MNA… Parce que la dignité, on nous la refuse ici, quand on nous maltraite, quand on nous laisse croupir dans la rue parce qu’on est migrants
Le prochain numéro de Quelqu’un parmi nous porte sur la sobriété. Humains, nous sommes tous appelés à la sobriété - sainteté.
Chrétiens, insérés dans le monde tel qu’il est, nous puisons dans le dynamisme sanctifiant du petit groupe, cercle de la Communauté Église, la force de construire un monde fraternel -universellement fraternel. Suite à ce que j’exprimais ce « Vendredi Saint », je souhaite aujourd’hui publier une page prévue pour Quelqu’un parmi nous en pensant aux 8 jeunes migrants, hébergés temporairement dans les murs de la maison paroissiale Saint Maurice. L’un d’eux Chérif, m’a communiqué par écrit son rêve. J’en reparlerai.
Dans le dynamisme du Ressuscité, chrétiens témoignons de l’immense fraternité universelle. Arme contre toutes les formes de guerre.
Sobriété - appel à l’attention des jeunes migrants
Un slam écrit pour la commémoraction de février (10 ans des décès de Ceuta sur la plage du Tarajal).
Ce mardi 6 février à 18h, une centaine de personnes s’est réunie à l’appel de plusieurs organisations (Alarm Phone Paris, CCFD-Terre Solidaire, Collectif Sans Papiers de Montreuil, Coordination Sans Papiers de Paris, CRID, Emmaüs International, FASTI, FTCR, Limbo, Paris d’Exil, Solidarités Asie France) pour la Journée mondiale de lutte contre le régime de mort aux frontières et pour exiger la vérité, la justice et la réparation pour les victimes de la migration et leurs familles. Répondant à l’appel de Global CommemorAction, prises de parole, recueillement, performances artistiques et écoutes musicales ont permis de rendre hommage aux victimes des politiques migratoires et de dénoncer les responsabilités politiques de ces morts et disparitions.
Evelyne Morio Carré
Un long SMS. Salut Doukouré.
Ça fait un bail...
Je voulais juste t’envoyer ce petit message pour te donner des nouvelles des poules.
J’en ai quatre maintenant, deux rousses, une noire et une blanche.
Et j’ai même un coq, un brahma ! C’est indien comme espèce, il est énorme, superbe, gentil comme tout. Pour l’instant, pas vu de serpent.
Je voulais te donner des nouvelles de mon poulailler, maintenant que j’habite à la cambrousse. Mais aussi, je voulais te dire : j’ai repensé à cette conversation l’autre fois.
L’autre fois, c’était y’a presque un an déjà. Dans l’atelier d’écriture. On voulait écrire un texte pour la Global CommémorAction. On l’a jamais écrit ce texte. Au lieu de ça, on est ressorti avec un sac de mots et des émotions plein le bide.
Y’avait qui déjà y’avait toi, Jamira, Anis bien sûr, Souleymane, Mohamed je crois, enfin toute la bande des gars. Les réguliers. Et puis y’avait Ilidia.
On a commencé par lire cette dépêche, cette coupure de presse qui raconte ce qui s’est passé. Le 6 février 2014.
Tous ces gens qui ont disparus en mer, se sont échoués morts sur la plage et les autres qui ont survécu, chassés par les gardes espagnols.
Alors qu’ils voulaient traverser pour atteindre l’enclave de Ceuta.
Tout de suite, on a parlé des autres traversées. Celles de tous les jours ou presque.
Et aussitôt Souleymane s’est emporté. Le même Souleymane qui luttait avec les mots quelques mois avant. Il a trouvé du boulot, il parle mieux le français. Il a parlé avec la colère ce jour-là. « Mais pourquoi ils veulent traverser ? D’abord est-ce que c’est mieux là-bas ? Ici c’est la galère, ici on se retrouve à la rue, sans travail, sans papier. Pourquoi ils veulent risquer leur vie, c’est idiot, ça n’a pas de sens, pas de sens ! »
On tous été surpris. Choqués. On comprenait pas non plus, même si on connaît pas son histoire dans le détail (ça se dit pas, pas tout de suite, pas à tout le monde)… On se doute que lui-même il a du traverser la Méditerranée pour venir du Sahara Occidental.
Alors c’est toi Doukouré, qui lui a répondu.
C’est toi qui a trouvé ce mot: dignité.
« Tous on cherche une vie meilleure, une vie digne, oui les gens traversent pour la dignité, celle qu’ils ont pas au pays ».
Et le débat est parti dans tous les sens ; ça fusait.
Parce que la dignité, on nous la refuse ici, quand on nous maltraite, quand on nous laisse croupir dans la rue, quand on nous pourchasse parce qu’on n’a pas de papiers, quand on nous méprise parce qu’on est migrants, parce qu’on n’a pas la peau blanche, parce qu’on parle pas français comme tout le monde sur Terre.
On a parlé, on a retourné ce mot dans tous les sens, et c’était déjà l’heure.
On s’est quitté.
Un bout de chemin ensemble, moi j’ai pris le tram.
Déjà sur le trajet, je cogitais. J’ai mis longtemps à rassembler tous les bouts. Et il y a quelques mois j’ai compris quelque chose, je voulais te dire ça.
La dignité, y’en a pas qu’une. Y’en a au moins trois.
Y’a la dignité qu’on cherche, la dignité à laquelle on aspire.
Y’a la dignité qui nous est refusée quand on est maltraité.
Et puis… là j’ai pensé à moi. À nous, ceux français, avec les bons papiers, et même pour beaucoup, la peau blanche.
Elle est où notre dignité ?
La dignité qu’on acquiert quand on traite l’autre comme il se doit.
On nous la prend notre dignité quand en notre nom, on abandonne ceux qui tentent la traversée.
Quand on les pourchasse, quand on leur refuse assistance.
Comme si on ne pouvait pas faire autrement.
Europe, la grande idée... Frontex !
On peut faire autrement.
Moi aussi tu vois, dans ma vie facile, disons plus facile, j’ai de la colère.
Voilà désolé, c’était un peu long comme message.
Les poules vont bien.
Rends-nous visite à la campagne ? Tu verras les poules, tu verras des chevreuils.
Et des trognes, et des mains tendues et pas mal de cœurs ouverts.
À bientôt Inch Allah
Loïc