Il semblerait dans ce journal, qu’avril 59 dévoile la source d’une vocation à se mettre au service de l’Église, de l’Évangile dans la rencontre
3 avril 1959
La discussion du jour porte sur la prière.
Quand je dis un « notre Père », un « je vous salure Marie » ou quand je prononce une formule toute faite, mon esprit ne se lie que peu avec la pensée de Dieu. Par cette mode de prière qui tient de la mémoire, je n’ai pas l’impression de m’adresser à Dieu correctement ; ces paroles dites sans y penser vraiment ne me semble pas valable.
Mais, si je garde le silence, ou si, dans ce silence, je m’adresse à Dieu en des termes originaux , mon âme s’emporte; s’exalte. Je me sens en amitié avec Dieu et cette prière de silence me parait si réussit que je crois mon cœur près de Dieu. Dans cette pré!re silencieuse tout mon être tend vers Dieu. C’est un transport de joie, de joie intérieure, c’est une sensation de bien-être, de bonheur, de stabilité. Mais, si bien que je sois, en dépit de l’amour que j’ai à prolonger cette conversation silencieuse avec Dieu, il y a toujours un moyen, une excuse pour interrompre cette prière. Je l’interromps comme malgré moi, plus vite quelle ne le désirerai et je crains en l’interrompant de ne pas satisfaire Dieu en le quittant trop tôt. Ce sont les obligation s terrestres qui sont la cause de cette interruption . Le sommeil par exemple me dépare de Dieu. J’ai besoin de dormir, j’ai besoin de prier. Lequel des deux prime ? La prière certainement, mais cela n’est pas possible même quand je sens Dieu très près de moi.
5 avril 1959
Je suis en vacances de Pâques. Mes parents sont étonnés de me voir si triste. Il est vrai que je ne dis rien à table, quoique la discussion concernant le métier de papa, l’architecture, je n’ai et ne peux rien dire, car je ne suis pas informé. Bref, je cause peu et je suis triste. Les seules paroles que je prononce sont contre les idées de mes parents. Ainsi ce soir, à propos d’argent, il y a eu une sévère discussion. Je trouve qu’il n’est pas nécessaire d’en avoir beaucoup, d’être très riche pour être heureux. Mes parents pensent le contraire. Ils me voient heureux avec une bonne situation. Je ne le crois pas et je nie toujours le besoin d’argent pour le plaisir. C’est alors que la discussion se généralisant, maman me dit que je me fous de tout. Est-ce vrai ? Cela serait dommage.
Un autre fait est arrivé le même jour. Je faisais du stop sur la route de Paray et en attendant une voiture complaisante, un ouvrier chômeur s’est approché de moi. Nous avons longuement parlé de sa situation (trois mois sans travail, il est marié et il a trois enfants) et de sa jeunesse à l’école. Il était de Clermont et, comme par hasard, fit quelques études primaires à Godefroy. Après m’être renseigné sur son métier, ses capacités, je lui a demandé son nom, son adresse lui promettant que je parlerai à l’ingénieur (mon voisin) de l’usine de la poterie. C’est en comptant sur mon aide que l’ouvrier est reparti.
Arrivé à Paray, j’ai rencontré ma sœur et son futur fiancé Pierre. Nous nous sommes promenés dans la ville, puis, arrivant dans une teinturerie, j’ai repensé à l’ouvrier qui savait teindre les tissus. C’est son métier officiel. Je rentre donc dans l’atelier et demande à la patronne s’il y avait du travail pour un homme de… Après tous les renseignements donnés, j’appris qu’il y n’avait pas de travail. Claude et Pierre furent très étonnés ; aussi, pour les rassurer, je leur ai vaguement dit le but de cette demande d’emploi. Ils n’en ont rien dit. Mais leur intrigue demeurait cependant et au salon de la maison, Pierre répéta le peu que j’avais dit. J’étais à ce moment chez monsieur Gros-Jean, l’ingénieur en question. Ils m’ont vu rentré et se sont doutés pourquoi j’étais allé chez nos voisins (Mr Grosjean). En rentrant, papa me demanda directement des explications. Je ne voulais rien dire ce qui me fit mentir au début ; mais les questions étant de plus en plus sévères et l’aspect de papa de plus ne plus agressif - sa curiosité était devenue méchante et autoritaire-, je dus parler. La stupeur était générale, mais surtout chez mes parents. Voilà en résumé les objections reçues. Je pouvais me faire voler par cet homme que je ne connaissais pas. Cet homme que je ne connaissais pas pouvait être un voyou sans scrupule qui m’aurait assommé dans le but de voler mon argent. Cet homme inconnu pouvait chercher son travail lui-même. Cela veut dire que je ne pouvais rien faire pour lui. Il est vrai que je n’ai rien pu faire, M. Grosjean ayant dit que l’usine n’avait pas besoin d’homme. En un mot, il était imprudent d’aborder cet homme inconnu, car je ne pouvais pas supposer ses réactions. Tout ceci est vrai. Mais l’homme était vraiment calme et inoffensif. Je trouve la prudence de mes parents exagérée et je me demande pourquoi ils n’aiment pas que j’aie pris ce risque. Un risque bien faible. Restant sur mes positions qu’il n’était pas dangereux d’aider des inconnus, la conversation s’échauffa. Je me mis en colère, ce qui est stupide, et dans le feu de ma colère, j’ai jeté cette phrase : « le Christ, lui, s’occupait de n’importe qui » pour prouver que je ne voyais aucun inconvénient de m’être occupé de cet ouvrier inconnu. C’est alors que papa me dit que je ne suis bon qu’à faire un curé. Cette dispute, suivie de la courte réprimande - je ne suis bon qu’à faire une curé -, me plonge encore plus profondément dans la tristesse. Au diner, papa fit plusieurs fois une allusion méchante au cureton dont je ne suis que capable. C’est alors que je m’enferme de plus en plus en ce qui fait croire en mon malheur.
10 avril 1959
Je dois dire aujourd’hui pourquoi la dispute du 5 avril m’affligea à ce point. Je le dis maintenant , car je suis un peu plus sûr qu’au début, le 8 février, d’avoir raison. Je n’ai jusqu’à maintenant jamais parlé de cette chose pour ne pas écrire un fait dont je n’étais pas certain. Ce fait s’est maintenant affermis et j’ose en parler.
Tout a commencé le 8 février après une discussion religieuse qui se fit entre jécistes, puis personnellement avec un père dominicain. J’en ai parlé à la suite de ces carrefours avec Charles Sardou. Nous avons discuté de ce qu’on nous a dit, ce qui m’a permis de voir le contraste qui existait en moi. J’ai le sentiment de ne plus croire en Dieu, ce qui m’arrive assez souvent. Mais j’ai aussi le sentiment de vouloir servir Dieu par le sacerdoce. J’ai ruminé ceci quelque temps, mais réfléchissant, je me suis vu incapable et surtout indisposé pour recevoir l’appel de Dieu. Il est impossible, me dis-je, de croire ceci. L’impossibilité me parut plus véritable que, une heure après cette pensée, tout était oublié. C’est une folie de ma part comme j’en ai souvent. Une marotte momentanée. Le mois de février s’est terminé en n’ayant jamais pensé au sacerdoce. Le début de mars était de même. Je continuais mes études dans le but d’être architecte. Il n’y avait que ce but. Je dois dire que le 8 février mes pensées étaient légères et vagues, imperceptibles mêmes en disant mon envie de faire prêtre. Ce qui explique que je n’y ai jamais pensé par la suite (fin février début mars). Je dis début mars, car le dimanche 16 de ce mois, il y a une réunion des jécistes de Clermont.
Cette réunion se tient au « Franc-rosier ». Toute la journée fut bonne pour la prière et la réflexion. J’étais vraiment heureux ce jour. Mon bonheur était celui qui vient de Dieu. Après la réunion, j’ai suivi un dirigeant de la Jec dans son établissement qui est le séminaire Richelieu. Ce jeune séminariste me parut tout de suite sympathique. Je discutais avec lui aisément et c’est au cours de cette discussion que je me suis mis parler de sacerdoce. J’en ai parlé objectivement d’une manière générale. J’en ai parlé sans m’en apercevoir, sans avoir l’idée auparavant d’en parler. Le sujet de la conversation s’est branché sur le sacerdoce imperceptiblement, sans ma propre volonté. Aussi, à l’issue de la conversation, ayant largement réfléchi, je me suis vu appeler par Dieu. Mais cela me paraissait impossible, je ne voulais pas y croire. Les dimanches suivants, j’ai également rencontré le séminariste ; son est Raymond Meiller. La discussion portait toujours sur le sacerdoce ; mais je me suis davantage découvert ce qui me permit de parler plus franchement. C’est au cours de ces discussions que l’appel de Dieu s’est fait entendre plus fortement. Ainsi, aujourd’hui, 10 avril, je me considérerai comme lâche si j’abandonne l’idée du sacerdoce ; quoique je peine à croire que Dieu m’appelle.
Il est maintenant aisé de voir pourquoi la parole de papa : je ne suis bon qu’à faire curé ne me plut guère. Personne ne sait que je veux faire prêtre sauf Raymond, le séminariste et je continue ma vie dans le but d’être architecte.
17 avril 1959
Je quitte Clermont pour deux jours de vacances à Digoin et je me puis présenter à la maison avec mon bouc qui est en train de pousser donc pas très beau. Maman se recule d’horreur à ma vue. Elle ne veut pas m’embraser, car elle n’aime pas le contact de la barbe. Avec ce bouc, maman trouve que j’ai une ressemblance avec le père de Foucauld et elle insiste sur ce fait en disant que je veux ressembler à de Foucauld. À vrai dire, je n’y ai pas pensé et j’essaie de dire qu’il n’en est rien, mais elle ne m’écoute pas.
1er mai 1959
Il y a encore deux ou trois jours de vacances pour les fêtes du Travail. Je me rends donc à la maison et avec la barbe. Maman qui la première fois toléra ma fantaisie fit aujourd’hui sentir son mécontentement. Elle ne veut pas m’embrasser et n’a qu’un désir, c’est que je coupe ce bouc. Claude poussa également le même cri d’horreur. C’était la première fois qu’elle voyait mon bouc. Elle ne voulut pas non plus m’embrasser. Ce qui m’ennuya beaucoup, mais je ne voulus rien laisser paraître. Papa ne dit rien. Il se contenta de demander ce qu’en pensaient les frères. À ceci, je lui répondis qu’ils ne s’occupent pas de la tenue extérieure : le corps ne fait pas l’esprit de l’homme. La réponse est plus de moi qu’elle ne l’est des frères.
Les discours sur mon bouc se sont arrêtés en disant que je fais très Jésus-Christ et que je désire ce rapprochement. Il n’en est rien. L’idée ne m’en est pas plus venue que de ressembler à Charles de Foucauld.