En Église, il importe de bien mettre en place l’engagement des baptisés laïcs et la responsabilité des clercs, cadres de l’Institution.
Aujourd’hui, en Église, il est urgent d’avoir des idées claires sur l’évangélique gouvernance. Il importe de bien mettre en place l’engagement des baptisés laïcs et la responsabilité des clercs, cadres de l’Institution.
Nous parlons désormais beaucoup de synodalité. Disons, plus simplement, que tout humain est invité à agir en responsable. Selon sa dignité fondamentale, il ne peut que participer aux décisions qui concernent ses modes de vie. Tout ne devrait être que participatif : gouvernance participative, démocratie participative. N’est-ce pas dans cette orientation que nous sommes invités à réfléchir et agir pour que se mettent en place les nécessaires réformes qu’exigent la crise, les crises de l’Église ? En ce sens, il ne faudrait pas que les conclusions de la Ciase occupent tous les terrains. Que l’Église soit en crise est une évidence visible dans tous les domaines et j’estime que, chrétiens, nous devons l’aborder en nous tournant vers la société civile telle qu’elle est et non nous protéger dans une communauté de fidèles du Christ assurés de leur foi sans faille. Autrement dit, j’estime que les réflexions émanant des paroisses demeurent trop souvent orientées par le seul souci du culte et de la vie sacramentelle, interne à l’Église. Comment expliquer que les disciples du Christ, les chrétiens ne s’expriment pas spontanément dans leur engagement envers le siècle, le monde tel qu’il est ? L’Évangile, l’Eucharistie oriente pourtant tous les baptisés dans une action séculière. « Allez en paix, glorifiez le Seigneur par votre vie. »
Le média La Croix alimente ma réflexion dans une dynamique synodale. Je trouve intéressant de déposer ici ces pages. Il s’agit d’un article d’Isabelle de Gaulmyn et d’un entretien de Natalia Trouiller. Isabelle de Gaulmyn invite également, via Tweeter, à entendre le cardinal Jozef De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles.
Guerre des rites et fin du catholicisme
La liturgie, dans un monde déchristianisé mais qui a soif de transcendance, est un instrument précieux pour toucher les gens. Mais la volonté des « tradi » de continuer à célébrer dans leur rite manifeste de la dérive individualiste d’une société où célébrer « ensemble » devient impossible.
Isabelle de Gaulmyn, le 13/01/2022
Après la décision du pape François de restreindre l’usage de la liturgie tridentine, c’est-à-dire préconciliaire, l’Église est devenue un champ de bataille entre chapelles différentes, les « tradis » invectivant les « gauchistes ». Et inversement. Ce n’est pas la première fois, le rite est traditionnellement en France une pierre de division, depuis le schisme intégriste lefebvriste. Mais la violence toujours renouvelée des oppositions est assez ahurissante. Et que doivent y comprendre nos contemporains extérieurs à l’Église ? Sans doute rien. Au mieux, ils considèrent cela comme une tradition exotique, une sorte de petit village gaulois qui s’accroche à des querelles incompréhensibles. Si on voulait mettre définitivement l’Église catholique hors du monde, on ne s’y prendrait pas autrement.
Dommage, car c’est précisément à cela que devrait servir la liturgie : parler de la foi au monde. Et non à nous étriper. La liturgie, c’est un langage. Une manière de célébrer dans laquelle chacun doit pouvoir entrer, y compris et surtout les non-croyants. Il est vrai qu’on a souvent bâclé la liturgie en France. Trop longtemps on a pensé qu’elle était secondaire pour la religion, car trop loin du quotidien des croyants. On s’est de ce fait accoutumé à des célébrations dominicales moches, sans souffle, et au total terriblement ennuyeuses
C’est une erreur. La religion sans liturgie réduit l’Église à une ONG humanitaire. Surtout au XXIe siècle. La liturgie, dans un monde déchristianisé mais qui a soif de transcendance, est un instrument précieux pour toucher les gens. Bien plus que tous les discours moraux ou politiques d’une institution ecclésiale totalement décrédibilisée, comme le sont toutes les institutions. La liturgie de la messe offre toutes les composantes pour séduire nos contemporains : on y parle du mystère de la foi à travers la Parole, et pas seulement de valeurs. On y vit quelque chose de beau. Et on le vit ensemble. Une liturgie belle, spirituelle et vécue dans une communion de tous. Le cardinal Lustiger l’avait parfaitement compris, si l’on pense par exemple aux JMJ 1997, à la liturgie baptismale suivie par deux millions de personnes au Parc des Princes. La liturgie devrait être un formidable instrument de transmission de la foi.
Dans ce cadre, et vu la misère fréquente de nos célébrations dominicales, il n’est guère étonnant que les messes traditionalistes, au rituel soigné, aient pu attirer de nouveaux croyants, comme l’avancent leurs partisans. Sauf qu’ils oublient un élément, essentiel : le « ensemble ». Si l’on a chacun son rite particulier, défini en fonction de ses options politiques ou théologiques, la liturgie devient le moyen de marquer sa différence, et donc d’exclure. Les traditionalistes prétendent que rien ne s’oppose à ce qu’ils célèbrent leur messe dans leur coin, avec leur propre conception, celle du XIXe siècle revisité, puisque eux ne s’opposent pas à la messe « normale ». Certes, mais dans une société où il est déjà si difficile de vivre ensemble, et où chacun reste dans sa bulle, quid de la communion de tous que permet la foi, à travers la liturgie ? De ce point de vue, les « tradis » sont en réalité des postmodernes accomplis : affirmant que chacun peut prier comme il veut, ils appliquent à la liturgie l’individualisme de notre société ; on like ou on dislike telle ou telle messe. À chacun son rite, à chacun son Église… Rien ne s’opposera, après, à ce qu’il y ait un rituel LGBT, un rituel genré, un rituel générationnel, un rituel politique radicalisé… Si les « tradis » nous montrent l’avenir, alors l’Église va devenir un vaste supermarché où l’on choisira de vivre la foi en fonction de son identité propre. Ce n’est pas forcément la mort de la religion. Mais ce sera sans aucun doute la fin du catholicisme.
« Pour les chrétiens, c’est le moment du grand silence »
Synode sur la synodalité. Préparer l’avenir de l’Église. Prendre la parole
Des témoins réfléchissent à partir des questions envoyées aux catholiques du monde entier.
Natalia Trouiller, Communicante, autrice et conférencière - Recueilli par Clémence Houdaille, le 14/01/2022
Clémence Houdaille : Le Synode est l’occasion de prendre la parole, d’exprimer ses attentes sur l’avenir de l’Église, « faire germer des rêves, susciter des prophéties et des visions », comme y incite le pape François. Quelle parole voulez-vous dire à cette occasion pour l’Église ? Et quelle parole avez-vous envie d’entendre ?
Natalia Trouiller : Avant de parler, je crois qu’il faut qu’on apprenne à écouter, et à s’écouter. Notre époque est marquée par une espèce de cacophonie générale. Chacun suit son idée, voit selon son prisme, et ne cherche même plus à essayer de critiquer ce qu’il voit en s’appuyant sur la parole de l’autre.
C’est un biais de plus en plus fort avec les réseaux sociaux, y compris dans l’Église : on parle souvent de « se laisser déplacer par la parole de l’autre » mais, spontanément, nous nous retrouvons avec des personnes qui nous ressemblent et reproduisons ces fameuses bulles des réseaux sociaux.
Or, nos paroisses sont un lieu où rencontrer des personnes différentes de nous. Je crois qu’il faut créer des groupes, des petites fraternités, où l’on apprend à côtoyer ceux qui ne pensent pas comme nous et où la parole peut ainsi circuler.
La fraternité est-elle la condition d’une parole partagée ?
N. T. : Dès que l’on tisse des liens, la parole peut être reçue, même s’il y a, au départ, de grandes divergences. Je l’ai constaté lorsque je m’occupais de la communication du diocèse de Lyon. Des journalistes avec qui j’avais développé une relation de confiance m’appelaient pour me demander des conseils sur tel ou tel sujet religieux.
Comment favoriser la prise de parole des uns ou des autres au sein d’une communauté ?
N. T. : Pendant toute une période, celui qui n’arrivait pas à trouver sa juste place et à s’exprimer dans sa paroisse allait dans la paroisse d’à côté. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Chacun doit trouver l’espace pour s’exprimer là où il est. La circulation de la parole en paroisse dépend beaucoup de la place faite au prêtre et de la place que le prêtre fait aux autres.
Nos paroisses sont fondées sur un modèle structurellement presbytéral. Ce qui ne veut pas dire qu’il doit être clérical. Ce que l’on voit souvent, c’est soit une paroisse où le curé prend toute la place et commande tout, soit une paroisse où l’équipe d’animation pastorale gère tout et le prêtre devient le fonctionnaire du culte.
Or beaucoup se satisfont d’une paroisse cléricale, car ils se contentent de venir au culte. Il suffit de voir le manque d’enthousiasme d’un grand nombre pour se mobiliser pour ce Synode… Mais une gestion de la paroisse en bonne intelligence entre clercs et laïcs peut fonctionner : cela suppose une organisation qui soit repensée régulièrement, avec une claire vision du sacerdoce universel des baptisés et du sacerdoce du prêtre.
Certes, dans toutes les paroisses, certains parlent fort, d’autres n’ont pas la parole. Mais prenons l’exemple du rapport de la Ciase : celui-ci peut être une occasion de prise de parole en communauté, si l’on s’en saisit en paroisse, si collectivement on en étudie les ressorts et les mécanismes des abus, si l’on regarde comment y faire face.
Cependant, pour que chacun puisse prendre la parole, il faut abandonner certains réflexes. Dans la société, la parole doit forcément être rationnelle, avec une obligation d’efficacité.
Dans nos paroisses, nous pouvons faire l’expérience que la parole dévoile la personnalité de celui qui parle, sans forcément se limiter au contenu de sa parole. Et sans avoir peur non plus d’une parole qui serait trop libre, en dehors du canon de la foi. Il faudrait vraiment être faible dans sa vie de foi pour se sentir mis en danger par une parole hors des clous !
Quelles limites voyez-vous à la parole ? À quels moments peut-elle être contre-productive ?
N. T. : Je souffre d’une maladie qui s’accompagne de troubles cognitifs m’enlevant toute inhibition dans ma prise de parole. J’ai dû réapprendre à mettre les formes, car, même si j’ai toujours eu tendance à être assez directe, ma prise de parole devenait intempestive et pouvait même être blessante…
Dans l’Église, la prise de parole a beaucoup évolué dans le temps. Avec le choc de la pédophilie, l’Église a perdu beaucoup de sa superbe et ne peut plus faire la leçon à tout le monde. C’est plutôt une bonne chose. L’expérience de la maladie me montre aussi que ma parole devient moins audible. Le fait d’avoir un handicap me renvoie sans cesse au fait que je suis dans un monde qui n’est pas fait pour moi. Il y a des sujets sur lesquels j’ai arrêté de prendre la parole, car elle n’était plus écoutée.
Il faut donc savoir renoncer à prendre la parole si elle ne peut pas être reçue ? Pourtant, si nous nous taisons, les pierres crieront, dit la Bible… Quelle parole chrétienne porter, dans une société qui ne l’est plus ?
N. T. : Notre religion nous dit d’annoncer l’Évangile à temps et à contretemps. Mais l’annonce de l’Évangile ne passe pas uniquement par la parole. Pour cela, l’expérience de la souffrance est décapante. Il y a des moments où l’on ne supporte plus aucune parole. Et ce qui surgit de la souffrance, c’est le cri, comme dans le Livre de Job. C’est pour cela que, dans mon dernier livre, j’ai eu recours, pour m’exprimer, à un langage nouveau pour moi, celui de la poésie.
Je crois aussi que, pour les chrétiens, est venu le moment du grand silence. Pas simplement sur la question des abus dans l’Église, mais sur tous les sujets. Ce qui ne signifie pas ne pas avancer ni agir. Mais les gens n’ont pas besoin de nous pour être touchés par Dieu. Jésus n’a pas besoin de notre verbe, c’est lui, le Verbe. En disant cela, je ne prêche pas du tout pour un nouvel enfouissement. Mais, dans une société où le Covid détruit les dernières digues, notamment familiales, taisons-nous, et construisons des espaces où accueillir ceux qui sont jetés par-dessus le bord du bateau du grand capital. Jésus est le verbe incarné, la parole en acte.
Si l’on en reste à une parole qui n’est pas incarnée dans nos actes, nous n’avons aucune chance de l’annoncer. En revanche, les chrétiens doivent investir massivement le social. Avec le vieillissement des bénévoles, la raréfaction des chrétiens, un certain nombre d’associations caritatives vont mettre la clé sous la porte.
Pour remplir cette obligation absolue que Jésus nous fait d’accueillir le pauvre, nous ne pourrons plus déléguer aux associations. Il faudra l’accueillir chez nous, vraiment. Cette paupérisation radicale vers laquelle nous allons est une bonne chose pour nous obliger à incarner véritablement la parole.