Joseph d’Arimathie, disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Il le permit
La croix
« Votre mort, ô Christ, est le plus éclatant témoignage de votre divinité et de la vérité de vos paroles. Par votre mort, vous confirmez tout ce que vous avez fait. « Croyez à mes œuvres ». ( ... ). Vous mourez pour rendre témoignage à la vérité, pour affirmer que vous êtes l’Envoyé de Dieu et, après l’avoir prouvé par vos miracles, vous le prouvez encore par votre mort. Soyez béni, ô Christ, qui êtes vérité. Ego sum veritas. Je crois, Seigneur » (Commentaire de la douzième station du Chemin de croix).
À la suite de Saint Paul, Antoine Chevrier n’a cessé de proclamer, à son tour, le paradoxe chrétien si bien énoncé par l’apôtre des gentils dans sa Première Lettre aux Corinthiens : « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde ? (...). Nous prêchons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs. Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes » (1 Corinthiens 1, 18-24).
La contemplation régulière de la croix a nourri le ministère du Père Chevrier tout autant que sa méditation devant la crèche. Et, de la même manière qu’il incitait à la pratique du Rosaire, de même s’adonnait-il fréquemment à l’exercice du Chemin de croix et y entraînait-il ceux dont il avait la charge. « Il faisait, racontera un de ses anciens séminaristes, et nous faisait faire le chemin de la croix, deux et même trois fois par semaine, c’est-à-dire les vendredis, les dimanches et souvent les mardis. C’était un chemin de la croix parlé qu’il prêchait, un crucifix à la main. Il voulait aussi que nous le fissions en notre particulier, pour être à même de le faire plus tard aux autres » (cité par Claude Chambost dans sa « Vie nouvelle du Vénérable Père Chevrier »).
Antoine Chevrier vivait profondément ses Chemins de croix qui lui permettaient de communier intensément aux souffrances du Seigneur. Mais cet exercice lui paraissait aussi éminemment apte à « faire comprendre la bonté du Fils de Dieu ». Par sa popularité, cette dévotion lui semblait pouvoir aider à présenter l’Évangile, et tout spécialement l’Évangile aux pauvres. Volontairement, sa pratique du Chemin de croix avait une dimension ostentatoire. Au Procès de canonisation, une sœur donnera ce témoignage : « Il nous a raconté un jour comment il avait introduit la pratique du chemin de la croix dans sa chapelle dès les premiers jours de son installation au Prado. Il avait pris l’habitude de faire son chemin de croix à la chapelle, les bras en croix et à haute voix, ayant soin de laisser la porte de la chapelle ouverte.Il espérait qu’attirées par l’étrangeté du spectacle, quelques bonnes âmes viendraient se joindre à lui, et c’est en effet ce qui arriva. Plusieurs fois il s’entendit traiter de fou, d’autres fois, quelque enfant ou quelque bonne femme s’approchait et le Père s’interrompait pour les inviter à se joindre à lui et, au bout de peu de temps, son assistance fut assez nombreuse ».
Le Père Chevrier a laissé une dizaine d’explications différentes du Chemin de la croix, dont trois très étendues (une cinquantaine de pages manuscrites chacune), ce qui montre l’importance qu’il accordait à cet exercice de piété. Il ne s’agissait pas pour lui de se complaire dans le dolorisme, mais de se rappeler -- et de rappeler -- que l’humanité a été -- et est -- sauvée par la Passion de Jésus. Certes on doit s’enthousiasmer pour l’Incarnation du Christ, mais celle-ci ne saurait être séparée du mystère de l’Expiation. Le Christ est Dieu fait homme ; il est vainqueur et ressuscité, mais il est aussi le Rédempteur crucifié ! Ainsi que le proclame l’article du Symbole de Nicée, celui que tous les chrétiens confessent : « (Jésus est) mort pour nous, les hommes, et pour notre salut ».
Comme la crèche, la croix est signe et invitation à l’abaissement et à l’humilité. Plantée dans la terre et élevée vers le ciel, elle veut attirer tout homme au Christ : « Quand j’aurai été élevé de terre, a annoncé Jésus, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12, 32). Crèche et croix indiquent un même « mouvement » de Dieu : celui de la descente du Très-Haut vers tous ceux qui sont « en bas », et tout particulièrement vers ceux qui sont tombés le plus bas, vers toutes les misères extrêmes. Né nu, Jésus meurt nu. Et de même que le Christ a épousé notre humanité pour nous faire participer à sa divinité, de même, par ses souffrances, nous sommes guéris : « Lui qui, dans son propre corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont les meurtrissures vous ont guéris » (Première Lettre de Pierre, 2, 24).
La croix rassemble aussi, récapitule toutes les souffrances que le Christ a accepté d’endurer, tout au long de sa vie, par amour pour l’humanité. Ces souffrances sont venues rejoindre, se sont mêlées à toutes les souffrances – innombrables – des hommes. En pratiquant le Chemin de la croix, Antoine Chevrier savait bien que les petites gens, les pauvres de la Guillotière retrouvaient beaucoup d’eux-mêmes dans les souffrances de la Passion du Christ. Mais cette croix dit plus encore le Salut que le Christ est venu apporter : celui du don de sa vie « en rançon pour la multitude » (Matthieu 20, 28).
Dans un texte, laissé à l’état de brouillon, Antoine expose en quoi la mort de Jésus fut un sacrifice offert pour que nous obtenions la vie : « Il y a plus qu’un mort : il y a un sacrifice ; il y a une victime de son dévouement, de sa charité pour nous, de son amour pour son Père, de son obéissance pour son Père qui lui a commandé de prêcher, de dire la vérité. Il y a donc une victime de l’obéissance, une victime de zèle pour la gloire du Père, une victime de la charité pour nous. Il y a donc un véritable sacrifice dans l’immolation de son corps qu’il fait à Dieu son Père pour lui et pour nous. (Passage cité par Yves Musset dans « Le chemin du disciple et de l’apôtre »).
Voulant suivre Jésus-Christ en tout, le Père Chevrier ne pouvait que vouloir le suivre aussi dans ses souffrances. En agissant ainsi, il ne faisait, au demeurant, que prendre au sérieux la parole du Seigneur lui-même : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive » (Marc 8, 34 - 9, 1). Prendre « sa croix », non point une croix que le disciple aurait arbitrairement choisie, mais la croix (c’est-à-dire la part de souffrance et d’épreuve) que Dieu attend qu’il prenne et qui est l’un des aspects de la Croix de Jésus lui-même.
Nombreuses furent les souffrances d’Antoine Chevrier : celles liées à ses échecs dans la réalisation de l’œuvre à laquelle il se savait appelé, celles que lui causait le spectacle du malheur des hommes et de leur péché, celles que lui valut sa santé fragile. Il les supporta en les associant aux souffrances du Christ, convaincu de la valeur expiatoire de la souffrance et de sa fécondité apostolique. Comme son maître François d’Assise, Antoine éprouvait même parfois de la joie au cœur de ses souffrances, non pas en raison d’un possible « masochisme spirituel », mais parce qu’il avait l’amour de la croix et, à travers celle-ci, l’amour du Christ crucifié.
Texte à méditer : Jean 19, 16-19.25-30.38-42
Pilate leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié.
Ils se saisirent de Jésus.
Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu-dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha.
C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu.
Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. »
Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. »
Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. »
Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche.
Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit.
Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez.
Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit.
Joseph vint donc enlever le corps de Jésus.
Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts.
À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.