Que faire ? Tenter d'y voir plus clair, tenter de mettre le doigt sur l'origine d'un dérèglement profond familiale, sociétal, intergénérationnel
Nous manifestons de l’admiration pour la résistance de l’Ukraine face à la guerre provoquée par Poutine. Mais, j’observe, plus cela dure, plus il y aura de victimes, de morts, d’immeubles inhabitables.
Russes et Ukrainiens sont comme « cousins ». Déjà des relations familiales sont détruites. Les fausses informations rejettent toujours la responsabilité sur « l’autre ».
Et moi, de France, j’observe cette guerre via les écrans (télévision ou ordinateur), chaudement installé dans mon fauteuil. Je me demande : « ne faudrait-il pas accepter, chez nous, au moins une baisse de chauffage, ce 2 avril alors que la neige tombe et rompre tout contact gazier avec Moscou ? » Une certaine façon de communier avec celles et ceux qui sont sous les bombes.
Dans cette méditation et/ou réflexion, je découvre un texte de Jean-Marie Delthil que je trouve juste de mettre en ce lieu. Un texte de novembre 2019.
Il peut arriver
Oui, il peut arriver bien de choses au cours d'une vie – de la vie de tout un chacun, finalement.
Je vais tenter de comprendre un peu les événements tout en vous écrivant ; démarche inverse s'il en est d'une investigation intellectuelle au sens strict et restrictif du terme.
Laissons parler les mots, les phrases, les affects – si vous le voulez bien...
Voici : personne n’ignore qu'en Europe, nous avons non seulement vécu, mais également douloureusement subi deux guerres au cours du siècle passé.
Permettez-moi de ne m'arrêter « que » sur la dernière guerre mondiale, dont la fin remonte à 74 ans, le temps d'une vie humaine, c'est-à-dire finalement assez peu.
Des personnes l'ont directement vécue, elles sont encore parmi nous de nos jours (d'autres sont à présent mortes voici 10, 20 ou bien 30 ans), et parmi ces personnes, certaines d'entre elles ont été terriblement marquées, terriblement meurtries par cet événement hors du commun et radicalement destructeur.
Que faire de cela ?… Que faire de ces traumatismes presque indicibles, parfois ?…
La génération de nos (mes) parents n'était pas encline à aller consulter, à aller demander de l'aide et de l'écoute auprès de professionnels de la santé dans le domaine de la psychologie ainsi que de la psychiatrie.
Et pour cause, également : ces professionnels n'étaient ma foi pas si nombreux.
Bon : il y a eu un traumatisme essentiel qui a touché cette génération… le silence s'en est (assez souvent) suivi par la suite dans les familles, les enfants sont nés – ma (et notre) génération – et nous avons alors hérité de bien des non-dits, de bien des impossibilités de mettre en mots, ainsi que de décrypter les événements passés.
Que faire ?
Je veux dire, au niveau de notre génération ?… Hé bien tenter d'y voir plus clair naturellement, tenter de mettre (souvent lentement et par tâtonnement, parfois de manière nettement plus brutale et subite) le doigt sur l'origine d'un dérèglement profond et qui finalement est devenu familiale (sociétal également), intergénérationnelle, et dont on ne parvient pas si facilement à couper la transmission – à se défaire.
Il faut de l'aide, certes… de l'aide et de l'écoute venant de personnes neutres n'ayant (et bien souvent) rien à voir – absolument rien à voir – avec cette ou ces familles en souffrance.
La confiance est alors essentielle ; l'humilité aussi.
La confiance : j'ai besoin de l'autre, d'un autre que j'estime comme étant bienveillant, constructeur, positif, et finalement aimant (aidant).
L'humilité : je ne parviens pas à me sortir de là tout seul, seulement en tête à tête avec moi-même (ou bien avec mon « clan »)… ces souvenirs qui remontent parfois, ce sentiment d'injustice... la jalousie qui peut en surgir : ce sont bien des sentiments qui viennent m'habiter.
Bref : être vrai, tout du moins tenter de l'être au mieux, avec son être profond, avec ses potentialités du moment, et ses limites aussi – en acceptant autant que faire se peut ses blocages, ses omissions… et/mais tout bouge aussi tant que la vie coule… tout est encore modulable et largement modifiable, et dans le bon sens du terme ; c'est un fait véritablement rassurant !
Il peut arriver toutefois que des personnes se déchirent au sein d'une famille depuis un certain temps déjà, en lien avec cette transmission bien involontaire des faits remontant à la guerre.
L'héritage a été trop lourd, trop massif, mal décrypté, non assumé de la part de celles et de ceux qui l'ont initialement transmis, et puis reçu... ce sont les limites humaines – peuvent alors s'ensuivre malheureusement des ruptures, des cessations de relations qui finalement paraissent inévitables.
Il faut savoir l’accepter, il me semble.
Ce sont les limites humaines.
J'ajoute : « il me semble », par précaution et par prudence.
Quoi qu'il en soit, lorsque l'on vient à constater que deux personnes (ou bien plusieurs personnes) ne peuvent plus vivre « ensemble » sans avoir de sentiments prédominants de haine et/ou de dominations, ne parvenant finalement plus à se supporter mutuellement pourrait-on dire (se porter l'un l'autre, au moins un minimum) : alors il me semble qu'il faut avoir la sagesse de rompre la relation ; cette ou bien ces relations.
Sans haine dans la mesure du possible.
Et sans ressentiment.
Modestement.
En pauvre.
Ainsi, à minima, sans réussite éclatante, loin s'en faut : la transmission et/ou retransmission d'un événement porteur de morts (pour ce qui nous intéresse, remontant à la dernière guerre – mais il en va de même pour tout autre événement mortifère également) sera finalement coupée dans le meilleur des cas, désamorcé de fait.
Nous serons parvenus – au prix d'un certain coût relationnel, mais dans ce cas de figure malheureusement inévitable – à finalement laisser de nouveau la vie couler, modestement ou bien plus amplement... pour notre génération, ainsi que pour celles qui nous suivent et nous suivront...
Merci du temps que vous avez consacré pour me lire.
Jean-Marie Delthil. 15 novembre 2019