Pour une conversion de l’Église : synode sur la synodalité : « Il n’y a pas vraiment d’alternative pour l’Église et le monde d’aujourd’hui »
C’est un article de l’hebdomadaire « La Vie » que je donne aujourd’hui à lire. Il me semble qu’il est une aide efficace pour comprendre l’importance du Synode sur la synodalité. Certes, parler de synodalité est certainement plus facile que d’en vivre, mais il faut bien, d’une façon ou d’une autre, entrer dans cette dynamique. Si, un jour, les évêques oubliaient leur chapeau à corne, leurs vêtements d’apparat et autres accessoires, chapeau carré ou rond... noir, rouge ou faux violet... ce serait certainement une occasion d’aller plus vite dans l’application d’un comportement synodale. Je reparlerai de ces modes vestimentaires. Pour l’instant, place au journaliste de La Vie. Il développe plusieurs idées que je trouve primordiales pour maintenant : les éloignés de l'Église, la vie de disciple missionnaire comme style d'existence, l'engagement christique dans le siècle.
Le théologien franco-suisse Arnaud Join-Lambert a été nommé récemment par le Vatican membre de la commission pour la méthodologie en charge de préparer le synode sur la synodalité qui s’ouvre cette année. Pour « La Vie », il décrypte les nouveautés et les enjeux de cet événement.
Par Marie-Lucile Kubacki à Rome.
Quels sont les enjeux de ce synode sur la synodalité ? Que peut-on en attendre ? Pourquoi serait-il judicieux de s’y intéresser ? Comment respecter les délais impartis ? Alors que la phase diocésaine doit s’ouvrir dans un mois (d’une durée de six mois, suivront une phase continentale, de 2022 à 2023, puis un synode universel romain, en octobre 2023), Arnaud Join-Lambert, théologien spécialiste de synodalité et professeur à l’Université catholique de Louvain nous répond… sans langue de bois.
Un jour, un prêtre m’a dit : « les synodes, peu importe, car au fond il n’en sort jamais rien de très nouveau ». Avez-vous le sentiment que cela change ?
C’est une excellente question ! Ce synode romain-là est particulier parce que son but n’est pas de produire des documents. C’est écrit noir sur blanc dans les différentes instructions. Mais il y a un paradoxe car si l’intention explicite du pape n’est pas de changer les choses formellement d’un point de vue structurel, le thème touche en grande partie aux structures. C’est que l’intention du pape est assez fine : son propos est de manifester que l’on ne peut changer les structures de manière efficace sans transformer la manière de les vivre et de les habiter.
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Voilà pourquoi la notion de « style » revient beaucoup dans les documents préparatoires. Il s’agit de s’écouter et de dialoguer sur un sujet qui concerne toute l’Église, en espérant que cette expérience-même suscite un changement de comportement qui donne lieu à un changement de structure. Dans la commission pour la méthodologie, nous voyons que c’est un véritable enjeu, et que c’est vraiment difficile.
En quoi ?
Lors des deux synodes romains sur la famille, il y a eu une consultation universelle, mais certaines questions étaient fermées. Là, les questions sont ouvertes. La proposition faîte aux diocèses, dans un premier temps, est de relire les expériences de synodalité, pour en tirer les limites et les forces.
La remarque de ce prêtre que vous citiez juste avant, et qui rejoint aussi des choses que j’entends, n’est pas fausse : un certain nombre de synodes diocésains, de conseils pastoraux et même presbytéraux, ont donné l’impression de ne pas être forcément utiles, parce que les membres n’étaient peut-être pas entrés dans cette mentalité ou cette spiritualité de porter tous ensemble le tout de l’Église. En relisant les pratiques, peut-être va-t-on réussir à faire émerger cela.
La synodalité, en somme, c’est de réapprendre à se parler et à travailler ensemble - y compris et surtout avec ceux qui ne sont pas du même avis que nous !
Certes. Mais il n’empêche que des questions très précises se posent d’un point de vue structurel. Dans le document préparatoire, trois niveaux de synodalité apparaissent : vie quotidienne, structures, et événements, et on ne peut pas tout baser sur le style quotidien et la manière de vivre entre chrétiens.
Ces questions structurelles, du reste, commencent déjà à émerger, et continueront à le faire, probablement davantage pendant la deuxième phase, la phase continentale, qui est véritablement nouvelle. Peut-être l’expérience vécue pendant la première phase et les relectures de pratiques ou de non-pratiques synodales qui seront remontées à l’issue de cette période, permettront de poser des questions structurelles au niveau continental.
J’aimerais revenir sur cette question de « style », très présente dans les documents… En quoi est-ce une nouveauté ?
Le vocabulaire est nouveau car la notion en théologie et en pastorale est récente. Dans le magistère, elle l’est encore plus. Mais l’imitation du Christ est médiévale et elle peut être vue comme l’essence de cette question du style ! Ainsi c’est une nouveauté et en même temps cela ne l’est pas tout à fait. Dans le monde francophone, nous y sommes davantage habitués grâce aux travaux de Christoph Theobald et Gilles Routier (tous deux membres de la commission théologique du synode romain) qui ont déployé cela de manière convaincante, même si la notion fait encore débat parmi les théologiens. Cela renvoie à la manière d’être et de faire comme révélatrice de la foi, dans une logique de l’incarnation de la foi, à rebours d’une logique de foi plus théorique ou abstraite.
Pendant la phase diocésaine, les Églises locales sont invitées à consulter tous les baptisés, mais aussi à aller vers les périphéries et les gens qui n’ont pas l’habitude de participer aux structures et aux débats d’Église… en 6 mois. N’est-ce pas un peu court ?
C’est effectivement très court. Certains s’en plaignent à juste titre, avec en plus le risque que cela ne devienne pour d’autres un prétexte pour ne pas se saisir du sujet. Dans certains diocèses, l’équipe synodale était déjà nommée en juin. D’autres, encore, ont déjà fait un travail de relecture, comme le diocèse de Clermont qui sort de deux ans de réflexion sur la synodalité, vingt ans après la célébration de leur dernier synode diocésain.
Tous ne sont pas au même point et la difficulté est que ce délai ne permet pas à ceux qui n’ont aucune expérience de la synodalité d’en déployer une dans le temps imparti. Mais il faut bien comprendre que le contexte français, même s’il est inégal, est l’un des plus porteurs : presque 2 millions de Français ont participé de près ou de loin à un synode diocésain depuis 1983, ce qui est énorme. Sans compter les équipes et conseils au niveau des paroisses.
En France, cela me semble donc possible de faire des relectures en six mois, même si le défi, dans ce délai, sera d’être prospectif et proposant. Il y a des pays où cela risque d’être plus difficile. Quoi qu’il en soit, l’intention majeure est d’aller chercher ce qui existe, et de faire germer et pour pouvoir avancer, car il n’y a pas vraiment d’alternative pour l’Église et le monde d’aujourd’hui.
Pourquoi est-il important d’aller chercher des gens qui ne participent pas ordinairement à la réflexion ?
La particularité de la synodalité dans l’Église par rapport à d’autres manières laïques d’envisager la gouvernance, que ce soit dans les milieux politiques, économiques ou associatifs, c’est qu’elle ne se situe pas dans une logique où il s’agit pour une tendance d’obtenir la majorité afin de faire triompher ses idées. L’enjeu est de faire une place à la petite voix, à la voix marginale, parce que l’Histoire de l’Église et de la Bible apprend qu’elle peut être prophétique, et que ce n’est pas forcément la masse qui a raison.
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Les baptisés éloignés de l’Église, dans des situations marginales, fragiles, vulnérables, ne pourront évidemment pas tous être consultés. Et il est clair qu’il n’est pas demandé de recommencer la démarche Diaconia (à Lourdes en 2013) mais qu’il puisse se faire des contacts parmi eux est important. Le document préparatoire reprend une citation de la règle de saint Benoît que le pape aime beaucoup, qui estime que la sagesse peut venir du dernier arrivé. Peut-être est-ce l’occasion de relancer des contacts qui se sont un peu éteints, ou de réinviter des équipes qui ont participé à des démarches pour faire des bilans. Ce peut être assez fécond et dynamique.
De quelle manière ce synode pourrait-il concrètement transformer, convertir, l’Église, l’institution, en termes d’ecclésiologie et de gouvernance, mais aussi les personnes, les manières de faire ?
D’abord, dans la manière de vivre en Église, il s’agit de se mettre au diapason de ce style et de cette nature synodale de l’Église, qui est le déploiement des décisions et des intuitions de Vatican II : tout baptisé et confirmé a quelque chose à donner, même s’il ne le soupçonne pas, car le baptême, outre le pardon des péchés et la promesse du salut, suppose aussi le don de charismes par l’Esprit saint.
Ainsi le sens de l’Église pour le monde d’aujourd’hui est que tous les baptisés puissent déployer ces dons et charismes là où ils sont, et pour l’Église. En terme de gouvernance, on est dans le « tous parmi lesquels, quelques-uns » ont des ministères, des fonctions et des charges particulières. Logiquement, je pense, certaines décisions concrètes devraient réviser certains articles du droit canon sur des questions de gouvernance.
Comment ?
Les théologiens qui travaillent sur ce sujet ont émis beaucoup d’hypothèses. Cela peut toucher à l’organisation même du synode romain. Mais cela reste à faire et le temps de l’Église catholique n’est pas celui du monde, donc je préfère rester prudent. Un exemple toutefois : un important texte d’accord œcuménique entre catholiques et anglicans sur le sujet (Walking Together on the Way : Learning to Be the Church - Local, Regional, Universal) est paru en 2018 , sur la question des pouvoirs délibératifs des laïcs hommes ou femmes dans les instances ecclésiales.
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On peut penser aussi aux questionnements sur le rapport en synode diocésain entre l’évêque et l’assemblée. La question des conseils pastoraux diocésains encore, est très intéressante car très peu de diocèses ont trouvé comment organiser cela de manière vraiment satisfaisante. Beaucoup n’en ont pas ou plus, car cela n’est pas obligatoire dans le code de droit canon, mais cela pose question car ce n’est pas parce que l’on n’arrive pas à le faire qu’il n’en faut pas. La solution de facilité consistant souvent à considérer qu’il vaut mieux qu’un seul décide ! Ainsi, le conseil diocésain se cherche depuis 50 ans, ce n’est pas forcément parce que les évêques sont réticents, mais parce que cela ne fonctionne pas.
Pourquoi ?
Parce que nous ne sommes pas encore entrés dans une nouvelle manière de partager, de discerner et de décider en Église. C’est vrai aussi dans des paroisses. Dans certains lieux, les expériences n’ont pas été satisfaisantes probablement parce que la spiritualité, le fond, n’était pas là : des choses ont été essayées, mais sans cette conversion pastorale et missionnaire souhaitée par le pape François.
Parce que les baptisés manquaient de motivation ou parce que faisant l’expérience de ne pas avoir été écoutés à plusieurs reprises, ils ont préféré s’engager ailleurs que dans les structures ecclésiales - ce deuxième point est un fait très bien documenté. La passivité peut être l’origine ou le résultat de l’échec ou des frustrations.
La question du vote des laïcs - et donc des femmes - est de plus en plus soulevée. Peut-elle être ouverte ?
Oui, elle peut l’être. Un des exemples que je trouve intéressants est celui du synode commun des diocèses allemands à Wurtzbourg dans les années 70 : ils avaient réussi à se mettre d’accord sur une manière de faire qui avait fonctionné. L’assemblée, avait fait un travail commun, et les évêques allemands s’étaient positionnés en déclarant que ce travail était délibératif, mais en ayant un pouvoir de véto.
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Imaginons la situation dans un synode diocésain. Cela signifie que les décisions de l’assemblée valent, sauf si l’évêque, exerçant son discernement épiscopal, s’y oppose. Et c’est autre chose que de laisser l’assemblée travailler, de recueillir ses réflexions, et de décider seul ensuite. Il me semble qu’il y a beaucoup plus de possibilités qu’on ne l’imagine. Du point de vue théologique, il s’agit de garder la spécificité des ministères ordonnés de la gouvernance tout en la repensant pour notre temps.
Peut-on imaginer que la phase continentale ait pour objet de développer des conférences épiscopales continentales plus structurées, comme le Celam (Conférence épiscopale d’Amérique Latine), si chère au pape François ?
Je pense que cela va surtout faire prendre conscience que les Églises régionales ont des fonctionnements très divers sur le plan culturel : l’Afrique, le Moyen Orient et l’Asie, par exemple, sont très différents de l’Europe, du point de vue des systèmes sociétaux, de la culture patriarcale et ecclésiale…
Cela avait déjà émergé sur des questions très précises pendant le synode sur la famille qu’il y avait des approches culturelles très différentes. Et cela risque de revenir de manière plus forte lors de ce synode. Peut-être l’Église catholique découvrira-t-elle un peu plus la pertinence des droits particuliers à ce moment-là.
Certains craignent la fin de la catholicité… L’explosion de l’Église !
La chose la plus difficile dans l’Église catholique est d’articuler les particularismes culturels, spirituels et les spécificités en termes de style, et l’universel. Le concile plénier d’Australie se pose ces questions précisément en ce moment, et ils ont réalisé une énorme consultation sur le thème. Et revient souvent la question : peut-on faire en Australie des choses que l’on ne pourrait pas faire ailleurs ?
La question de l’universel et du particulier émerge particulièrement sous ce pontificat. C’est l’une des plus grandes tensions qui soit apparue lors du synode sur l’Amazonie : peut-on faire quelque chose de spécifique pour l’Amazonie - et donc, qui ne vaille pas au niveau universel ? L’Église n’a pas pris ce chemin pour le moment. Ce point touche à la gouvernance. Quelle autonomie pour les diocèses ? Pour les conférences épiscopales ou continentales ? C’est un débat théologique assez ancien.
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Joseph Ratzinger s’était prononcé il y a longtemps déjà sur le fait qu’il n’y aurait pas de nature proprement théologique des conférences épiscopales ; mais la question reste très discutée par les ecclésiologues. Le pape François a laissé entendre plusieurs fois qu’elles constituaient un magistère réel. Cet enjeu va sans doute apparaître davantage pendant la phase continentale. Ce sont des enjeux macro, différents de ceux qui se jouent dans les paroisses. La synodalité micro a elle aussi de grands enjeux, mais ils sont différents de ceux de la synodalité macro.
Voir ici, l’article de La Vie