L’appel à devenir prêtre se manifesta grâce au dialogue avec autrui et dans la découverte que, relevant de l’intériorité, il n’est que de Dieu

Publié le par Michel Durand

L’appel à devenir prêtre se manifesta grâce au dialogue avec autrui et dans la découverte que, relevant de l’intériorité, il n’est que de Dieu

Année 1959 - 1960

1ére T M à Godefroy

20 septembre 1959

Je passe aujourd'hui l'après-midi à Gueugnon chez Marie-France Lescanne qui avait une autre invitée que moi, Nicole. Après avoir bu un jus de fruits dans sa chambre et après une longue discussion sur l’art, sur la littérature, les impressionnistes, la musique, nous sommes, tous les trois, partis faire une promenade de deux heures au moins, en dehors de la ville. Le but de cette promenade, car il faut pour l'intérêt toujours un but, était un château. Château ou maison de ferme importante, car, s’il y avait des tourelles et un pont-levis, le tout ne présentait guerre d'intérêt.

Mais voyons ce que fut cette promenade. Nicole avait un appareil de photo et elle s’en servit sans attendre pour photographier Marie-France et moi-même. Le choix de ces photos (le décor) était très nature, campagne et d'une campagne que je pourrais appeler romantique. Enfin, trêve de paroles, je remarquai que la prise de ces photos constituait pour la propriétaire Nicole, une sorte de souvenir, style : « idylle champêtre ».

Cette même jeune fille, qui m’est une camarade, était très aimable, gentille à cette sortie ; beaucoup plus que d'habitude. Elle était avenante, agréable ; elle choisissait les discussions qui me plaisaient. Enfin, elle m'a semblé qu'elle faisait beaucoup pour me plaire. Mais ses intentions me plurent moins. De par la conversation qui devenait envers moi sentimentale, je vis son désir de devenir plus qu'une camarade. Une amie ? Je penserais plutôt au flirt vu qu’elle est attachée à un camarade, plus âgé que moi, se trouvant au service militaire. Marie-France devait être au courant de ce projet, car durant tout l'après-midi elle se teint un peu à l'écart pour laisser libre jeu. Cette position fut étonnante pour elle, car elle aime énormément, en société, tenir la place du milieu.

Je vois maintenant que cette rencontre, ou découverte, appartient à la méthode expérimentale. (Faire des expériences afin de connaitre). Et je vois également que cette méthode est dangereuse. J'aurais très bien pu combler le désir de Nicolle en flirtant avec elle !

Cette expérience n'est pas extraordinaire à Gueugnon dans ce club ; c’est un club sans nom, club privé où Marie-France tient le centre. Il y a autour de cette camarade une dizaine de garçons et de filles qui ont tous le désir de flirter, gentiment bien sûr. Et ce club, étant strictement formé de ces éléments, la variété est faible ; aussi doivent-ils, à l’amiable, faire des échanges.

Ceux-ci s'opèrent très souvent dans les « surpats ». Ce n'est pas si facile pour un club de ce genre d'être accepté, ou bien vu, par les collègues du même âge ; aussi y a-t-il souvent des histoires qui tiennent plus ou moins debout. Bien sûr, quand le club est en partie rassemblé la conversation est bourrée de sous-entendus.

Voilà pour le soi-disant club Marie-France de Gueugnon.

 

Le 24 septembre 1959

À la pension, le bruit est très important. Dans les moments de repos, il est presque impossible de se consacrer à la réflexion. La cour, où l'on où l'on se retrouve obligatoirement est pleine de bruits de toutes sortes. Les camarades qui jouent créer un spectacle distrayant, ceux qui ne jouent pas viennent près de nous afin de discuter. Ainsi, et cela arrive souvent, nous sommes obligés d'interrompre une conversation, dite intéressante, partagée avec un camarade.

Toutes ces circonstances, et bien d'autres choses encore, font que la réflexion individuelle ou à deux et à plusieurs est relativement impossible dans nos temps libres en semaine, c'est-à-dire sur la cour de récréation.

Prière.

L'ambiance générale ne facilite pas la méditation et la prière même est faite souvent sans goût. Il est difficile de prier au dortoir (dans le lit). Il est encore plus difficile peut-être de prier en commun, en classe. Bien sûr, la prière est meilleure et plus sûre à la chapelle. Mais il faut y aller et ce déplacement nécessite la rencontre de camarades, de professeurs qui éveille tout de suite notre respect humain (peur d’être vu).

À la maison, par contre, il n'y a, pour ainsi dire, pas de bruit. Ceux qui se produisent sont faibles et ne dérangent absolument pas. Ce calme, celui de la campagne, est propice à la méditation. Très peu de distractions viennent rompre la réflexion que je peux faire durant tout le jour : le soir je regarde la télévision. Aussi la méditation, aidée de la lecture, me baigne dans une ambiance merveilleuse ou l'intérieur est roi. La prière, en conséquence, est plus facile et je la fais avec plus de goût.

 

27 septembre 1959

La mort est pour moi, comme pour bien d'autres j’espère, une naissance. Elle est, sinon une délivrance, une ouverture, un complément de ce que nous sommes sur terre.

La mort, porte d'entrée à la survie, est en conséquence, une joie au lieu d’être - ce qu'on voit le plus souvent autour de soi - une tristesse. Je n'ai pas peur d'elle et pourtant, si le cas de mort se présentait concrètement devant moi, n’en aurais-je pas peur ? Nous ne savons pas, après tout, où Dieu nous mène ; sommes-nous (serons-nous) acceptés dans le royaume céleste ?

De grands catholiques, à la foi solide, ont peur de la mort ; des religieux disent que la mort n'est pas toujours agréable. Ces hommes devraient aimer la mort, car ils savent ce qu'elle est. Leur position me fait demander si je suis vraiment franc avec la mort.

 

29 septembre 1959

La sagesse humaine, qui consiste, pour être heureux, à observer le juste milieu, me fait horreur. Un sage, pour moi, est un tiède qui mène une vie morne, calme sans aucun risque. Montaigne personnifie à merveille cet art de vivre qui condamne tout enthousiasme et il suffit de le lire pour s'en rendre compte. J'ai horreur de Montaigne.

Aussi, je ne veux absolument pas être un sage. Et ceci, parce que je ne veux pas vivre dans la tranquillité oisive, mais aussi parce que le Christ n'est pas un sage. La croix est folie pour les Grecs, scandale pour les Juifs.

Étant un adepte du Christ, je ne dois pas avoir peur d'être pris pour un fou. Charles de Foucauld, dans son renoncement rapide, était sûrement, par ses camarades, pris pour un fou original et je pense qu'il ne s'en souciait guère, puisqu'il trouvait par cette quasi-folie la voie de Dieu.

C'est pourquoi, renonçant aux joies actuelles, dédaignant le mépris des autres, m’écartant du juste milieu, je ne cherche pas le bonheur ici-bas. Je ne suis pas à la quête d'une vie heureuse sur terre. Mais je désire recevoir ce bonheur dans la vraie vie, la vie éternelle. Et, pour recevoir ce bonheur, je me penche sur les souffrances des autres. Souffrances morales, bien sûr, car, au point de vue physique, il se comprend facilement que je ne sois pas capable de quelque chose. Beaucoup souffrent et beaucoup cachent leurs souffrances si bien qu'il est difficile de déceler ceux qui ont besoin d'un soulagement quelconque.

Je souhaite grandement posséder ce don, si don il y a, de découvrir ces malaises et, la découverte étant faite, je veux posséder le « ce qu'il faut » pour me rendre sympa auprès des camarades à fin de les soulager. Je souhaite également posséder un peu d’intuition ou beaucoup d'intelligence, pour découvrir, après une brève conversation ce qui ne cadre pas dans la vie du camarade.

Tous ses souhaits seront, je pense comblé en étudiant l'homme et en me donnant complètement à lui. La prêtrise est le moyen le plus extrême, le plus fort pour porter secours à l'humanité. Les politiques, communistes, socialistes, capitalistes visent également à soulager l'humanité ; mais leur secour est faux. Il est surtout incomplet, car l'homme assoiffé - d’infini même s'il ne s'en rend pas compte - a besoin d'être en présence de l'Être suprême, de Dieu. Et ce besoin est le même pour tous les hommes de toute la terre. Il est incomplet ce secours sur terre, car l'homme ne peut absolument pas se satisfaire, tout au long de sa vie, d'un confort matériel maintenu par un niveau de vie élevé. C'est impossible, il faut du surnaturel, à moins que ce ne soit qu'une illusion et il est peut-être à craindre qu'il en soit ainsi dans le monde ouvrier. Cependant, avec le travail de tous, l’illusion avec le temps s'effacera devant l’homme.

En conclusion de cette considération sur le travail incomplet des politiques sociales, une seule chose peut être écrite : le prêtre complète, ou plutôt est complet dans son secours qu'il porte aux hommes. C'est par ce caractère de perfection que, par la raison, ou intellectuellement je tends vers le sacerdoce.

J'écris, intellectuellement, car cette considération vient après un fait qui est totalement indépendant de ma volonté. Je donne cette raison d’être prêtre aujourd'hui ; mais il y eut une autre, vieille de six ou sept mois, et qui prime sur tout, car elle est le point de départ.

Ce fait, déjà décrit, a eu lieu au cours du mois de février. J'en recommence la description, car ma manière de voir a complètement changé avec le temps. Sur le moment, je doutais, car je voyais en ce fait une hallucination d’adolescent ; mais maintenant je suis sûr et certain que là est l’appel de Dieu.

L’appel de Dieu (le fait) se partage en deux temps. Le premier a eu lieu le 8 février 1959 (voir au 10 avril 1959) temps que je considère comme un simple amorçage, une entrée en matière. En effet, je ne me rappelle très peu de ce jour ; il ne m'a donc pas terriblement frappé.

Le deuxième temps fut plus fort, je m'en rappelle comme si j'y étais encore présent. Mon âme en frémit encore et je vois que c'est ici que se fit l’appel de Dieu. Je le crois avec certitude aujourd’hui ; je le voyais avec doute au début de l’année.

Après une réunion de la JEC, nous avons parlé, dans le cadre mystique de Richelieu, de la nécessité de se donner à autrui. Et, c'est en parlant de mon désir d'être présent aux autres que l'idée me vient de me consacrer à Dieu dans le sacerdoce pour être présent aux hommes. Aussi (cf. le 10 avril 1959) la conversation s’aiguilla sur le prêtre et son travail. Certains pourraient croire que le séminariste Raymond Meiller fut le moteur de cette conversation. S’ils pensent ainsi, ils sont dans l'erreur, car, je posais les questions et il répondait ; je dirigeais donc le dialogue et de plus je ne lui ai pas dit ce soir-là, d'une manière absolue, que les questions auraient peut-être une application en moi-même. Bien sûr, Raymond s’aperçut de mes intentions, mais il n'en a absolument rien dit avant que moi-même je le lui affirme. Cette affirmation eut lieu seulement à la fin de la deuxième entrevue.

On peut donc voir que ce n'est pas lui qui me mit la puce à l’oreille.Il ne me donna aucune influence ; il enregistrait seulement mes paroles ; il était seulement l'instrument de Dieu qui, lui, était le moteur, le directeur de la conversation. C’est Dieu et non pas Meiller qui m’influença. C'est Dieu qui m’appelle et aucune autre personne - frères des écoles chrétiennes, aumôniers - n'a mis le problème en face moi.

On peut donc conclure que l'origine de ma vocation vient uniquement de Dieu et non des hommes*. Elle est de source personnelle, sans influence extérieure, mais en communion avec Dieu.

* Une vocation peut, à mon avis, venir des hommes quand un individu accepte de se faire prêtre par la tradition, ce qui avait lieu aux siècles derniers, ou pour faire plaisir à sa mère et à quiconque qui le désir.

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