Au XXe s. il s’avérait impossible de rejoindre le monde ouvrier en entretenant les modes de vie des communautés chrétiennes catholiques. Au XXI e…
La lecture de l’étude d’Olivier de Berranger sur la vie d’Alfred Ancel m’aide à préciser ce que je considère comme très important pour aujourd’hui dans l’annonce de l’Évangile. Il y est question d’une communion de vie avec les gens qui sont loin de Dieu, du Christ, de l’Église.
Effectivement, j’ai toujours pensé, même en classe de seconde ou de première, que, pour inviter à suivre le Christ, à entrer dans la communauté des chrétiens, il convenait de tenir compte de ce qui touche les personnes. Autrement dit, sortir des habitudes et modes de parler des catholiques pratiquants pour revêtir ce qui est usuel auprès de celles et ceux qui sont loin du Christ. Les théologiens missionnaires ont parlé, à la fin du XXe siècle d’acculturation et d’inculturation. Pour annoncer le Christ et sa Bonne Nouvelle, il importe de sortir sa propre culture afin de revêtir la culture des personnes auxquelles nous souhaitons nous adresser.
Dans le monde du XXIe siècle, fortement marqué par une mentalité issue des influences philosophiques des Lumières, invitant à nier toute transcendance, il importe de devenir très attentif à toutes les marques d’attente spirituelle. Si le métaphysique n’entre plus dans la réflexion, il n’empêche que la dimension spirituelle des personnes demeure et qu’elle se fait sentir. La négation du sacré transcendant ne peut supprimer le ressenti spirituel personnel. J’en prends comme preuve le nombre de propositions commerciales qui tourne autour du besoin d’épanouissement personnel. Un maître en cette discipline, parfois en se montrant au public avec d’amples vêtements asiatiques, va dire : « S’épanouir, c'est utiliser pleinement ses ressources personnelles, rendre son quotidien plus riche et plus heureux ».
Au milieu du XXe siècle, alors qu’on observait un « monde ouvrier », les soucis étaient autres. Pour sortir de la Seconde Guerre mondiale, il convenait de reconstruire, de produire. Le monde ouvrier comptant de nombreux migrants - des étrangers exilés de leur pays par détresse quotidienne - était présent ; il était le prolongement de la main-d’œuvre corvéable à merci du XIXe siècle.
Alfred Ancel vivant au milieu de ce monde a souvent ressenti des élans de révolte contre les injustices qui incitaient à l’engagement syndical. Il concluait, pour ce qui concerne les « prêtres ouvriers » que leur vocation était autre. Pour rejoindre le monde des travailleurs afin d’annoncer l’Évangile, il n’en restait pas moins que la question des injustices sociales était posée. Et il y avait cette forte conviction : il s’avérait impossible de rejoindre le monde ouvrier en entretenant les modes et les coutumes des communautés chrétiennes catholiques. « Le Père Ancel estimait que, en milieu prolétarien, beaucoup d’hommes étaient “disposés dès maintenant à recevoir la bonne nouvelle du Christ” ». Il importe de s’approcher d’eux, de vivre avec eux.
Alors, le supérieur de l’Institut des prêtres du Prado informe ses confrères de son projet de vivre dans un quartier populaire. Olivier de Berranger écrit : « Fort de l’accord de principe du Conseil pradosien, Monseigneur Ancel prenait contact, dès novembre 1952, avec son ami de toujours, Monseigneur Gabriel-Marie Garrone, alors évêque coadjuteur de Toulouse. Il l'interrogeait sur l'opportunité d'une Mission ouvrière du Prado. La réponse était positive. Quant à la question de l'engagement personnel du Père Ancel, Monseigneur Garonne l’estimait hautement souhaitable si la grâce y poussait et si un tel engagement était condition de départ de la Mission » (P. 180).
En toute modestie, je me permets de dire qu’avec la Pastorale des réalités du tourisme et des loisirs (PRTL), le fait d’ouvrir dans le quartier touristique de Lyon, rue Saint-Jean, un espace d’exposition dédié aux arts plastiques, entrait dans ce même ordre. Pour évangéliser dans le domaine de « l’après travail », il convenait d’ouvrir un lieu proche des artistes et des visiteurs. L’Espace Confluences jouait ce rôle. En 2002, l’évêque ne permit pas que l’action se prolonge. Si je rappelle cela, c’est tout simplement parce que c’est très concret et que cela peut aider à la réflexion de ce qu’il conviendrait de vivre en ces années 2022, 20 ans après.
En Église, aujourd’hui, l’accent est fortement mis sur la Mission à partir de la vie paroissiale. Et je me dis que les gens qui ne se sentent pas du tout concernés par le message annoncé par l’Église risque bien de rester « hors Église » ; ne devraient-ils pas être rencontrés en dehors de cette structure paroissiale ?
Si, dans la mentalité moderne, dans le laïcisme, il n’y a plus d’acceptation des réalités transcendantes, il n’en reste pas moins que, aujourd’hui, personne ne nie l’impact personnel du spirituel. Les missionnaires, disciples du Christ, ne doivent-ils pas s’appuyer sur cette réalité humaine fondamentale et agir à partir d’elle pour annoncer l’Évangile ?
Avant de terminer cette page, j’ouvre un autre secteur, celui de l’accueil des migrants. Beaucoup de personnes, très éloignées de l’Église, agissent pour l’accueil des migrants par détresse ; à partir des squats, des familles qui accueillent dans leur logement, des associations qui militent pour que les droits humains fondamentaux soient respectés, n’y aurait-il pas un « vive avec » qui donnerait une nouvelle image de l’Église du Christ ? On me dit que cela se fait déjà. C’est vrai. À Lyon, il y a l’Aclaam*. Seulement j’estime qu’il faudrait encore plus de présence de disciples du Christ au sein des groupes œuvrant avec les migrants. Des militants qui n’étiquettent pas leur action de chrétiens (catholiques), mais qui la vivent à fond sans rien cacher du message évangélique.
Agir, au sein de la société telle qu’elle est, de façon telle que tous puissent y sentir le regard aimant du Christ et donner ainsi le goût de s’unir à la Communauté des disciples missionnaires du Christ.
Je termine en citant de nouveau Olivier de Berranger : « Enfin, après avoir obtenu, non sans quelques remords, l’aval du Chapitre général du Prado à la Pentecôte 1954, le Père Ancel recevait de Rome le 15 juin l'autorisation de vivre à Gerland et de faire un « travail artisanal » (p. 183).
* Association catholique lyonnaise d’accueil et d’accompagnement des migrants