Guerre inévitable. Lorsque les conditions d’une résistance non-violente efficace ne sont pas réunies, il faut se résoudre à prendre les armes

Publié le par Michel Durand

Guerre inévitable. Lorsque les conditions d’une résistance non-violente efficace ne sont pas réunies, il faut se résoudre à prendre les armes
Photo de marjan_blan sur Unsplash

Quand la guerre se déroule en Asie, en Afrique, ou en Amérique du Sud, je dois très sincèrement reconnaître que cela me touche moins. Je lis rapidement ce que les journaux peuvent en dire.

Mais voilà que la guerre est en Europe. Elle impose d’horribles images de destructions massives. L’inimaginable est devenue réalité. Les journaux montrent chaque jours les méfaits de l’impérialisme du pays voisin. Une vielle dame ukrainienne dit : « les Russes n’ont-ils pas assez de terre dans leur immense pays ? Pourquoi veulent-ils prendre ce qui nous appartient ? »

Le processus destructeur est le même que celui qui eut lieu en Syrie. Et je m’attriste de constater que cela me touche plus. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette guerre se passe en Europe, à côté de chez moi. Il y a aussi la proximité de la réalité religieuse : des chrétiens détruisent des chrétiens. Mais je reconnais que cela ne modifient pas fondamentalement le problème de la guerre. Même si, au Proche Orient, ce sont des musulmans qui sont détruits, il n’en reste pas moins ce sont des humains qui attaquent des humains, des civiles ou militaires. Toute guerre est absurde.

Faut-il alors refuser de faire la guerre à la guerre ?

Les dirigeants européens s’organisent pour éviter une troisième guerre mondiale. Ce n’est pas l’Europe qui est envahie mais seulement l’Ukraine ; alors, aucune armée étrangère à l’Ukraine ne s’introduit directement dans le combat. Le pire est évité. Mais nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Des armes, des armes lourdes, des munitions sont envoyées aux belligérants ukrainiens pour qu’ils se défendent devant les armes russes.

Je termine ainsi ce rapide tableau qui m’est venu à l’esprit en même temps que le concept de « guerre juste »…

Existe-t-il une guerre juste ?

Depuis Vatican II, la tendance est plutôt d’affirmer qu’il n’y a aucune guerre juste. Christian Mellon affirme : « À propos de ce qui a été longtemps appelé « guerre juste », François écrit dans Fratelli tutti, au chapitre 7 : « Il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste” ». Est-ce là une innovation, voire une rupture ?

En ce qui concerne l’expression « guerre juste », non. Elle a en effet presque disparu des textes officiels de l’Église depuis le Concile. Dans le catéchisme officiel de l’Église catholique (1992), on la rencontre une seule fois, à l’article 2309, mais c’est entre guillemets : « Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la “guerre juste” ». « Ces guillemets et le mot « dite » marquent clairement une distance. » Voir ici et lire l’ensemble de la page.

 

Christian Mellon conclut : « Les critères de la mal nommée “doctrine de la guerre juste” ont servi, certes, à légitimer le recours aux armes, mais aussi à l’interdire et à le limiter : on ne saurait légitimer un usage des armes qui ne soit pas strictement limité. Or, depuis 70 ans, les documents des papes et des épiscopats, loin de déclarer obsolètes ces vieux critères, s’y réfèrent beaucoup plus pour limiter, voire condamner, le recours aux armes, que pour le légitimer. Le pape François poursuit et accentue cette évolution. »

Dans ce ce contexte, il importe de parler du commerce des armes.

En effet, il faut fabriquer et acheter des armes, des avions, des tanks etc…. pour les donner à l’Ukraine. Or fournir les soldats ukrainiens en armes et munitions va permettre à la guerre de durer. On aura alors tendance à parler de guerre juste pour légitimer ces approvisionnements meurtriers. Effectivement, je vois mal que l’on puisse, même si l’on ne souhaite pas entrer soi-même en guerre, devenir de simple observateurs d’un peuple exterminé par ses voisins. L’argent gagné avec la fabrication et le commerce d’armes ne peut qu’être problématique.

La situation est des plus complexe. Que dire ? Que faire ? Ne pas agir d’une façon ou d’une autre rend complice de meurtre.

« Nous devons chercher des moyens de paix, arrêter le bruit des armes », a déclaré le pape François mardi 3 mai, alors que la guerre fait rage depuis plus de deux mois en Ukraine. J’invite à la lecture de cet article paru dans La Croix le 4 mai 2022

 

L’Église est-elle pacifiste ?

Le pacifisme peut être défini comme le refus absolu de toute violence, quelles que soient les circonstances. Au cours de l’histoire, des chrétiens, inspirés par certaines paroles et attitudes du Christ (« Je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre », Matthieu 5, 39 ; « Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée », Matthieu 26, 52), ont adopté cette position.

Celle-ci « semble avoir été dominante chez les chrétiens des premiers siècles », écrit le jésuite Christian Mellon, membre du Centre de recherche et d’action sociales (Ceras) (1). Cette position a connu des résurgences au fil des siècles, « notamment lors des phases initiales de plusieurs mouvements spirituels prônant le retour à la radicalité évangélique » tels que les vaudois ou les franciscains, écrit encore Christian Mellon. Cependant, au cours du XXe siècle, plutôt que le pacifisme, c’est la non-violence qui est recherchée par des chrétiens qui veulent des alternatives à l’utilisation des armes pour résoudre les conflits.

« Il existe une dissension entre un pacifisme idéologique, et qui se voudrait intégral, et ce que peut être un pacifisme chrétien, estime ainsi le philosophe Giulio De Ligio, maître de conférences à l’Université catholique de l’Ouest (2). Le contraste tient aussi bien aux deux attitudes intimes qu’au rapport aux conséquences des actions qui les caractérisent. Un pacifisme idéologique, en s’en tenant à ses convictions et faute de considérer nos devoirs envers les plus proches, risque d’éluder la responsabilité de justice et de maintien des conditions de paix vis-à-vis d’un peuple, qui passe parfois par la légitime défense. »

La paix dont la construction est prônée par la doctrine sociale de l’Église (notamment dans les encycliques Pacem in terris en 1963, Populorum Progressio en 1967, Laudato si’ en 2015 et Fratelli tutti en 2020) ne consiste pas seulement en l’absence de guerre. Le père Gaston Fessard, résistant à l’origine des Cahiers du Témoignage chrétien pendant la Seconde Guerre mondiale, détaillait ainsi trois causes de divisions menant à la guerre : l’inimitié des hommes avec d’autres hommes ; de l’homme avec lui-même ; et de l’homme avec Dieu.

« Parvenir à la paix se fait alors, en chacun de nos actes, au prix d’un examen de ces sources fondamentales de la guerre pour surmonter chacune de ces divisions. Le rapport à la paix ainsi conçu est en ce sens vraiment pratique et intégral », analyse Giulio De Ligio, spécialiste de Gaston Fessard.

 

En quoi la non‑violence diffère-t-elle du pacifisme ?

« La non-violence est cette attitude, chrétienne ou autre, qui consiste à dire qu’il faut vraiment chercher des moyens autres que meurtriers pour résoudre les conflits, explicite Christian Mellon. Il ne s’agit pas de pacifisme, car lorsque les conditions d’une résistance non-violente efficace ne sont pas réunies, il faut se résoudre à prendre les armes. Dans le discours de l’Église, la guerre est parfois permise, nécessaire, mais il faut toujours chercher les conditions d’en sortir. » Dans Gaudium et spes (78, 5), le concile Vatican II encourage ainsi « ceux qui, renonçant à l’action violente pour la sauvegarde des droits, recourent à des moyens de défense qui, par ailleurs, sont à la portée même des plus faibles, pourvu que cela puisse se faire sans nuire aux droits et aux devoirs des autres ou de la communauté. »

C’est en 1971 que le mot « non-violence » fait son apparition dans le magistère, sous la signature du pape Paul VI, dans l’exhortation apostolique Justitia in Mundo : « Il est absolument nécessaire que les différends entre nations ne soient pas résolus par la guerre, mais que soient trouvés d’autres moyens conformes à la nature humaine ; que soit favorisée en outre l’action non-violente et que chaque nation reconnaisse légalement l’objection de conscience et lui donne un statut. »

Le 12 avril dernier, dans une déclaration à propos de la guerre en Ukraine, le mouvement Pax Christi France définissait la non-violence comme étant « profondément chrétienne en ce qu’elle demande à celui qui la pratique d’aimer son ennemi jusqu’à ce que sa propre violence devienne absurde à ses yeux ». « Face à une agression, il ne convient pas de blâmer celui qui se défend, ni ceux qui fournissent les moyens de résister, ajoutait le mouvement catholique. Être non-violent permet de garder une force intérieure qui évite de tomber dans la haine. »

 

Qu’en est-il de la guerre juste ?

Évoquée par saint Augustin, la notion de « guerre juste » a été formalisée par saint Thomas d’Aquin. Une guerre, pour être juste selon lui, devait remplir plusieurs conditions : être déclarée par une autorité légitime, pour une juste cause et s’en tenir à une intention droite. Le Catéchisme de l’Église catholique ne fait aucune mention de cette théorie et la guerre a été absolument et fermement condamnée par tous les derniers papes. Toutefois, dans la partie du Catéchisme consacrée à la légitime défense par la force militaire, les principes établis par saint Thomas d’Aquin sont repris (dommage grave et certain infligé par l’agresseur, ultime recours, proportionnalité entre les maux évités et provoqués…). En 2020, dans son encyclique Fratelli tutti, le pape François remet en question ­l’utilité de la doctrine de la « guerre juste ».

Cependant, explique l’historien Xavier Boniface, le discours sur la guerre juste était déjà, depuis plusieurs siècles, « tenu davantage par les Églises locales que par l’Église universelle et la papauté ». « Le mot “juste” est une catégorie morale, au sens de ce qu’il est bon de faire, explique de son côté Christian Mellon. Mais aujourd’hui, ce mot est compris comme quelque chose de positif, alors que la guerre est toujours un mal. C’est pour ça que l’expression elle-même est récusée par le pape François, même si, dans les faits, elle était déjà abandonnée depuis longtemps par le magistère. » En revanche, souligne le jésuite, « l’enseignement de l’Église sur le droit de légitime défense, voire le devoir de légitime défense, n’a pas changé ».

 

( 1) Article sur la guerre publié par le site www.doctrine-sociale-catholique.fr

(2) Il vient de travailler à une réédition de Pax nostra, de Gaston Fessard (Cerf, 2022).

 

Mieux comprendre la mission de Mgr Gallager à Kiev

Ce que je viens de lire m’a bien aidé à mieux comprendre ce qu’écrit Salvatore Cernuzio de la Cité du Vatican :

« À quelques jours du départ pour Kiev du secrétaire pour les Rapports avec les États, le cardinal Parolin évoque la guerre en Ukraine. La mission de Mgr Paul Richard Gallagher servira, explique-t-il, à réaffirmer les objectifs pour lesquels la Secrétairerie d’Etat « a travaillé et travaille dans la mesure du possible, parce que les espaces sont très limités ». « Un cessez-le-feu » serait « un point de départ fondamental » afin que « les opérations belliqueuses se concluent ». L’espoir, dit le cardinal Parolin, est que commence « un dialogue sérieux, sans conditions préalables, pour essayer de trouver un moyen de résoudre ce problème ».

Envoyer des armes à l'Ukraine

Le cardinal Parolin aborde également la question sensible de l'envoi d'armes à l'Ukraine. Il réitère la position déjà exprimée ces derniers jours, à savoir qu’« il existe un droit à la défense armée en cas d’agression », comme l'affirme également le catéchisme de l'Église catholique, mais « sous certaines conditions ». La première, souligne le cardinal, est « celle de la proportionnalité, c'est-à-dire le fait que la réponse ne produise pas de dommages plus importants que l'agression. Dans ce contexte, nous parlons d'une 'guerre juste’ ». « Je comprends, ajoute le cardinal, qu'en termes concrets, ce soit plus difficile à déterminer, mais nous devons disposer de paramètres clairs afin d'aborder la question des armes de la manière la plus juste et la plus modérée possible ».

Trouver d'abord des solutions

Citant ensuite un commentaire entendu hier sur le conflit entre la Russie et l'Ukraine, le cardinal Parolin juge que Moscou et Kiev «finiront par devoir trouver une solution, car la géographie les oblige à vivre non pas ensemble mais proches, ils partagent tant de milliers de kilomètres de frontière». Le prélat regrette néanmoins que «nous n'ayons toujours pas compris la leçon selon laquelle, au lieu de faire tout ce massacre et de produire tous ces décombres, des solutions pourraient être trouvées plus tôt». Voilà ce que le Saint-Siège a toujours espéré, ajoute-t-il. Le problème, pour le cardinal, c'est que «ces dernières décennies, le thème du multilatéralisme s'est érodé», il est dès lors «logique lorsque chacun se concentre sur ses propres intérêts, sur son propre point de vue, et ne sait pas partager et trouver des réponses communes, qu’à la fin on en arrive là».

L’Italie propose des négociations de paix

Quant aux discussions de paix proposée par le gouvernement italien, le cardinal Parolin déclare que l'initiative proposée par le Premier ministre Mario Draghi «doit être soutenue» et réaffirme que pour le Saint-Siège «toute tentative pouvant conduire à la conclusion de la guerre est la bienvenue». «Nous ne voulons pas prendre l'initiative», précise-t-il, «si d'autres parviennent à faire ce que le Saint-Siège n'est pas en mesure de faire parce que son offre de médiation ou d'intervention n'a pas été acceptée, très bien.»

Les tentatives pour Marioupol

Toujours interrogé par les journalistes sur la récente rencontre du Pape avec les épouses de deux combattants du bataillon Azov, barricadés dans l'aciérie d'Azovstal, le cardinal Parolin explique que « nous avions fait connaitre notre volonté d'être garants de l'évacuation des civils restant sur place mais, ensuite, rien n'a été fait. En tout cas, je n'ai pas entendu dire qu'il y avait une suite...». Le secrétaire d’État rapporte qu’il s’agissait de la dernière de plusieurs tentatives d’évacuation ces dernières semaines. « Le nonce lui-même avait émis l'idée d'y aller ensemble avec le métropolite de Zaporizhzhia, mais en fait il n'y a pas eu de suite car aucune garantie de sécurité n'a été donnée pour la mission ».

Relations avec le Patriarcat de Moscou

Aux questions posées concernant les relations avec le Patriarcat de Moscou, après la décision du Pape de ne pas rencontrer Kirill, le cardinal Parolin a admis que « nous sommes dans un moment difficile, nous devons le reconnaître », mais cela « ne signifie pas que nous sommes au point zéro ou qu'il y a un gel entre l'Église orthodoxe russe et l'Église catholique. Des canaux existent et des tentatives de dialogue existent. Mais, tout est devenu plus difficile », précisément en raison des événements récents.

 

Le constat des multiples difficultés ne peut qu’inviter à la prière. Diable ! Que Dieu intervienne !

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