Sur quelles ressources spirituelles nous pouvons compter quand l'humanisme a disparu ? La ressource chrétienne ; théologie de l'espérance
Jésus s’en alla, seul, dans la montage pour prier, toute la nuit. Une décision importante et à prendre : choisir parmi les disciples, 12 envoyés (apôtres), annonceurs de la Bonne Nouvelle, au nom de Dieu et apportants la guérison à qui étaient en difficulté, malades ou en détresse.
Oui, lecture et méditation sur l’Évangile de ce jour, Luc 16, 12-19 me placent sur la chemin de la réflexion que je conduis présentement avec Christophe Theobald : « tout est don, nous ne sommes que les hôtes de cette terre ». Il y a une gratitude à vivre et à transmettre aux générations futures. Par cela, il importe « de se limiter et d’entrer dans une vie du frugalité ». Faisant suite à Stéphane Lavignotte (dont je parlerais bientôt), c’est ce que dit le jésuite théologien. Voir et entendre ici.
Ceci dit, il importe d’observer que le pouvoir technique continue à s’imposer à l’humanité. Des mutations physiques peuvent s’appliquer sur les corps humains pour que le sexe biologique corresponde à l’idée que l’on se fait de soi. Si je me sens, psychologiquement, femme, alors que mon corps est biologiquement homme, une opération clinique peut intervenir pour que s’installe l’harmonie. Dialoguant avec des étudiants, il y a deux ou trois années, j’ai vécu cette situation. La carte d’identité était bien avec un prénom masculin, mais la personne devant moi, n’était que féminine. Et, ses collègues d’étude disaient : « elle ». J’avoue ne pas avoir compris la situation et je dû dire, moi aussi : « elle ».
Je raconte cette anecdote pour introduire la page de Ch. Theobald qui aborde la question de la place de l’homme, de l’humain, dans notre monde.
Parlons d’Anthropocène. « Certains estiment que c’est dés la généralisation de l’agriculture et la domestication progressive de la vie au Néolithique, il y a plusieurs milliers d’années, que l’écologie planétaire aurait commencé à être modifiée manière irréversible par l’homme…, et qu’il faut soutenir… l’hypothèse d’un Anthropocène précoce, plus ou moins concomitant de l’Holocène (nom de l'ère géologique qui représente les 11 000 dernières années, correspondant à la dernière partie de l'ère quaternaire période la plus récente dans l'échelle des temps géologiques). »
L’Anthropocène, nouvelle époque géologique : Les activités humaines lèguent des traces durables voire irréversibles dans les strates de la planète.
Christoph Theobald : MUTATIONS DE L’HUMAIN DÉFIS POUR LA THÉOLOGIE
De l'anthropocentrisme européen vers un nouvel humanisme
Il n'est pas aisé de saisir la pointe des mutations de «l'humain» auxquelles nous assistons et qui nous atteignent de multiples façons. Car divers sont les points d'impact de ce changement et hétérogènes les perspectives selon lesquelles on les aborde : qu'on traite des relations entre femmes et hommes (gender studies) et entre la succession des générations et notre planète, qu’on s'intéresse à nos constructions culturelles et religieuses, qu'on se focalise sur le système mondial des échanges financiers et économiques ou encore sur nos organisations politiques, l'ensemble de ces sphères est marqué par l'évolution spectaculaire de nos sciences et de nos technologies, qui ont fini par transformer le «tout» de l'anthroposphère sur notre globe. Il faut donc opter pour une porte d'entrée dans notre problématique, sans en exclure d'autres, et la choisir de telle manière qu'elle puisse éclairer la mutation actuelle par rapport à l'étape antérieure de l'histoire de l’humanité - fréquemment identifiée à «l'humanisme occidental».
Je fais donc l'hypothèse que l'utopie «transhumaniste» et la très grave mise en crise de l'équilibre écologique de notre planète sont les deux symptômes les plus significatifs de la mutation actuelle de l'humain. À première vue, ils n'ont rien à voir l’un avec l'autre. Tandis que le transhumanisme prolonge, de manière fictionnelle, nos possibilités techniques désormais presque illimitées dans le domaine de la nano- et de la biotechnologie, de la technologie génétique et du stockage numérique d'états de conscience, en visant un être «transhumain » libéré de ses limites spatiales et temporelles, le mouvement écologique nous rappelle, au contraire, les conditions limitées de notre terre sur le plan de la démographie, du climat et de l'approvisionnement énergétique. Alors que le premier peut être considéré comme un rejeton de l'alliance néolibérale entre le secteur financier et la nouvelle technologie, et défend une conception radicalement élitaire et eugénique de la population mondiale, le second, de par sa provenance de divers mouvements critiques de la mondialisation et de la finance, apporte une dimension «sociale» plutôt englobante dans le débat écologique et nécessite qu'on recoure à un nouveau modèle économique
Mais à y regarder de plus près, ces deux orientations antagonistes ont trait à l'avenir de l'homme sur la terre ou à une façon «humaine» d'habiter le monde, notre « maison commune». La finance et la technique y jouent un rôle déterminant et à l’arrière-plan se tiennent également des présupposés mythico-religieux et surtout un « monisme» philosophique de plus en plus puissant qui s'appuie sur des résultats scientifiques et sur la théorie de l'évolution. Ce qui, dans les deux cas, est visé par la critique de l'humanisme occidental - emblème de l'époque qui nous précède -, c'est la situation d'exception de l'humanité. Le concept encore discuté d'«anthropocène», qualifiant l'âge de la terre où l'activité humaine est devenue la contrainte géologique et biologique déterminante, dit cette paradoxale intégration - par «en bas» - de l'être humain dans le système englobant de la bio-et de la géosphère de notre planète, où il exerce en même temps un pouvoir inouï d'autotransformation ou d'autodestruction.
La difficulté, pour le théologien, à comprendre cette situation et à la recevoir comme un défi adressé à la foi chrétienne vient du fait que, jusqu'à la constitution pastorale Gaudium et spes, l'anthropologie chrétienne a pu se greffer tout naturellement sur une définition objective de l'essence de l'homme que, pour une part, elle avait elle-même générée : marquée par la typologie du nouvel Adam et du premier homme, cette vision christo-anthropologique, traversée par le «péché originel», est en effet à la racine de l'humanisme occidental, fondé sur l'idée de l'exception humaine (GS, 12 et 22). Or, le changement paradigmatique désigné par le concept d'« anthropocène» nous prive de ce socle humaniste et nous oblige à revoir non pas d’abord les concepts clés de l’anthropologie chrétienne, mais surtout et avant tout notre manière de nous rapporter en théologiens à l'humain. J'aborderai ce problème épistémologique dans un premier temps qui nous conduira vers la question des appuis et des ressources « spirituelles» sur lesquels nous pouvons compter quand l'humanisme a disparu, ce qui constituera le deuxième temps. Ce n'est que dans une dernière partie que je développerai la ressource proprement chrétienne, fournie par une théologie radicalisée de l'espérance et par la pneumatologie.
Christoph Theobald, Le courage de mener l’avenir, pages 101-103