Une vie écrite à l’intention de ceux qui découvrent A. Chevrier en dehors du Prado. Sélection à partir de la Petite vie de Richard Holterbach
Cette page accompagne les pages « vivre le carême 2022 dans le sillage d’Antoine Chevrier ».
1 - Antoine Chevrier, 1826-1879
Le 25 mai 1850, Antoine est ordonné prêtre à la primatiale Saint-Jean-Baptiste avec quarante-neuf autres diacres.
Trois jours après l'ordination, il est nommé vicaire à Saint-André de la.Guillotière. Il est heureux. Madame Chevrier est très déçue, elle espérait pour son fils une nomination plus gratifiante. L’important faubourg de la Guillotière, plus de 40000 habitants, est très pauvre.
Il écrit en préparant un sermon : « Le spectacle de plus en plus effrayant de la misère humaine croît. On dirait, à mesure que les grands de la terre s'enrichissent, à mesure que les richesses s'enferment dans quelques mains avides qui les recherchent, que la pauvreté croît, le travail diminue, les salaires ne sont pas payés. On voit des pauvres ouvriers travailler depuis l'aube du jour jusqu'à la profonde nuit et gagner à peine leur pain et celui de leur enfant. Cependant, le travail n'est-il pas le moyen d'acheter du pain ? »
2 - Inondation de mai 1856
Le Rhône n'est pas un fleuve domestiqué. Il peut devenir violent, meurtrier. Les inondations de mai 1856 ont été spectaculaires. Le samedi 31 mai, la digue de la Tête d'Or céda en pleine nuit, les eaux déferlèrent,
entraînant tout sur leur passage. Toute la rive gauche du Rhône est dévastée. Les bas-fonds de la Guillotière, des Brotteaux sont à trois mètres sous les eaux. Les maisons en pisé ne résistent pas, elles s'effondrent les unes après les autres. Les gens fuient vers le cours des Charpennes, la place du Pont, les seuls points à l'abri des inondations. Une famille se réfugie sur un talus du fort. Antoine prend ses draps, ses couvertures, leur donne ce premier secours. Avec l'autre vicaire M. Haour et deux hommes, ils essaient d'atteindre, en barque, l'église. Le courant est terrible, la gaffe coincée dans une imposte leur évite d'être emportés. Arrivés près de l'église, ils entendent les cris de quatre hommes réfugiés sur un platane.
Ils les secourent. Quelques instants plus tard, l'arbre est déraciné, roulé dans un torrent de boue. Les deux jeunes vicaires enlèvent le Saint-Sacrement dans l'église. Ils parcourent en barque les rues du quartier, transportent dans les maisons solides, dans l'église ceux qui habitaient les maisons en pisé. Durant deux jours il faut affronter la furie des eaux, grimper sur les toits pour atteindre les
cours intérieures. Ce dimanche, Antoine et un sergent de ville parcourent le quartier pour porter du pain, le présentant au bout d'une perche si c'est nécessaire. Le troisième jour, les habitants commencent à sortir, l'eau se retire. L'empereur Napoléon III arrive à Lyon, il visite le lieu des inondations, et demande pour les récompenser les noms des sauveteurs. La municipalité, la voix populaire désignent le clergé de Saint-André, spécialement l'abbé Chevrier.
3 - Noël 1856 : illuminé par le Christ
L'année 1856 touche à sa fin. C'est Noël. Antoine, toujours fidèle à son temps d'oraison, médite devant la crèche à Saint-André. « Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous. » Dans le silence, une grande clarté l'envahit. « C'est la fête de Noël qui m'a converti. » « C'est à Saint-André qu'est né le Prado. C'est en méditant, la nuit de Noël, sur la pauvreté et l'humilité de Notre Seigneur, que j'ai résolu de tout quitter et de vivre le plus pauvrement possible. »
« Je me disais : le fils de Dieu est descendu sur la terre pour sauver les hommes et convertir les pécheurs. Et cependant que voyons-nous ? Les hommes continuent à se damner. Alors, je me suis décidé à suivre Notre Seigneur Jésus Christ de plus près, pour me rendre plus capable de travailler efficacement au salut des âmes. » Cette plongée dans le mystère de Jésus va être la nourriture d'Antoine, toute sa vie.
Plus les années passeront, plus il s'attachera à Jésus-Christ, cette « divine lumière », plus il sera attentif à l'Esprit Saint qui ouvre le cœur à ces « petites lumières » qui indiquent le chemin. Il se rend au Christ corps et âme.
Ô Verbe ! Ô Christ !
Que vous êtes beau ! Que vous êtes grand !
Qui saura vous connaître ? Qui pourra vous comprendre ?
Faites, ô Christ, que je vous connaisse et que je vous aime.
Puisque vous êtes la lumière,
laissez venir un rayon de cette divine lumière
sur ma pauvre âme,
afin que je puisse vous voir et vous comprendre.
Mettez en moi une grande foi en vous,
afin que toutes vos paroles soient pour moi
autant de lumières qui m’éclairent et me fassent aller à vous,
et vous suivre, dans toutes les voies de la justice et de la vérité.
Ô Christ ! Ô Verbe !
Vous êtes mon Seigneur, et mon seul et unique Maître.
Parlez, je veux vous écouter et mettre votre parole en pratique.
Je veux écouter votre divine parole
parce que je sais qu’elle vient du ciel.
Je veux l’écouter, la méditer, la mettre en pratique,
parce que dans votre parole,
il y a la vie, la joie, la paix et le bonheur.
Parlez, Seigneur, vous êtes mon Seigneur et mon Maître
et je ne veux écouter que vous.
Ceux de la "Guille"
4 - Antoine Chevrier connaît de grandes déceptions
Paroisse Saint-André. À la fin du carême, pendant la prière du soir, des enfants jouent autour de l'église, bruyamment. Un des prêtres sort, donne une gifle à l'un des enfants. Le père ne comprend pas ce geste. Il se fâche. Son fils ne fait pas la communion, son frère n'est pas baptisé.
Antoine Chevrier suggère que le prêtre dise quelques mots de conciliation. Il insiste : « la mission du prêtre est faite de patience. » Il est traité d'imbécile. Antoine réunit un groupe de jeunes qui chante tous les dimanches soir aux offices du mois de mai. Ils sont vingt à être fidèles, le noyau pour entraîner les autres. « Je suis tout fier de vous ; vous êtes un peu mon œuvre, vous êtes aussi mes enfants. » Le jour de la Fête-Dieu, ils entourent Antoine Chevrier, ils vont former le chœur de la procession. C'est la joie, un peu bruyante peut-être. Le curé leur donne I’ordre de se disperser. Le groupe est dissous. C'est une grande peine pour le jeune prêtre. Il a du mal à cacher sa déception.
5 - De la paroisse à la Cité de l'Enfant Jésus - 1857
En ce temps, Camille Rambaud n'était pas encore prêtre.
Sur le pont de la Guillotière, il rencontre l'aumônier militaire, un de ses amis. Celui-ci lui dit : « Je vais visiter la Cité de l'Enfant Jésus, que bâtit Camille Rambaud. Venez avec moi. » Le soir, au souper, Antoine dit à ses confrères : « J'ai vu Jean dans le désert. » « J'ai vu un jeune homme de brillant avenir qui a tout quitté, qui a pris un habit de pauvre, pour se mettre au service des pauvres. C'est un exemple. » Camille Rambaud, associé d'un des plus importants fabricants de soieries de la ville, quitte tout pour se consacrer au service des pauvres. Paul du Bourg, petit-fils d'un riche banquier et marchand de soie, le rejoint. Revêtus de l'habit des ouvriers: grande blouse bleue, pantalon gris, ceinture de cuir, casquette et galoches, frère Camille et frère Paul vivent comme des pauvres. Ils ont la trentaine. Ils accueillent des enfants incurables, ils préparent des enfants à la première communion. Après les inondations de 1856, frère Camille a le projet de construire une cité ouvrière à loyers modérés. Il est urgent de s'occuper de toutes ces personnes que les inondations ont jetées à la rue. C'est dans le futur quartier de la Part-Dieu que le projet prend corps.
Antoine apprend que l'aumônier de la Cité, un capucin, est nommé ailleurs par ses supérieurs. Il va rencontrer Camille Rambaud et se propose pour devenir le nouvel aumônier. La nomination se fait en août 1857. Antoine a trente et un ans. Il pense faire un grand pas pour répondre à l'appel qu'il entend : « Le. prêtre dans une église est comme le portier du Seigneur, il ne doit pas être mieux logé. Un Christ, un grabat, un Évangile et une table. » Les pauvres gens se pressaient nombreux le dimanche 9 août dans la chapelle provisoire de la cité pour voir et entendre le nouvel aumônier. Il avait préparé ceci : « Y a-t-il quelqu'un qui ne soit pas en paix avec Dieu ? Je viens la lui apporter. C'est Dieu qui la lui envoie. Voilà le ministère du prêtre : donner la paix. Ministère tout de bonté, tout de douceur paternelle. Et comment la donne-t-il cette paix ? Par les sacrements... Je serai tout à vous, corps et âme. C'est là l'office du prêtre, l'homme de Dieu, l'homme du peuple... On ne dérange jamais un prêtre, retenez bien cela, ne craignez rien. » L'ancien aumônier étant un père capucin, l'abbé Chevrier sera appelé lui aussi : père. Il sera le père Chevrier.
Marie Boisson, Sœur Marie
6- L’abbé Antoine Chevrier n’est pas seul ; premiers compagnons et compagnes
Deux nouveaux frères viennent épauler l'équipe en place. Frère Pierre, frère Charles. Le premier, vif, impatient, un peu orgueilleux, a le don de se faire entendre par les enfants. Charles fait aux enfants des cours de physique. Deux sœurs se joignent au petit groupe : Amélie et Marie. Amélie est dévouée à l’extrême : c'est sa qualité et son défaut. Le père Chevrier lui demande si elle veut renoncer à son chez-soi pour se consacrer à Dieu et à la Cité. Elle dit à Marie : « Si vous venez avec moi, j’accepte ; autrement, non. » Elle vend son atelier d'ourdissage, ses bijoux, tout son bien et donne tout à frère Camille. Marie Boisson a vingt-deux ans. Elle est ouvrière en soie. Elle voulait entrer chez les Petites Sœurs des Pauvres. « La première fois que je vis le père Chevrier, ce fut au confessionnal. Je n'avais pas l'intention de m'adresser habituellement à lui, mais une fois que je lui eus parlé, ce fut fait, et je n'ai pas eu d'autre confesseur jusqu'à sa mort. »
Après sa conversation avec Amélie, elle se rend à la Cité. Le père Chevrier distribue des récompenses aux petits garçons : « Que voulez-vous ? - Mon père je sais tout, me voulez-vous ? Mlle Amélie m'a tout dit. - Oui, mon enfant. » Il y avait vingt-quatre garçons, six petites filles à préparer à la première communion.
Marie fait la classe aux petites filles de la Cité et prépare avec Amélie celles qui vont faire la première communion. Antoine Chevrier est tout à son affaire. Faire le catéchisme, apprendre aux enfants, aux adultes à aimer Dieu, voilà tout son désir. C'est un regard de tendresse qu'il porte aux enfants :
« Ces pauvres enfants, quand ils viennent tout déguenillés, tout mauvais, comme ils sont malheureusement, ils ne sont pas trop beaux à voir. » Sa bonté, c'est ce qui paraît en premier pour qui l’approche.
Faire aimer le Christ
7 - Au cœur de la Guillotière, l’achat de la salle de bal du Prado - 10 décembre 1860
Le Prado a mauvaise réputation dans le quartier. Il est à louer ou à vendre peut-être à cause de problèmes rencontrés avec la justice. Coups de poing, coups de couteau, meurtres, voilà la réputation de ce bal populaire, le plus ancien du quartier. Antoine Chevrier hésite.
Le cardinal de Lyon, les abbés Boulachon, Rolland, le frère Pierre, la sœur Amélie, M. Revol, l’ancien maire de la Guillotière, insistent : c’est le moment, il faut y aller. Les conditions exigées par le propriétaire : un bail de dix ans, quatre mille francs payés par trimestre et à l'avance. Antoine Chevrier n'a rien. Il passe une journée à parcourir la forêt : « Mon Dieu, si vous avez besoin d'un fou me voilà, si vous avez besoin d'un pauvre, me voilà. » Il va chez Françoise Chapuis : « Françoise, je suis en train de faire une grande bêtise ! Je tremble... Je suis en train d'acheter le Prado, ce bal des vaches, où il se fait tant de mal.
- Vous ne faites pas cela de vous-même, mon père ?
- Non, je l'ai dit à Monseigneur, il m'engage à le faire.
- Eh bien, il ne faut pas trembler, il faut le faire.
- Un pauvre âne comme moi, avec mon ignorance, mon manque d'avoirs, comment pourrai-je faire? C'est la foi qui me manque, le bon Dieu a dit que ceux qui avaient la foi transporteraient des montagnes. »
Il est là, tantôt pâle, tantôt rouge, les yeux embués de larmes.
« Je n'ai rien, même pas un ornement pour célébrer la messe.
- Eh bien, je l'achèterai, j'achèterai le calice, le ciboire, les burettes et une chape et voici cinquante francs pour dorer l'ostensoir. »
Puis ils parlent de ce qui est nécessaire pour accueillir des enfants.
Le père Chevrier appelle la maison : « Providence_du Prado ». Antoine Chevrier avait trente-cinq ans, frère Pierre vingt-sept, sœur Marie vingt-cinq, sœur Amélie un peu plus. Alexis Boulachon, son ami, le soutenait comme il pouvait : prédication, confession, présence quand le père était absent.
8 - L’œuvre de la première communion...
« Le but de l’œuvre est de préparer à la première communion les enfants pauvres et âgés. Ils ont de quatorze à vingt ans. Ce sont des enfants qui pour la plupart, travaillent depuis l'âge de huit ans. » Alexis Boulachon amène des jeunes délinquants, des mères qui ne savent plus quoi faire avec leur jeune frappent à la porte. Viennent aussi des grands gaillards employés chez des saltimbanques. Ils sont doués en lutte, en acrobaties, ils crachent du feu : il y a de l'ambiance pendant les récréations.
Dans son règlement : rapports avec les enfants, il écrit : « On doit traiter les enfants avec douceur et charité, et ne jamais les frapper pour quelque raison que ce soit. S'ils ont des défauts, il faut les reprendre avec patience et prier pour eux. Ils viennent pour se convertir; il faut aller doucement, attendre avec patience, et compter beaucoup plus sur la grâce de Dieu que sur nous-mêmes. On obtient plus par la douceur que par tout autre moyen. Tout est renfermé dans ces mots : nous devons être pour eux des pères et des mères, avoir pour eux le cœur d'un père et d'une mère. » Les premiers jours ils sont timides, ahuris, inquiets ; les jurons sont prêts à s'échapper de leur bouche. Ils sont méfiants, certains ont la haine de la soutane. Ils sont traités avec bonté. Leur journée se partage entre le travail de la maison, des leçons d'écriture, de lecture, le catéchisme, la prière et de longues récréations où ils se défoulent à leur aise et apprennent à se connaître. Un de ces jeunes explique : « C'est curieux, on pleure en entrant ici, les vieux murs et les curés vous font peur ; on pleure beaucoup plus pour les quitter ; mais ce n'est pas la même chose. » Le père Chevrier les gardait cinq à six mois.
Le jour de la communion, il y a des nappes sur la table, des serviettes pour chacun. Le soir de la fête, chaque enfant reçoit un crucifix que le père Chevrier lui passe au cou, il les embrasse et les bénit. « Je tâche de les chausser et de les nourrir pour commencer. Puis d'en faire des hommes et des chrétiens. Et lorsqu'ils ont le sentiment de leur grandeur, quand je vois qu'ils peuvent faire leur chemin dans le monde, je les rends à la société, tout en les suivant encore, les encourageant, les fortifiant après leur départ de la maison. »
9 - Antoine Chevrier dans son ermitage à Saint-Fons
Il avait besoin de mettre de « l'huile dans sa lampe » : étudier Jésus dans l'Évangile, faire oraison, comprendre ce que Dieu attend de lui. Il avait trouvé ce qu'il appelle « la montagne de Saint-Fons ». Une butte, au-dessus de la plaine ; les pins y poussent, les sauterelles sautent dans les herbes brûlées de soleil. Une petite « cabasse », une baraque où on vend des rafraîchissements lui sert de lieu de retraite. Le matin il va chez les Pères Basiliens de Feyzin pour célébrer la messe, une femme lui apporte de la soupe, des pommes de terre, des œufs. Il demande à Alexis Boulachon de monter une baraque semblable à côté de la sienne. Deux ou trois fois par an, pendant une semaine, ils viennent là. « Il y avait un espèce de petit bureau sur lequel nous écrivions nos bonnes pensées de retraite, un banc, une planche sur laquelle nous couchions et une ou deux couvertures seulement. Ces cabanes, éclairées par une petite fenêtre d'environ trente centimètres, étaient très étroites et à peine assez longues pour nous permettre de nous étendre, le père Chevrier surtout, qui était grand. On aurait dit des placards. » C'est une vraie solitude, un lieu de fécondité.
En ce lieu, il forme les premiers séminaristes au sein des enfants pauvres et de l’école cléricale nouvellement créée.
Élaboration du tableau de Saint-Fons : un schéma qui résume son projet de formation de disciple selon l’Évangile
10 - Son intuition missionnaire est reconnue ; la paroisse du Moulin-à-Vent lui est confiée
Les faubourgs de Lyon ne cessent de s'étendre. Il fallait créer de nouvelles paroisses. À Vénissieux, les autorités diocésaines décident de créer une paroisse à Saint-Fons, une paroisse au Moulin à Vent. Les gens qui habitent ce quartier sont des maraîchers, des cultivateurs. Leurs légumes, leurs fruits, leurs céréales nourrissent la ville de Lyon. L'abbé Robin, archiprêtre de Vénissieux, s'adressa au père Chevrier : « Si vous étiez moins chargé vous-même, c'est à vous que je voudrais confier cette œuvre. Le Moulin_à Vent est tout près du Prado. » Voilà l'occasion de mettre en pratique tout ce qu'Antoine réfléchit, médite, prie depuis des années. Allier la pauvreté, la proximité, la gratuité, l'annonce de l'Évangile, l'amour des sacrements et de l’Église ; tout devient possible. Il fallait construire une église provisoire.
11 - 1879 : tout est accompli
1879, M. Duret se souvient : « Dans la matinée, j'avais été obligé de le soulever un peu sur son lit avec l'aide d'un séminariste. Il était d'une faiblesse extrême, il nous regardait avec bonté, et dans son regard nous lisions la tendresse et la reconnaissance. » À midi, il prit encore la boisson qu'on lui présentait : « C'est assez maintenant. » Ses prêtres se réunirent auprès de lui pour recevoir sa dernière bénédiction. Il reposait calmement; il ouvrit les yeux, se souleva un peu, tendit ses bras. Il prononça quelques mots: « Le ciel, le ciel, le ciel », ses dernières paroles, puis il entra en agonie. Il expira doucement à 20 h 50, l'heure où il avait coutume, tous les jeudis soir, de faire l'heure sainte.
Il avait cinquante-trois ans.
12 Funérailles
« Le saint est mort », telles furent les paroles qui circulèrent le lendemain dans les rues de la Guillotière. On commença aussitôt les démarches pour demander l'autorisation d'inhumer le corps du défunt dans la chapelle du Prado.
Ce fut accordé. On revêtit le corps de la bure du Tiers Ordre, de la soutane, du surplis et de l'étole. On mit entre ses mains son chapelet, son crucifix. Depuis le vendredi jusqu'au lundi, la foule ne cessait de se recueillir devant le corps du père Chevrier. Tous voulaient contempler encore une fois ce beau visage qui avait tant montré le Christ. Les funérailles eurent lieu le lundi_6 octobre à l'église Saint-Louis. Trois cents prêtres étaient venus de la ville, du diocèse, des diocèses voisins. Sur le cercueil, le surplis et l’étole ; il n'y eut pas de grande oraison funèbre. Sur le passage du cortège, on entendait : « Il m'a préparé à la première communion ; il a appris le catéchisme à mes enfants ; il a trouvé de l'ouvrage à mon mari ; il a trouvé une place à ma fille ; sans lui nous aurions manqué de pain ; il a payé l'apprentissage de mon garçon ; il était si bon. Celui-là, il est bien sûr de sa place en paradis. » On évalua à dix mille le nombre de personnes qui suivirent le convoi. Après la cérémonie, le corps fut rapporté dans la chapelle du Prado où il fut déposé dans le caveau qu'on avait préparé au milieu de l'allée centrale devant le chœur. Sur la pierre tombale, une inscription latine dont voici la traduction : « Ici, repose dans la paix Antoine Chevrier, prêtre, Fondateur de la pieuse institution pour l'instruction chrétienne des ignorants et l'éducation des clercs. »
Texte et dessins de Richard Holterbach, Petite vie du Père Chevrier, DDB, desclée de brouwer, 2014