre grâce pour les multiples dons que nous avons reçus, nous permettant avec Lui, d’être créateurs dans toute la palette des arts, aux résonances multiples sur les instruments qu’il nous est donné de jouer, et investi par cet Esprit de feu qui dès l’origine de la création planait sur les eaux lorsqu’il créait le ciel et la terre et qui met en nos mains pour les placer sur la toile ou le papier, ce surcroît d’âme qui nous laisse souvent interrogateurs tant il sème largement pour nous un peu de sa créativité. Nous le savons bien, c’est une grâce, un bonheur, mais aussi une grande responsabilité, car il est donné à l’artiste de proposer, de laisser voir, de suggérer, entendre, accompagnant ses œuvres avec cette intériorité qui nous vient du plus profond de l’âme. Oui une grande responsabilité, mais aussi souvent une grande souffrance, avec son cortège de questionnements essentiels à tout artiste, qui fait participer à la beauté, à la culture, au laisser voir et par là nous permets de donner un peu plus d’humanité dans un monde où le profit, la haine, le repli, l’égoïsme le tragique reprennent toujours leurs droits. « L’artiste veut dépasser tout cela pour questionner le monde, le sens de la vie, l’éternité. Et nous savons que l’art est comme un fruit qui mûrit, une tentative de faire naître un monde nouveau. Ainsi l’artiste ne se contente pas de ce qui est, de ce qu’il voit, il doit faire naître autre chose. » (André Gence). Je voudrais rappeler pourquoi nous sommes rassemblés pour la messe des Artistes. Un peu d’histoire ! C’est en 1914 que l'architecte Pierre Regnault, fondateur de l'Union des catholiques des beaux-arts, invite ses membres à une messe qui serait célébrée en mémoire des membres défunts. Et Adolphe Willette peintre de Montmartre, pierrot noir et trublion, dont en ces années-là les prises de positions politiques posent question, -un square au pied du Sacré-Cœur portera son nom jusqu’en 2004, avant d’être débaptisé (car on se souvint alors de son antisémitisme, mais cela, c’était avant sa conversion), répond à l'invitation, mais suggère de faire célébrer cette messe « pour ceux qui vont mourir, et que cet office soit fait dans une vieille église de Paris, une église historique, par exemple l'église Saint-Germain-L’auxerrois, le Mercredi des Cendres ». Le 28 juin 1914, lors de l’inauguration d’un monument à Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, Villette qui avait frôlé la mort à la suite de graves problèmes de santé, conclut son discours par ces mots : « ceux qui vont mourir te saluent ». Le 4 février 1926, Willette meurt et la messe pour les artistes a lieu pour la première fois le 17 février. Il semble donc qu’il n’ait jamais participé à cette messe. Après une interruption durant la période de la guerre de 39-45, en 1951 une plaque est inaugurée à Saint-Germain l’Auxerrois ; on y lit, que dans cette église suivant le vœu de Willette réalisé par Pierre Regnault, les artistes de Paris, en union avec leurs camarades du monde entier, viennent depuis le Mercredi des Cendres de 1926, recevoir les cendres pour ceux qui d’entre eux vont mourir dans l’année. Elle fut bénie par Mgr Roncalli, alors nonce apostolique. Louis Jouvet lit la prière et il meurt quelques mois plus tard. Après des tensions en 1997, la messe aura lieu l’année suivante à Saint-Roch. Ce sont trois raisons que le Père Janvier, premier aumônier de l’Union Catholique des Beaux-arts développe : comme l’évangile en ce Mercredi des Cendre, un avertissement est adressé aux artistes glorieux, tout en encourageant les artistes moins chanceux, et un rappel à tous et spécialement à ceux qui vont mourir dans l’année, de la grande vanité des ambitions et des gloires qui passent. A Marseille, cette messe fut célébrée au couvent des Dominicains, mais dès mon arrivée à Saint-Victor en 1981, le Père Georges Durand, Georges Lauris dont nous entendrons la prière pour les Artistes Défunts à la fin de cette eucharistie, qui est une reprise plus poétique du texte de Willette, me pria de la célébrer à Saint-Victor. Ce qui fut fait durant plus de 19 ans. Quelques difficultés pourtant : l’horaire de fin de journée qui ne convenait pas aux artistes se préparant à entrer en scène ou participant à des concerts ; la lecture du vœu était lue par un artiste de l’Opéra à la retraite. Avec l’Association Les Amis de Saint-Victor et notre Commission diocésaine Foi et Culture, elle fut donc proposée à midi et j’invitais alors des personnalités marseillaises qui acceptaient de lire la prière pour les Artistes. Après les années 2000, l’église Saint-Charles accueillit cette messe puis au départ de l’aumônier des artistes, devant les atermoiements de ceux qui en s’étaient chargés, et comme cela se fait quand on veut enterrer une idée ou un projet, on se promit de voir à quelle date la célébrer… quelle en était le sens et pourquoi un Mercredi des Cendres, ce qui prit encore deux ans, avant que je ne prenne la décision de la célébrer ici au Sacré-Cœur, car les Artistes le demandaient. Il y a près de 30 ans, le 13 février 1987, fut créée la Commission diocésaine Foi et Culture à l’invitation du Cardinal Robert Coffy, qui eut pour objectif « une meilleure compréhension des hommes et des cultures, dans leur relation avec la foi au sein de l’Église. Ainsi Culture et Foi, étaient appelées à se rencontrer et à agir l’une sur l’autre, spécialement sur le terrain de la communication. » Voilà comment était formulé le souhait du Cardinal Robert Coffy. De fait elle s’inscrivait dans une structure plus vaste, émanant du Conseil Pontifical pour la Culture, dont le pape Jean-Paul II, avait confié la présidence au cardinal Paul Poupard. Nous entourant de nombreux marseillais du monde des arts et de la musique, de la culture, presse et médias, soucieux de privilégier l’écoute, de découvrir, de susciter, d’accompagner tout ce qui dans Marseille, permettait d’accéder à une connaissance qui dépassait les rapports socio-économiques pour accéder à une connaissance plus universelle, qui donne place à la créativité. Ainsi s’exprimait le Père André Gence à qui j’avais confié la présidence de l’Association qui en accompagnait notre Commission diocésaine. Ainsi, Biennale d’Art contemporain, nombreuses expositions, conférences, création des « Trois Jours avec », permirent à ceux qui venaient à Saint-Victor, de participer à des colloques, des concerts et tables rondes autour de thèmes proposés, où Fra Angelico, Thomas More, l’inventeur de l’Utopie, Saint-Benoît, fondateur de l’Ordre bénédictin et patron de l’Europe, Poésie et Sacré pour le centenaire de la mort d’Arthur Rimbaud, rappelant nos démarches d’éternité. Je revois les suaires de Mario Prassinos, chemin de souffrance, arbres décharnés et coulant de pleurs, rappelant à la fois la création et notre finitude ; l’exposition en la cathédrale de Marseille du Chemin de la Croix d’Henry le Chénier, devant un public nombreux, mais qui ne comprenait pas très bien l’union hypostatique du Christ, et dont le visage triplé nous renvoyait à la trinité divine. « Lui qui parlait de la peinture comme d’une chose brûlante, toujours à approcher avec hésitation, doute, mais en se lançant, et là comme ses corps, en mouvement, et mêmes statiques, qui étaient traversés d’un feu vital, incroyable, saisissant. Avec ces divisions intérieures, bien sûr ontologiques, qui défigurent pour rendre tellement forte une sorte d’essence du frémissement de l’être », écrivait Alexandre de la Salle. Ainsi la création du chemin de Croix proposé par nos amis de Zébédée. Jean-Marie le souligne : « Avec quelques morceaux de cartons, de bouts de ficelles, un peu de peinture et de l’imagination à revendre, nous pouvons aller loin… la preuve ! » Oui, écrit Jeannot l’un de créateurs, avec Suzanne, Louise, et j’en oublie peut-être : « Pour les ouvriers du Chemin de vie qui fut long à voir le jour. Il fut difficile à faire, mais le bonheur de le voir terminé est extraordinaire. Main dans la main, nous y sommes parvenus avec l’aide de la grâce et de l’amour de notre Seigneur Jésus-Christ » et je me permets d’ajouter, avec l’aide amicale du Père Michaël Frontini. La souffrance rédemptrice du Christ est là pour nous sauver de notre finitude, nous fait réfléchir à notre existence, nous permet de nous projeter vers l’infini. Mais aussi cette exposition des œuvres d’André Girard dans les cryptes de Saint-Victor en 1998, ce magnifique peintre des textes évangéliques, rappelant cette parcelle d’intériorité puisée dans les textes du Nouveau Testament, montrant la souffrance de celui qui donna sa vie pour nous, mais également rappel incessant de la mort de son épouse en camp de concentration, qui avec des milliers d’autres étaient sacrifiés par haine de la civilisation, du judaïsme, du christianisme, de la liberté, et que le nazisme, dans sa folie meurtrière voulait éradiquer. Le Père Georges Durand, Georges Lauris, écrivait : « J’aurais vu se dresser le Mur de la Honte. Derrière moi, surplombant l’histoire, la muraille sacrée : le Mur des Lamentations, sainte face de pierre. À l’horizon la fumée fétide des crématoires ». Qui ne se rappelle la grande toile des pèlerins d’Emmaüs qui dans ces cryptes millénaires, rayonnait d’une douce lumière, celle de la rencontre avec le ressuscité. Toute sa vie il avait cherché la lumière, peignant sur des pellicules les paraboles de l’évangile de façon à ce que la lumière vienne de l’intérieure et fasse miséricorde. Pour ce centenaire d’Arthur Rimbaud, la proposition qui était faite, était de montrer que son aventure, était d’abord celle d’un poète qui voulait ranimer « le langage à la lettre et dans tous les sens», parce qu’il rêvait de changer de vie. Rappelait Dominique Sorrente. Sortir du conformisme social étouffant et des brumes de l’est, devenir fils du soleil, tenté de transgresser la mort dans une saison en enfer : c’est ainsi que le sacré fait irruption dans la conscience du poète, porteur de la contradiction humaine. C’est pourquoi tout vrai poème est mélange de regret et d’attente, de blessures et de soif amoureuse… Aux confins de la parole ordinaire, la parole poétique tend vers le silence qui constitue son accomplissement… Le poète est toujours un peu exilé dans l’âge de l’utile… Risquons un paradoxe : cette situation en cette fin de millénaire (nous étions en 1991, lors de la proposition des « Trois Jours Avec » la Poésie et le Sacré) est une chance. Dans notre société d’images et de simulacre, de bruitage et de communications manquées, les poètes nous obligent à réveiller en nous le sens des mots, ils nous rappellent que l’acte de poésie et l’acte de création ne font qu’un. Ils renvoient chacun d’entre nous à l’exigence de la parole ! » (Dominique Sorrente). Le temps me manque pour faire mémoire de toutes ces années, où avec le Père André Gence, le père Paul Amargier, Suzy Fouchet et Geneviève Deltort, Janine Moreau, et ceux et celles qui sont parmi nous ce matin, nous faisions ces propositions, où l’orgue, les instruments lors des concerts du Festival de Saint-Victor et du CPMC, nous invitaient à la contemplation de celui qui nous permet sans cesse de nous recréer, tissant en nous des fils croisés donnant une tapisserie aux couleurs chatoyantes, des toiles où les couleurs et la peinture viennent redire notre désir de beau, mais traversée du noir de nos dénégations, les tâches de nos abjections et quelques fois de nos péchés, mais retrouvant toujours le sens de beau, de l’émerveillement, sous le regard aimant de celui qui viens nous rappeler que si nous ne sommes pas humbles, nous avons déjà touché notre récompense. Il se pourrait que l’an prochain pour l’anniversaire des 30 ans de « Foi et Culture », nous proposions ce qui fut vécu dans un ouvrage qui en retracera les grandes heures. Pour l’instant, c’est vers le Chemin de la Croix et devant les œuvres picturales que Chantal Léandri, Valérie Duron, Christiane Viet-Laplane et Maylis d’Alençon que nous tournons nos regards. Nous les en remercions, car ces œuvres nous ouvrent à la grâce, au questionnement, à la délectation. Tout à l’heure Hugues de Jubécourt, qui dira la prière pour les artistes nous proposera ses poésies, après que Christophe Guida, Stéphanie Ventoso, Jean-Christophe Born, Sébastien Delgado, nous transportent dans un ailleurs musical qui fait chanter Dieu, alors que les cendres que nous allons recevoir, nous rappellent notre finitude. Elles sont si légères, éparpillées au moindre souffle du vent, marquant nos fronts où en cette année du Jubilé de la Miséricorde, le pape François nous renvoie vers ces plus pauvres, et nous dans notre prière, nous pensons à tous ces artistes qui durant des années furent applaudis, adulés, recherchés et qui souvent vivent dans la solitude et le repli, peut-être délaissé de tous, mais ayant au cœur, comme un joyau, leurs créations, qui les accompagneront par delà leur mort, laissant aux générations futures un signal, celui du beau, dans une humanité revisitée dans laquelle ils ont essayé de mettre un peu plus d’amour. Ayons une prière et une pensée pour eux. C’est cet amour qui se reflète sur le visage du Christ et de Marie sa mère. Ils vont accompagner notre chemin de conversion tout au long de ce jubilé. Je me souviens de ces phrases de Marthe Robin, que vous connaissez certainement. Les voici : en 1936, elle confie cette prophétie concernant la France, au Père Finet, le co-fondateur des Foyers de Charité : « La France tombera très bas, plus bas que les autres nations, à cause de son orgueil et des mauvais chefs qu'elle se sera choisis. Elle aura le nez dans la poussière. Il n'y aura plus rien. Mais dans sa détresse, elle se souviendra de Dieu. Alors elle criera vers lui, et c'est la Sainte Vierge qui viendra la sauver. La France retrouvera alors sa vocation de Fille aînée de l'Église, elle sera le lieu de la plus grande effusion de l'ESPRIT-SAINT, et elle enverra à nouveau des missionnaires dans le monde entier.» Et je me permets d’ajouter que par leurs arts les artistes y participeront ! Amis artistes, le Seigneur vous aime, il vous accompagne, vous soutient, il ne tient pas compte de ce qui peut « retenir » vos vies, car il est toujours là, miséricordieux et aimant, nos tendant les mains, accompagnant nos œuvres, nous permettant d’être avec lui, artisans de sa création, comme aux premiers jours de la Genèse. Le souffle de Dieu est sur nous tous en nous. Ne sentez-vous pas la caresse de ce souffle divin ? Il nous recrée sans cesse et nous lui disons merci pour les éclats d’éternité qu’il met dans nos vies. Amen.
Mgr J-P Ellul.