“L’Église devrait, comme le Pape l'a fait publiquement, se mettre à genou et demander pardon pour ce qu'elle a été et ce qu'elle est encore”

Publié le par Michel Durand

“L’Église devrait, comme le Pape l'a fait publiquement, se mettre à genou et demander pardon pour ce qu'elle a été et ce qu'elle est encore”

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Recevant le texte (ci-dessous) d’un collègue qui vient d’atteindre les 90 ans, je le dépose en ce lieu, estimant que c’est un bon outil de réflexion. La nouvelle génération d’ecclésiastiques critiquant les « soixante-huitards » a-t-elle connaissance de la réflexion exigeante qui existait et existe toujours chez les chrétiens et chrétiennes qui voudraient une plus grande implication de l’Institution ecclésiale dans la vie ordinaire des citoyens ?

J’invite à lire ce que je considère comme une pièce versée au dossier de l’Église dans le monde de de temps.

 

Lettre d'un prêtre R. S. (août 1968)

 

Depuis plus de 2 mois que j'ai quitté le secteur et en guise d'au revoir, voici ce que j'ai envie d'écrire.

D'abord je voudrais remercier tout le monde et remercier Dieu en chacun pour ces 7 années de travail en commun.

Oui je rends grâce au Seigneur pour tous ceux qui m'ont permis d'être, d'une certaine manière , présent dans le Monde Ouvrier et dans une quantité importante d'usines, de quartiers, de clubs... et cela d'une façon continue. Je revois encore, comme si c'était hier, ma 1re tournée dans Villeurbanne, en 2 C.V, avec deux fédérales et mon prédécesseur ; leur manière de me décrire, au passage, chaque milieu avec ses personnes, ses problèmes, ses luttes… a été pour moi un début.

Je rends grâces pour tous ceux qui m'ont fait partager la Vie ouvrière quotidienne. J'entendrai longtemps, j'espère, les « coups de gueule » ou « les pleurs » de tel ou telle face aux conditions de vie de son travail, de sa famille, de ses temps libres… Souvent j'y ai reconnu l'indignation du Père devant la souffrance de ses fils, la colère de Dieu, l'agonie du Christ, l'appel adressé au Sauveur.

Parfois certains s'excusaient de déballer tout cela, qu'il s'agisse de situation collective ou de problèmes très personnels, alors que c'était souvent leur manière la plus naturelle et la plus vraie de commencer à exprimer cette vie en prière.

Je rends grâces pour tous ceux qui m'ont crié à la figure leur rancœur contre l'Église, celle de Rome ou de Villeurbanne, la mienne aussi ; ma mentalité, celle qu'ils sentent trop souvent liée aux puissants, aux riches, aux belles paroles... à un autre monde, étranger et ennemi et qu'ils rencontrent si peu sur leurs routes à eux.

Pour tous ceux, prêtres ou laïcs, qui m'ont dit leur écœurement dans l'Église et qui, en même temps, donnent leur vie pour faire naître l'Église de Jésus-Christ, dans le monde d'aujourd'hui. Soupçonnent-ils combien ils m'ont fait souffrir et combien ils m'ont rendu service ? Que de fois j'ai été séduit en eux par le Christ écartelé sur la Croix pour que naisse l’Église de Pentecôte. J'en rends tout particulièrement grâce, car souvent ils m'ont ouvert les yeux et transmis l'appel de Jésus Christ.

Pour tous ceux, prêtres ou laïcs, qui savent constamment recommencer, continuer souvent sans voir beaucoup de résultats, parfois découragés, mais non pas abattus. Le travail de la fédé J.O.C.F. repose sans cesse sur le travail obscur, mais quotidien de quantité de personnes qui n'avaient pas, eux, la chance d'en voir la récolte assemblée en un tout organique par le mouvement. Pour tous les prêtres qui ont accepté d'assurer ce que malheureusement nous considérons comme des corvées, afin que d'autres, et moi en particulier, soient totalement attachés à une évangélisation adaptée au monde qui naît. Je n'oublie pas les prêtres avec qui j'ai pu échanger fraternellement et notamment ceux qui acceptaient que j'exprime parfois durement les critiques du Monde Ouvrier envers le système ecclésiastique qu'ils représentent malgré eux plus que moi.

Surtout, je rends grâces pour la soif de Dieu que j'ai rencontré en Monde Ouvrier,
- la soif de Révision de Vie authentique,

  • la soif de prêtres qui aident vraiment,
  • la soif de sacrements valables, d'une Église dans laquelle le peuple se reconnaisse,
  • la soif d'une Église dans laquelle le peuple reconnaisse le Dieu de l’Évangile
  • la soif de reconnaître le travail de Dieu dans le cœur des copains et du monde.

Que de fois en me couchant, j'ai dit en toute vérité certains psaumes : « Le Seigneur fit pour moi, fille du peuple, des merveilles ». « Mes yeux, aujourd'hui, ont vu ton salut… »

Je rends grâces aussi pour l'amitié humaine que nous avons partagée parfois. C'est une des premières choses qui m'a frappé dans certaines équipes et chez les militants de Villeurbanne. Je pense, en particulier, même si ça parait idiot, à tous les laïc(que)s avec qui on s'est tutoyés, à tous ceux qui m'ont fait partager telle fête ou telle tristesse, la table de famille, à tous ceux qui m'ont été présents, même sans savoir le dire parfois, lors de la mort de mon Père.

Sur ce plan d'ailleurs je sens combien j'ai à me faire pardonner. Trop souvent mon silence mystérieux a été un refus de partager en ami ce que je portais en moi. Embarrassé peut-être par beaucoup de confidences, par peur d'indiscrétion, je n'ai pas su vraiment partager. C'est peut-être aussi parce que j'avais tellement peur de cléricaliser les laïcs que je ne voulais parler que de ce qu'ils apportaient. Par là je voulais aussi réagir contre le danger de jouer au copain avec des jeunes dont on pourrait être le père et aussi de les détourner de leurs vrais copains en les cléricalisant d'une nouvelle manière.

Plus je vais, plus je sens combien toute l'Église devrait, comme le Pape l'a fait publiquement, se mettre à genou et demander pardon pour ce qu'elle a été et qu'elle est encore ; et de cette église, je me sens bien solidaire. Rarement j'ai su partager, avec prêtres et laïcs, les merveilles de Dieu dans le Monde Ouvrier qu'il m'était donné de découvrir et que j'aurais dû proclamer au lieu de me lamenter en critiques ou exigences.

Trop rarement j'ai pris le temps et les moyens de continuer la contemplation amorcée en Révision de vie. Quand on a vu ce que fait Jésus Christ dans une entreprise, un bureau, comme il faudrait prendre le temps de se demander qui est-il pour agir ainsi ? Et donc de passer un moment d'intimité avec celui qui agit ainsi. C'est si important de découvrir l'Autre et non pas seulement ce qu'il fait.

Quand les adultes ont l'impression de routine en Révision de vie, quand les jeunes me disaient que les aumôniers parlent trop ou pas assez, mais rarement au bon moment, j'ai souvent compris qu'ils me demandaient de rencontrer avec eux Quelqu'un et non pas des valeurs.

À force de me dire que nous ne les aidions pas assez, comme ce militant A.C.O. qui disait : « Vous soutenez notre générosité, mais vous ne nourrissez pas notre foi », c’est-à -dire : vous nous donnez des stimulants plus que de vitamines, les laïcs m'ont fait découvrir tout le travail théologique ; c’est-à-dire tout le travail de l'intelligence qu'ils attendent de nous : savoir dire avec les mots du Monde Ouvrier, avec sa manière de s'exprimer, ses images… tout ce qui nous est révélé dans la Bible, tout ce que les chrétiens, depuis 2000 ans, ont-.découvert dans la vie et dans la bible… Quelle tâche immense, mais exaltante que j'ai si peu essayée… c'est tellement plus facile de parcourir les revues ou même des livres que de travailler, de penser, de relire ses notes... C'est tellement plus facile de dire : le livre « Dieu aime les païens » est formidable... que de faire à son tour le travail qu'a fait J. Dournes dans son peuple… J'ai souvent suivi cette facilité, il a fallu les monographies demandées par l'Aumônerie J.O.C. pour m'y accrocher un peu.

Je parlais tout à l'heure de vos souffrances dans l’Église ; j'ai souvent manqué de courage pour les répercuter dans la hiérarchie. Pourquoi ai-je si peu dit aux intéressés que c'est un scandale d'avoir plein la bouche du Monde Ouvrier quand on détache plus de cent prêtres au monde scolaire alors qu'il faut pleurer pendant des mois pour qu'on maintienne deux prêtres détachés pour la Jeunesse Ouvrière. Pourquoi n! ai-je dit qu'au cardinal que c'est un scandale de confier à peu près toutes les tâches diocésaines à des prêtres qui n’ont, en fait, jamais communié à la condition ouvrière et qui n!en ont pas conscience ? Pourquoi leur ai-je si peu révélé les merveilles de l'Esprit dans le Monde Ouvrier comme Paul et Barnabé à Pierre et Jacques?

Il est probable aussi que j'ai manqué d'audace et surtout d'invention pour suivre l'action apostolique dans le Monde Ouvrier. Est-ce que je n'aurais pas dû me rendre plus présent à certains milieux qui mûrissaient ? Est-ce que je n'aurais pas dû soutenir plus de rencontres de milieux ? De ventes massives ? De récos-éclairs ? Ce que nous avons ensemble inventé pour les veillées du Vendredi saint, les fiançailles religieuses à la maison du peuple... n'aurait-il pas dû se faire plutôt, plus souvent... j'ai souvent été en retard sur l'Esprit saint.

Tout ça, c'est un peu mon péché ; il y en a bien d'autres, en cela au moins on est tous frères, même avec les capitalistes.

Notre souffrance de prêtres, c'est un peu de nous sentir étrangers dans la hiérarchie, surtout quand on n'est pas de son milieu social, quand on a ni ses manières, ni son langage, ni ses relations. En même temps qu'on est étranger dans le Monde Ouvrier, puisqu’on a tout fait pour nous en couper.

Si nous ne partageons pas l'insécurité matérielle du Monde Ouvrier, combien de fois nous nous sentons frustrés, nous aussi, de notre part de responsabilité (dans l'Église), incapables de faire comprendre ce que nous ressentons pourtant profondément ; gonflés par de très bonnes paroles qui rarement deviennent des actes, contestés dans un langage étranger qui ignore bien souvent la réalité.

Plus d'une fois, en tout cela, nous sommes très solidaires du Monde Ouvrier.

De par mon origine ouvrière, de par 11 années passées au séminaire, je serai toujours un étranger dans les milieux d'aujourd'hui sans en être plus universel pour autant.

N'est-ce pas la condition de tous les missionnaires ?

L'essentiel c'est de savoir qu'on est étranger, qu'on le restera et de se hâter à faire naître une Église indigène originale, nouvelle dont on ne sait pas d'avance ce qu'elle sera.

C'est ce que j'ai le plus découvert à Villeurbanne. Rejoignant cela, un évêque nous disait récemment : « nous nous trouvons devant le problème des judaïsants et des hellénistes des actes des apôtres ».

Je crois qu'il faut avancer plus en faisant naître l'Église dans le M.O. ; nous gardons trop l’idée qu'il faut faire évoluer les paroisses actuelles pour que le M.O. y trouve sa place, je ne crois pas que ce soit la solution.

À nous, prêtres, il nous revient d'aider les pratiquants à grandir dans une foi authentique, dans la mesure du possible, mais avec les militants, nous avons autre chose à faire, surtout avec les jeunes.

Notre « agir » apostolique reste trop timide, il nous faut inventer avec eux des communautés chrétiennes nouvelles, une liturgie autre... qui n'aura probablement que peu de choses à voir avec notre structure territoriale actuelle. Ne faut-il pas, pendant un certain temps, accepter que coexistent, deux structures différentes, mais non pas étrangères, différentes, c’est-à-dire autonomes, relativement complètes en elle-même, animées par le même Esprit certes, mais le réalisant de manières très différentes, dans des communautés et structures différentes.

Cette coexistence, ce respect des différences n'ira pas sans problèmes, mais il me semble nécessaire à tous.

Est-ce dans ce sens aussi qu'il faut parler de spécialisation du prêtre ?

Dans cette ligne, nous aurons beaucoup à nous défendre des traditions, mais non pas de la Tradition.

En fait, depuis 15 ans nous avons considérablement multiplié le travail traditionnel du prêtre : catéchisme, préparation aux sacrements... Tout ce qui part du culte plus que de la vie et de ses communautés naturelles. C'est peut-être que nous ne voyons pas assez ce qu'il y a d'autre à faire.

- En 1er, apprendre notre métier. Nous croyons qu'il suffit de savoir alors qu'il faut « savoir faire » ; ce n'est pas parce qu'on sait, pour l'avoir lu par exemple, comment on conduit une voiture qu'on sait conduire. De même notre métier d'apôtre, s'apprend.

Mous manquons de compétence professionnelle (et ce n'est pas l'année pastorale actuelle qui va la donner) et, consciemment ou non, nous en souffrons. Il faudra bien un jour se décider à prendre du temps, beaucoup de temps, pour apprendre sérieusement tel ou tel aspect de notre métier. À ce plan là, aussi, nous avons sans doute besoin de spécialisation.

Faire révision de vie avec des jeunes, cela s'apprend.

Éveiller des militants, de quelque manière que ce soit, cela s'apprend.

Animer des comités d'action, cela s'apprend, et cela s'apprend en faisant des exercices dirigés, des expériences réfléchies, confrontées...

Souvent lorsque nous disons : cela ne marche pas… il faudrait dire: je ne sas pas faire et ajouter : comment puis-je apprendre ?

Si nous voulons que l'église naisse dans le monde moderne et particulièrement dans le Monde Ouvrier, cela n'ira pas sans un vrai travail de tous qu'il nous faut savoir inventer et prendre au sérieux. Nous nous lassons à soutenir les Révisions de Vie en « crottes de chèvre » et c'est normal, mais n'y a t— il pas matière à autre chose ?

Je suis persuadé pour la J.O.C., par exemple, qu'elle rendrait dix fois plus, non seulement en quantité, mais surtout en dimension apostolique, si nous, aumôniers, nous connaissions notre métier.

On ne nous a pas permis le l'apprendre jusqu'à présent, on ne nous à même pas donné le goût de l’apprendre, n'est-il pas urgent de nous y mettre avec application ?

Nous notons des faits, mais ne faut-il pas faire une étude sérieuse des milieux: mentalité, langage... ? Que de fois on nous critique avec raison parce que nous généralisons des faits isolés sans faire une analyse sérieuse.

De même, en face des idéologies et des visées à long terme des mouvements ouvriers, qui lit les revues ouvrières sérieuses ? (le peuple, information...)

Recherche pour exprimer toute la foi dans ce langage ouvrier : théologique à partir de la Vie ; sens théologal de la justice par exemple l'unité et la division, charité et violence.

Que de simplismes dans nos « juger » !

Recherche pour une expression liturgique de la foi des militants et de certains de leurs copains dans des communautés originales et sans doute diverses. Sans oublier les plus simples. Coordination du travail pastoral sur certains milieux. Participation à toute la vie des mouvements (journées), et préparation des réunions au moins aussi sérieuses que celle des sermons.

 

Commentaire

Corinne Laurent, dans La Croix, écrit à propos d'Anne Hildalgo des mots qui, dans la ligne de cette page me donnent à penser : 

« Cette femme est tatouée au social », écrit le journaliste Serge Raffy dans la biographie Anne Hidalgo, une ambition qui vient de loin (Bouquins Éditions, parution le 15 septembre). « Comme tous les individus qui aspirent aux plus hautes fonctions, il y a un moteur secret, celui de la revanche sociale, bien sûr, mais surtout un attachement aux plus pauvres, qui n’est pas né de la lecture de Marx et d’Engels, mais qui s’est forgé aux cours de ses années de catéchisme, à Lyon, dans la paroisse de Saint-Pierre de Vaise. Aujourd’hui, elle s’est éloignée de la foi catholique pour se ranger dans le camp des agnostiques. Mais elle reste une missionnaire. »

 

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C
Merci pour cette lettre émouvante et pleine de sagesse.<br /> A bientôt
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