Avant de me rendre au patronage, j’entre dans Notre-Dame du Port où j’ai prié. J’ai demandé le pardon de mes fautes et j’ai imploré Dieu

Publié le par Michel Durand

Avant de me rendre au patronage, j’entre dans Notre-Dame du Port où j’ai prié. J’ai demandé le pardon de mes fautes et j’ai imploré Dieu

Journal d'adolescent - suite. 

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Lundi 17 mars 1958

Je n’ai aujourd’hui qu’un souvenir à écrire dans ce journal. Ce souvenir est celui de mon premier amour. J’avais environ 8 ans. Et, à cet âge, je me suis épris de Paulette Ampère. Ce mot épris n’est pas trop fort, car j’avais la conviction que, plus tard, elle serait ma femme. Souvent, je me promenais avec elle ; nous allions par exemple chercher du lait dans une ferme à l’extérieur de la ville. Nous nous tenions généralement par la main. Les parents de Paulette étaient plutôt vieux jeux et je pense que nos promenades ne leur plaisaient pas beaucoup. Je crois même qu’ils se sont plaints à papa. Aussi papa me fit comprendre un jour que je pouvais très bien avoir une fille comme camarade, qu’il n’y avait pas d’inconvénient à cela, mais que tout le monde ne pensait pas comme lui. Il me dit également que les camaraderies avec les filles devaient se faire avec quelques restrictions.

 

Mercredi 19 mars

C’est aujourd’hui que se terminent les examens de Pâques. Je ne suis pas très en forme. Mon esprit a tendance à penser aux vacances, à la joie d’entendre quelques belles pièces de musique… Il serait bien mieux de se pencher sur le travail. Je m’accroche vraiment, car à la dernière composition, je me sens encore moins en forme. C’est ce « vivre les vacances » qui me troublent et m’éloignent du travail. Je pense que cet examen sera moins bon que celui de Mardi-gras. Contrairement à mes habitudes, je ne suis pas hors de moi de n’avoir pas tout réussi.

J’ai reçu une lettre de mes parents ; la plus longue de l’année. J’aimerais en recevoir souvent d’aussi longues et aussi intéressantes.

 

Jeudi 20 mars

Ce matin mon moral est assez bon, bien que je n’ai aucune idée de ce que vont être les résultats pour cet examen. Je ne suis, cette fois, vraiment pas pessimiste. Et heureusement. Nous avons nos notes de quinzaine et elles m’ont transporté de joie. Je suis content, mais je commence à en avoir assez de la boite. Rien ici ne m’appartient ; tout est à Godefroy-de-Bouillon, au collège technique. N’ayant rien ici, je ne peux m’attacher à quelque objet. C’est, je pense, ce dont j’ai besoin : m’attacher à quelque chose. J’aimerais ainsi avoir une pièce, une chambre qui me plaise. Une chambre que j’arrangerai à mon goût, une chambre à moi. Je souhaite ceci plus que la liberté.

Je m’efforce de ne pas penser à ce rêve qui ne se réalisera pas tant que je serai en pension.

Je reçois une lettre de Pierre qui, par sa forme et son contenu me transporte de joie. Dans la réponse que je lui adresse, je lui explique que j’approuve infiniment son bon sens et que j’aime prendre connaissance de ses conseils.

 

Dimanche 23 mars 1958

J’ai, aujourd’hui, un cafard fou. La boite m’ennuie terriblement. Ce matin, à mon réveil, je me croyais dans ma chambre de Digoin et j’ai cherché, à demi endormi, le bouton de la lampe de chevet afin de l’allumer. Quelle déception j’eus en voyant ce vaste dortoir au lieu d’une chambre minuscule ! Je ne fus jamais plus déçu qu’à ce réveil ; aucun terme ne peut décrire cette déception intenable sur le moment.

Charles était sorti chez ses correspondants. Je reste seul tout le jour. Je pourrais causer à Palluat, mais je ne peux pas le sentir. De plus, mon ennui, mon dégout de la boite m’enlevait toute envie de causer.

 

Mardi 24 mars

Mon moral est meilleur ce qui me permet de penser un peu moins au départ et d’oublier la triste chose d’être enfermé. Ces idées tristes, je l’avoue, sont bien inutiles, car je ne peux pas épargner la pension.

Hier, j’ai adressé à Claude une lettre différente de celles que j’ai l’habitude de lui écrire. Dans cette missive, je lui dis de prier Dieu pour nos parents et je lui explique pourquoi je suis malheureux. Si je ne me plais pas ici, c’est parce que tout est commun, rien de m’appartient et je ne peux pas dans ces conditions m’attacher à quelque chose.

Le soir à l’étude Pierre et moi avons tenu un court propos : - « as-tu été à la messe ce soir ? »- « non, lui répondis-je ». Il y avait en effet une messe en mémoire de l’Annonciation. Je n’y suis pas allé pour la seule raison que j’avais peur d’agir machinalement. Je ne veux pas être le membre d’un troupeau qui se dirige en masse vers un but et qui ne réfléchit pas à ce qu’il fait. La remarque de Pierre ne me plut pas beaucoup, car en quoi cela le regarde que j’aille ou n’aille pas à  la messe.

Si cette remarque me fut désobligeante, j’ai quand même, grâce à elle, conclut qu’à notre âge on est soucieux de savoir si les autres font bien. Ainsi Pierre aurait aimé que je me rende à la messe parce qu’il doit être soucieux de mon attitude envers Dieu. Moi-même; je suis soucieux du salut éternel de certains autres.

Il y a tout de même une restriction à faire, car beaucoup de camarades sont indifférents de l’action d’autrui. On peut dire qu’ils s’en foutent éperdument . Quelle est la meilleure position ? Être celui qui s’occupe du voisin ou être celui qui le regarde seulement ou être celui qui ne le voit pas ? Je suis celui qui s’occupe, mais, ai-je raison ? Pierre s’est intéressé de moi et cela m’a déplu. Que disent les autres que je m’occupe d’eux s’ils le savent ? Cela les ennuie peut-être fortement tout comme cela m’a ennuyé et ai-je le droit d’ennuyer les autres ? S’occuper du voisin sur le plan spirituel n’est, je pense, pas un ennui.

 

Mercredi 26 mars

Je reçois une lettre de maman et de Claude. Ma sœur m’explique clairement ce que je lui ai demandé. Cela m’a étonné de voir qu’elle puisse parler sur un tel sujet (Il est vrai que je parlais surtout de l’attachement terrestre). Mais j’ai aussi parlé des parents sur un domaine plus spirituel et à ceci elle m’a répondu qu’il ne fallait pas juger ses parents. Ceci est juste, je le conçois fort bien. D'ailleurs, on n’est pas capable de les juger. Je pense toutefois qu’on doit avoir souci de leur âme, qu’on doit prier pour eux et les aider à gagner leur salut éternel.

 

Jeudi 27 mars

Avant de me rendre à la cour du patronage, j’entre dans l’église de Notre-Dame du Port où j’ai, il me semble, bien prié. J’ai demandé le pardon de mes fautes et j’ai imploré Dieu en faveur de mes parents, de ma sœur et de Catherine. Le soir après le patro, c’est-à-dire vers 5 heures, tous les petits paroissiens de Clermont se sont rendus à la cathédrale afin de rendre visite à Marie. On était à peu près quatre mille. Cette journée étant une bonne journée de prières, je me sens le soir en amitié avec Dieu. Cela vient peut-être de ma confession ? Il est osé et imprudent de dire que je suis en amitié avec Dieu, mais je suis sûr qu’hier et avant-hier je ne possédais pas cette joie que je possède aujourd’hui.

 

Vendredi 28 mars

Ayant demandé au Frère German de faire une étude sur mon caractère, je remplis un questionnaire qu’il m’a remis. Je me méfie un peu des résultats de cette affaire, surtout comme cela est présenté. En effet, cela sent un peu la « diseuse de bonne aventure ». Quoique toutes les questions se basent sur la logique ; presque les mathématiques. Il est difficile d’être caractèriologue et je doute que Frère German soit à la hauteur. J’ai cependant un peu confiance et j’espère que le formulaire déchiffré correspondra à ce que je suis. C’est-à-dire pour les défauts : orgueilleux, amoureux de la gloire, égoïste.

 

Samedi 29 mars

C’est le jour de sortie. Je suis très énervé peut-être à cause de l’attente des résultats de l’examen de Pâques. Sur la cour, je parle beaucoup et je bouge énormément. Le soir, à table, devant mes parents, je tiens également une conversation abondante, ce qui n’est pas mon habitude. Je suis plein de joie, une joie humaine que je ne peux contenir en moi. Je sens le besoin de l’extérioriser.

Je m’occupe durant ces vacances à faire un film. J’ai fait et monté les décors aujourd’hui ; demain j’explique le scénario aux camarades et nous tournerons le film samedi s’il fait beau. En plus de ce passe-temps agréable, je prends des cours de conduite. Ceci est moins plaisant, mais il a tout de même son charme.

À trois heures de l’après-midi, Samuel est venu nous rendre visite. Nous avons parlé étude et je me suis rendu compte que maman voyait la possibilité de me mettre au Lycée ou à la « Martin » de Lyon. Je ne veux pas changer, car (malgré tout) je me plais à Godefroy. Et puis, si je pars, je n’aurai pas d’amis, il faudra en trouver d’autres. Charles ne sera plus avec moi. Je ne veux pas quitter Clermont et espère ne pas recevoir l’ordre de partir.

Au cours de cette conversation, j’ai parlé des élèves qui occupent les boites d’État. Ils sont incorrects et ce sont des voyous. Ce jugement que je portais cet après-midi est faux et stupide. J’ai dit également que dans ces établissements il n’y avait que des fils de contremaîtres et qu’il leur était impossible d’être corrects. Ceci est stupide et absurde. Cela n’a pas plu à mes parents qui m’ont dit qu’à Godefroy j’ai pris des habitudes de noblaillons . Ils me l’ont dit plusieurs fois. Il faut que je me change sur ce point et que je modifie mes fausses idées sur les élèves des établissements laïcs.

 

Vendredi 4 avril

Digoin. À trois heures je me suis rendu à l’église pour assister et participer au Chemin de croix. Maman ne savait pas où j’étais et à quatre heures elle me chercha dans la maison. Je devais prendre une leçon (d’Anglais) chez Madame Grosjean et cette personne m’attendait. À mon arrivée on me demanda où j’étais et je répondis par un mensonge. Pourquoi ai-je caché que je me suis rendu à l’église ? Aurais-je pur de me montrer chrétien ?

 

Vendredi 18 avril

Clermont-Ferrand. Il fait un temps affreux en accord vraiment avec mon cafard. Le soir je cause avec le Frère German qui ne veut pas me donner le résultat de l’étude sur mon caractère. Il ne me trouve pas disposé pou recevoir des reproches. M’ayant vu le jour du départ en vacances exalté et joyeux, il est surpris de me voir maintenant, si morne, si triste. Il se demande ce que j’ai bien pu faire durant ces vacances pour être triste de la sorte. Je n’ai rien fait d’extraordinaire, lui dis-je ; mais il ne veut pas me croire, tellement il me trouve changé. « Je ne vous reconnais plus, dit-il ». Pour ma part, je me sens le même qu’avant, que pendant et après les vacances.

 

Samedi 26 avril

Cette fois le Frère German me permet de venir le trouver. Il m’expose le résultat de son étude. Cela correspond à peu près à ce que je pense, tout au moins pour le général. Car pour les péchés caractéristiques déjà cités, orgueil, égoïsme, amour de la gloire, il ne dit rien. Cela sort du rayon ici étudié.

Nous avons discuté pendant au moins une heure. La conversation était très intéressante. Il m’a expliqué ce que je devais éviter afin de me rendre meilleur, mais il ne m’a pas indiqué ce qu’il fallait faire pour être meilleur. Ceci et du domaine de l’aumônier.

Il m’a conseillé, et ceci à plusieurs reprises, que je ne devais pas écrire de journal intime, ni même faire de petits poèmes. C’est un moyen, me dit-il, pour laisser libre cours au rêve et le rêve est mauvais. Par le journal il dit que l’on s’épanche sur ce qu’on aime trop facilement. Je suis entièrement d’accord avec lui, car j’ai déjà éprouvé la faiblesse qui me vient quand j’écris ce que je ressens. J’écoute son conseil et je laisse tomber le journal non sans quelques regrets. Mais, enfin, si cela est utile pour être meilleur ! Car je veux être meilleur et c’est pour cela que j’ai fait étudier mon caractère.

Désormais, il n’y aura plus de journal intime.

Voici le compte-rendu donné par Frère German le 26 avril 1958. Ce papier est le résultat de l’étude de mon caractère. Par accomplir cette étude, le frère s’est inspiré d’un professionnel en caractérologie. Cela est donc assez sérieux.

 

OBSERVATIONS ET SUGGESTIONS : caractère sentimental dominant et accessoirement passionné. Émotif, non actif et à grand retentissement émotionnel. Riche fond de tendances intimes.

1 - L’introversion ou plongée en soi doit être compensée par l’harmonie avec le milieu : le comprendre et s’y adapter avec les réactions nécessaires.

2 - Cultiver la vie intérieure intense caractéristique

3 - Sortir de l’isolement sous la triple forme de la dépression morale ou physique, de l’insuccès scolaire et du chagrin intime.

4 - Lutter de toutes ses forces contre le mécontentement de soi.

5 - Lutter contre l’indécision et rechercher la responsabilité. Ne pas se dérober devant les dangers à courir.

6 - Oublier le passé. « Ce qui est fait est fait ».

7 - Ne pas se croire déshonoré, diminué par les petits insuccès en les croyant sans remèdes. C’est l'orgueil. On ne réussit pas d’un coup.

D'autres échouent et se redressent. Avoir confiance en soi.

8 - Se libérer de ses habitudes et marottes en découvrant une activité agréable : photographie,   philatélie, bibliothèque…

9 - Poèmes et journal intime déconseillés.

10 - Point de vue religieux : Le centre de gravité de la vie religieuse doit être placé dans l’exercice des vertus -théologales et non dans le sentiment religieux axé sur le Dieu du cœur.

11 - Timidité à vaincre par prises de contact avec le milieu. Trouver un ami et confident sûr.

12 - Analyser son attitude d’isolement pour qu'elle ne soit pas conventionnelle et orgueilleuse.

 

Jeudi 8 mai

Je fais une légère incartade à mon désir de ne plus remplir un journal. Mais l’envie de démange et je me permets pour une fois d‘écrire quelques mots.

C’est au sujet du livre d’Anne Franck que j’ai trouvé merveilleux non pas pour son style, mais pour ce qui y est raconté. Anne ressemble à toutes les filles pour ses désirs, ses passions. Pour ses sentiments et sa misère, elle surpasse tout le monde. Mais a-t-elle raison de juger la vie comme elle le fait ? Peter, son ami, est du même genre. Je les comprends et je me rapporte à eux, mais savoir si leurs pensées sont morales ?

Personnellement, je n’apprécie guère les attitudes qu’Anne prend envers les garçons. Mes camarades sont d’accord avec elle et ne trouvent en ceci rien d’indiscret ou d’amoral. Suis-je puritain et eux dans la norme ? Ou suis-je normal et eux libertins ? Je ne sais pas. J’ignore jusqu’où vont les rapports avec les filles, rapports permis par la morale.

 

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