L’appel évangélique à la pauvreté. Il est impossible à un riche d’être bon chrétien, car les richesses nous éloignent de Dieu, des autres

Publié le par Michel Durand

L’appel évangélique à la pauvreté. Il est impossible à un riche d’être bon chrétien, car les richesses nous éloignent de Dieu, des autres

Voici une nouvelle page de mon journal d’adolescent.

Je me demande toujours s’il est bien opportun que je prenne du temps pour le saisir sur l’ordinateur afin de le donner à lire. Le but de cette saisie est de montrer la constance dans les appels de Dieu. Dans toute une vie, un seul sillon est tracé et l’Esprit intervient pour que, sans cesse, soit creusé un unique sillon afin de le maintenir dans la même direction.

J’avoue avoir été surpris de la radicalité évangélique de cette prédication de retraite. Ce que j’ai écrit est ce que j’ai perçu avec mes 16 ans de la prédication du dominicain. L’appel à la pauvreté évangélique y est absolu. J’y adhérai absolument, sinon je ne l’aurai pas noté dans le journal. Aujourd’hui, je soulignerai l’invitation au partage, car la Terre appartient à tout le monde et il est injuste de gaspiller quoi que ce soit de la maison commune.

 

 

Lundi 20 octobre 1958. Classe de seconde technique

 

Nous ne savons pas pourquoi nos camarades nous sont amis. Nous ne réfléchissons pas à tous nos actes. Actes quotidiens qui sont habituels. C’est une routine continuelle.

La retraite ne doit pas être traitée de même, à la légère. Que venons-nous faire ici ?

Nous y sommes parce que la discipline nous y mène. Il ne faut pas le voir ainsi. Nous devons participer, y mettre du sien. Vouloir que cette retraite soit profitable.

 

Retraite de l’année 1958-1959

Ce n’est pas uniquement une remise en train. C’est plutôt une rencontre ; une rencontre avec Quelqu’un. Et comme dans toute rencontre, on doit être là. Être là soi-même. Personnellement. On vient à la rencontre de Dieu, quelqu’un de très simple.

Qui suis-je ? Qu’est-ce que je fais ? Quel est le sens de ma vie ?

Habituellement, nous ne faisons pas attention aux autres, au monde, à notre vie. Notre vie n’est pas assez intense. Elle n’est qu’extérieure, aussi, nous ne rencontrons pas Dieu. Nous n’avons pas envie de le faire participer à nos peines, à nos travaux, à notre vie. Dieu est celui qui s’intéresse, plus que nous, à tout ce qui est à l’intérieur de nous. Il est le seul à pouvoir nous faire comprendre la vie parce que c’est lui qui l’a déclenchée. Dans la Genèse, nous apprenons que Dieu, très heureux, a voulu que nous vivions, a voulu des partenaires qui le comprennent, qui restent en rapport avec Lui. Dieu s’intéresse à notre vie parce que c’est lui qui l’a créée. Nous ne savons pas ce qu’est notre vie. Dieu le sait. Il faut faire confiance, construire notre vie en amitié avec lui. Il est l’ami de chacun, le plus sur, le plus donné.

Nous pouvons trouver Dieu dans une personne qu’on admire ; comprenant que les richesses du monde viennent de Dieu (musique, peinture, etc.) Dieu nous a donné le don d’apprécier la musique.

Quand nous pensons à Dieu, nous voyons en Dieu un autre visage, le visage du Christ. Cet homme crucifié est Dieu. Quel est le rapport entre cet homme et Dieu ? Pourquoi le Christ est-il mort ? A-t-il sauvé ? Et, qu’est-ce qu’il a sauvé ? Quel est le rapport ? Nous devons penser aux péchés. L’homme refusa de vivre avec Dieu ; il s’appropria ce monde, sa propre vie pour une cause à sa guise, refusant de reconnaitre que toute notre vie est soumise à Dieu. Nous utilisons les choses pour notre orgueil, sans nous demander quel sens cela peut avoir. Notre péché est un péché d’injustice. On a gâté ce que Dieu nous a donné. Comment faire pour réparer ?

Ôter cette vie qui ne nous appartient pas. Ôter ce gaspillage.

Tous nos efforts pour rendre le monde meilleur seront peut-être un échec. Mais à travers ceci, nous nous préparons au monde de Dieu. Nous cherchons un bonheur immédiat. Il faut déposer ce bonheur immédiat pour trouver le Bonheur, la joie au-delà de la vie terrestre.

Acceptons les peines.

« Aimons-nous. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

Comment le Christ nous a-t-il aimés ?

Le Christ est éternellement heureux ; heureux avec son Père. Mais il avait souci de voir les hommes s’éloigner de Dieu. Il a voulu que nous partagions son bonheur. C’est pour cela qu’il est venu sur terre et pour que l’homme de la terre aime et remercie Dieu son père. Le Christ s’est occupé à redonner la joie et l’amour de Dieu sur terre. Au ciel, le Christ aime chacun de nous. Mais il n’est plus parmi nous pour nous montrer par des sourires son amour. Sa vie sur terre fut courte par rapport au temps.

La charité. Avoir la charité c’est avoir compris que le Christ se donne ; nous aime.

Aimons le prochain.

Un amour efficace pour le prochain. Si nous avons vraiment envie que les autres soient meilleurs, sans soucis, nous y arriverions. Mais, sommes-nous capables de nous unir pour diminuer la peine des autres ?

Amour universel. Il faut aimer tous nos camarades, le noir, le jaune, celui qui ne nous est pas sympathique.

Amour communicatif. Recevoir des autres (et donner). Si on aime, on devra les éveiller à pratiquer, à aimer. Si on aime, il faut secouer ses camarades, leur dire leurs torts.

Cet amour nous fera citoyens de l’Église, du ciel.

Ciel : joie de nous retrouver tous sans souffrance. Si on n’a pas souffert sur terre, il n’y a pas de joie au ciel, l’ayant eue sur terre. Essayons de nous engager à la suite du Christ. Nous devons chercher auprès du Christ axe qu’il faut pour l’aimer, pour aimer. Essayons de lui ressembler. Ce n’est pas en se laissant vivre que nous ressemblerons au Christ.

Pour que notre vie soit valable, il faut la contrôler, la diriger, la tenir en main. Cela suppose de la méthode. Méthode qui est de contrôler au jour le jour, notre vie. Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-de que je fais ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Quelle est la portée de ce que j’ai dit ? Quelles conséquences vont avoir mes paroles ?

Nous avons nos pensées personnelles ; ceux qui ne pensent pas comme nous sont-ils des imbéciles ? Non, car on n’est pas sûr de notre raisonnement. Il est mieux d’écouter les autres ; ils sont peut-être très intelligents.

La pauvreté. Il est impossible à un riche d’être bon chrétien, car les richesses nous éloignent de Dieu, des autres. Quand on n’a besoin de rien, on ne pense pas aux autres. Faut-il tout bazarder ? Tout vendre et devenir mendiant ? Peut-être ? Et ces hommes, ces femmes (les pauvres) sont peut-être le plus près de Dieu. Les richesses de la terre ne sont pas toutes pour nous ; c’est à tout le monde. On est locataire de Dieu au service de la société.

Renoncer à une partie de nos biens. Si on veut devenir chrétien, il faut renoncer au confort, à une partie du confort, car il est impossible de vivre ayant tout, n’ayant besoin de rien.

Pour ce qui est de la vie actuellement, il faut se priver, se dominer, apprendre à ne pas s’enfermer dans nos univers sans besoin, apprendre à regarder la misère du monde.

Si vous voulez être chrétien, relisez une phrase du Christ : Malheur aux riches, Bienheureux aux pauvres.

Retraite de donnée par le R.V. Père Durand, dominicain.

 

L'Évangile de ce jour invite bien à mettre en œuvre la radicalité évangélique.

 

 

 

Mardi 21 octobre - suite de la retraite.

Nous sommes des enfants qui, ayant quitté leur père, veulent revenir à la maison. Parabole de l’enfant prodigue.

Cela prouve que nous avons une conscience qui nous fait revenir, qui nous fait réconcilier avec notre Père. La confession est une réconciliation avec Dieu. Elle efface le péché, pas pour se réconcilier avec soi-même, mais avec Dieu. On aimerait être digne de Dieu. Ce n’est pas là une attitude chrétienne. C’est un peu une attitude de pharisien qui est de se présenter à Dieu avec un bon aspect.

L’amour de Dieu continue après le péché. Nous n’avons pas par la confession à reconquérir l’amour de Dieu. Dieu nous aime après le péché ; mais ce péché nous éloigne de l’amour pour Dieu. Il faut faire honneur au Père ; rendre gloire au Père dans nous, dans les autres, dans le monde, sur la Terre.

Qu’est-ce qui doit me conduire à la confession ? J’ai oublié l’amitié de Dieu. J’ai trahi la confiance de Dieu. C’est cela qui devrait nous conduire à la confession.

Avant de nous confesser, notre démarche devra être une démarche filiale. Mais pourquoi aller trouver un prêtre ? - Parce que le Christ veut que nous passions par lui. Il remplace le Christ. Il est aussi là comme représentant de l’Église. Nos péchés n’intéressent pas seulement Dieu ; ils intéressent aussi l’Église. Une carmélite qui prie dans son couvent élève l’Église sans action extérieure. Le pécheur qui pèche sans que le voisin le sache abaisse l’Église.

Il faut nous mettre en règle avec nos frères. Il faut rentrer en amitié avec nos frères et c’est par cela que nous allons au Père.

Examen de conscience

Combien de fois avons-nous manqué d’amour en Dieu ? Avons-nous été égoïstes, racistes ? Il ne faut pas seulement accuser nos fautes prises à la lettre - par exemple : manquer de faire maigre (avoir mangé de la viande un vendredi).

Pénitence. Ce n’est pas donnant donnant. Mes fautes ont été effacées ; je donne en récompense ma prière. C’est s’associer au sacrifice du Christ. C’est un nouvel engagement pour rendre gloire à Dieu.

Avoir la joie après une confession. On retrouve Dieu. On est de nouveau en amitié avec Dieu. Ne devons-nous pas être heureux ainsi ?

 

 

Année 1959

Je suis en seconde T.M. (technique mathématique) à Godefroy-de-Bouillon (Clermont-Ferrand).

 

Mon journal est cette année plus un rapport de pensées, d’expressions personnelles qu’un rapport d’occupations. Les années 57-58 - surtout 1957 - sont dominées par la description d’acte extérieur. C’est l’intérieur qui m’intéresse maintenant.

 

15 janvier 1959

Il est aujourd’hui jeudi et je me suis rendu au cours de dessin artistique chez madame Castéran. La leçon et les travaux se font dans le salon de notre professeur. C’est une pièce gentille, bien organisée et où il y a beaucoup de tableaux et d’objets à regarder sinon à admirer. L’ambiance du cours est très sympathique. Ceci tient, je pense à tous les élèves, garçons et filles - qui reflètent une joie continuelle et saine. La conversation ne tombe presque jamais ; elle est toujours heureuse, gaie et parfois humoristique. Dans ce cadre fête pour ainsi dire, le travail s’accomplit agréablement et intensément. La conversation ne nous empêche pas de travailler, au contraire.

Le cours terminé, les adieux faits, je rejoins la boite. Ce soir, je suis accompagné par Marie qui se dirige vers la gare. Nous échangeons nos impressions sur le dessin en projet pour le jeudi suivant et sur cette conversation plaisante, nous nous quittons devant la porte de Godefroy.

Les trois heures que je passe à l’extérieur ne sont-elles pas un temps merveilleux ? La foule de la rue, l’ambiance agréable du cours, la charmante compagnie des élèves, le cadre du cours, le sentiment artiste qui anime tous les élèves et puis, la discussion sur tel ou tel peintre, l’appréciation d’un camarade sur le dessin de son voisin, appréciation franche et pas toujours favorable, appréciation sévère, mais juste. Tout ceci ne meuble-t-il pas agréablement un jeudi après-midi ?

À ce cours du jeudi, j’oublie toute ma semaine de pension ; je semble rêver tellement je me plais dans ce genre de vie qui, avec l’aide de Madame Castéran, peintre, est une vie d’artiste. Mon bonheur est au complet quand je peins , quand je crée avec les camarades.

Ce bonheur se poursuit dans la rue qui me berce encore dans ma satisfaction précédente. Ce bonheur existe toujours jusqu’au moment où je quitte le bruit (de la rue), la foule étincelante de couleur. Et quand je quitte la foule, je dis au revoir à Marie qui poursuit son chemin et je rentre à Godefroy. Là, les bruits de la rue cessent. Ils sont arrêtés par les murs épais, par le portail haut et lourd. Il n’y a qu’un pas à faire pour changer d’atmosphère. Je le fais ce pas, car je suis obligé. Ce pas fait, j’ai quitté la vue plaisante des robes, des magasins aux couleurs délicieuses. Ce pas accompli, j’ai rencontré le gris, le vieux, les murs sombres et mornes ; j’ai rencontré le silence. Mais le silence ici m’accable parce qu’il n’est pas dans un cadre agréable. La classe, l’escalier qui y conduit sont peints de couleurs sombres et salies par le temps. Tout ici est vieux. Le plâtre par plaques se détache des murs. Quelle différence d’ambiance y a-t-il d’avec le joyeux appartement de Madame Castéran. Chez elle, la chaleur se dégageait du mobilier, des bibelots. Ici, le mobilier - tables noires, tableaux noirs, bureaux noirs - reflète un froid morne et déplaisant. Ce contraste subit et puissant me plonge dans la tristesse. J’étais heureux au cours de dessin et maintenant je suis triste. Mon rêve est tombé ; il n’existe plus ; il s’est noyé dans le silence, dans l’ambiance triste de Godefroy. Je n’ai pas envie de travailler, car rien ne me plait et tout me dégoûte. Ce choc m’a abattu et je suis fatigué : rien ne me plait, rien ne me fait plaisir. Quelle différence avec cet après-midi ! J’étais exalté et maintenant je suis presque mort. Cette attitude de dégoût, d’ennui vient, je pense, du contraste entre mes deux genres de vie au dessin et en boite.

L’état d’âme d’aujourd’hui n’est pas unique et réservé à ce jour, 15 janvier. Il se renouvelle chaque jeudi. Ainsi, chaque jeudi tout m’est égal, je me fous de tout, rien ne me fait envie après le cours de dessin quand je suis plongé dans la triste atmosphère de Godefroy que je déteste, car je la trouve trop morne.

 

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