L'exception humaine disparue, avoir une théologie qui s'intéresse à l'avenir de toute l'humanité et à l'ensemble de ses ressources

Publié le par Michel Durand

L'exception humaine disparue, avoir une théologie qui s'intéresse à l'avenir de toute l'humanité et à l'ensemble de ses ressources
Photo de jxk sur Unsplash

Je continue ma réflexion à propos de questions brulantes et urgentes que, au sein des Institutions ecclésiales, nous avons du mal à voir en face. Je pense, par exemple, aux tenants de l’écologie profonde.

 

Par crainte d’introduction de néo-paganisme, le regard catholique va immédiatement prendre des distances et attaquer, critiquer les participants à ce courant. Je ne doute pas que des mises au point soient nécessaires. Seulement, j’estime qu’avant tout, il est nécessaire d’engager le dialogue et de découvrir, avec tous, que l’écologie ne se résume pas à une protection de l’environnement pour que celui-ci demeure soumis aux besoins humains. On emploierait alors les mots de « développements durables ».

En conséquence, je partage l’opinion de Stéphane Lavignotte, se mettant à l’écoute de toutes les pensées, mêmes celles qui s’opposeraient violemment aux chrétiens. Il souhaite « rompre avec une certaine façon d’aborder la question des religions ». Ainsi, écrit Stéphane Lavignotte : « Prenant les interpellations de Lynn White et de Carl Amery, comme des accusations injustes, certains - comme Jean et Hélène Bastaire, pionniers de l’écologie chez les catholiques - ont déployé une défense du christianisme comme intrinsèquement et éternellement écologique. Cela omet que White comme Amery se définissaient comme chrétiens et que leur travail se revendique d’un utile “penser contre soi” ».

 

« Pour beaucoup d’observateurs, l’écologie comporte de facto un aspect néopaïen qui fait d’elle une sorte de religion néoanimiste fondée sur la sacralisation de la nature et sur le retour de cultes archaïques consacrés à la déesse Terre. Toutefois, il n’est pas nécessaire de se dire néopaïen pour adopter une conception païenne, ou tout du moins antichrétienne, de l’écologie ». Nous ne pouvons pas ignorer ces courants de pensée. Comment en tenir compte d’une façon critique ?

Antéchristianisme et écologie radicale

 

 

Se remettre en question pour pense juste ! Et non imposer ses dogmes dans une défense de la Vérité que nous posséderions.

Ecrivant cela, je pense au dialogue d’Alfred Ancel avec des communistes influents.

« Avoir le courage de penser l’avenir » - Christoph Theobald, n’est-ce pas avoir l’audace de rencontrer qui ne pensent pas comme nous, en cherchant avec eux une vérité que nous aurons, sommes toutes, du mal à trouver.

 

 

C’est dans cette attitude spirituelle et intellectuelle que je dépose en ce lieu, de nouveau, une page de l’Ouvrage de Christoph Theobald.

 

Entendre les questions du transhumanisme et de la crise écologique en anthropologie chrétienne

1. Cette situation « spirituelle » complexe, la Constitution pastorale du concile Vatican Il l'a au moins pressentie; dès le début, elle se réfère aux sentiments ou attitudes d'angoisse et d’espoir qui en résultent (GS, 1 et 3 § 1). La transformation de l'homme en un champ d'expérimentation est également diagnostiquée, du moins en ses premières étapes (GS, 5 § 2). Mais le Concile n’en continue pas moins à identifier ces développements dans le cadre de l'humanisme occidental et à l'aide d'une vision de l'homme où la «situation d'exception» de l'humanité sur terre et dans l'univers est incontestée. Ses énoncés classiques sur l’anthropologie atteignent leur apogée dans l'article 16 de la Constitution pastorale, où l'on trouve les coordonnées traditionnelles de la conscience morale, qui font penser à Kant.

Mais si le «livre de la nature» qui, tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge, et jusqu'aux sciences classiques, formait l'arrière-plan objectif de toutes nos structures de référencement, ne fournit plus de lois éthiques globalement reconnues, et si l'autonomie de la conscience est contournée par la psychanalyse et les sciences cognitives, où et comment trouver alors des critères à l'aide desquels nous serons en mesure de distinguer et d’identifier sur terre l'humanitas, notre « condition humaine » et notre « humanité» ? Si l'homme ne rencontre plus que lui-même et ne reconnaît plus de repères objectifs externes, ne devient-il pas inévitablement le jouet du progrès scientifique et technique de plus en plus dominé par les puissances économiques internationales d'un côté, et de sanctions diverses de l'autre, sans pouvoir piloter collectivement son propre avenir ?

Face à cette situation, il est fort compréhensible que le catholicisme des années quatre-vingt du siècle dernier ait de nouveau fait valoir sa doctrine classique du «droit naturel» et souligné l'existence de normes obiectives, même si ses plus éminents représentants avaient tout à fait conscience qu'il s'agissait la d'une «doctrine catholique plutôt particulière». Dans l'ensemble, on assiste plutôt, dans nos sociétés, à la percée d’une conception procédurale de l'élaboration des normes démocratiques, qui renonce à des présupposés métaphysiques et s’appuie exclusivement sur des règles internes au discours que les participants respectifs s'engagent à respecter.

2. Cette situation « spirituelle» de nos sociétés, extrêmement fragile, constitue un indice clair que notre civilisation a franchi un nouveau seuil historique. Le défi pour la théologie consiste à s'y inscrire de l’intérieur ; ce qui est le sens de ma première thèse, située sur le versant philosophique ou épistémologique de la question.

Sans exercer une influence directe sur le développement de nos potentialités scientifiques et technologiques quasiment illimitées, la phénoménologie de Husserl à Levinas et de Merleau-Ponty à Derrida tente de rendre compréhensible le propre de notre condition humaine - par exemple à l'aide du concept d'intentionnalité, ou comme « pensée de l'autre et non seulement de soi-même ». Elle établit donc le fait anthropologique incontournable, mais «négatif» et formel, que l'homme, dès lors qu'il se prend comme champ expérimental, ne se perçoit jamais soi-même comme objet. On peut parler ici d'une « anthropologie négative)», certes incapable de « définir l'homme», mais en mesure de dire ce à quoi il ne peut être réduit. En parfait accord avec l’avènement de l'ère de l'anthropocène, elle constitue une base suffisante pour une théologie qui ne défend pas d'abord une anthropologie particulière mais s'intéresse à l'avenir de toute l'humanité et à l'ensemble de ses ressources. Car le statut «négatif» de cette anthropologie, lié à la disparition de l'exception humaine, correspond à l'ouverture désormais radicale de l'avenir et renvoie les humains très concrètement aux ressources « spirituelles» dont ils disposent pour l'affronter.

- Or, ces ressources, dont il sera question dans la deuxième partie de ce chapitre, trouvent dans cette anthropologie négative une critériologie permettant de les soumettre à discernement. La disparition de l'exception humaine libère en effet et nécessite en même temps un «acte de foi» élémentaire qu'on pourrait confondre avec le «postulat» kantien : comme jamais auparavant, l'humanitas comme telle doit être voulue par l’humanité ; ce qui présuppose qu'elle ne désespère pas de son avenir. L’espérance n'est dès lors plus un acte qui se lie pour ainsi dire de l'extérieur à la réalité factuelle de notre humanité, déjà donnée en sa configuration morale, comme cela fut le cas chez Kant. En revanche, c’est l'espérance face à un avenir radicalement ouvert - au sein d’une « anthropologie négative» -, jamais donnée d'avance, jamais garantie, qui constitue notre condition humaine en sa différence spécifique. L'espérance ne peut être assurée, car elle représente la force intérieure d'une humanité qui ne peut continuer à exister qu'à la condition qu'elle se veuille « humaine» et - ajoutons-le déjà - qu'elle s'éprouve « autorisée» à vouloir l’être.

Une telle volonté implique que les individus, groupes, structures et groupements nationaux et internationaux, dont est composée l'humanité, envisagent un avenir qui dépasse l'horizon des générations vivant actuellement sur notre planète. C'est précisément cette perspective qui s'est perdue lors des deux remises en question de notre situation d'exception sur terre, que nous venons d'évoquer et qu'il faut refonder dans les conditions de l'anthropocène. Nous ne pouvons plus automatiquement compter sur un monde susceptible d'héberger encore les générations à venir ; voilà la nouveauté de notre situation. C'est pourquoi l’humanité ne survivra que si elle affronte collectivement la question d’un avenir pour toutes les générations.

C'est sur cette base que nous envisageons maintenant les « ressources » spirituelles à notre disposition, y situant l’attitude de l'espérance, adoptée par le christianisme sans qu'il puisse l’accaparer.

 

Le courage de penser l'avenir, Pages 107-109

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