Ce vide sans fond et sans mot que nous ressentons comme une mort est plein, en réalité, du mystère que nous nommons Dieu, pure lumière. Amour

Publié le par Michel Durand

Andrea Montega, la mort du Christ, 1500

Andrea Montega, la mort du Christ, 1500

Le Ressuscité ! La résurrection, La vie éternelle.

Je me surprend d’être, désormais, très sensible à cette réalité fondamentale de la vie chrétienne : la résurrection des corps. Certes, tous les ans, en ce temps pascal, les textes de l’Office du temps présent parle de résurrection, du Ressuscité. Mais, ce que je note maintenant, c’est que je suis désormais bien plus sensible à cette réalité que les années précédentes. L’âge doit y être pour beaucoup. La mort devient présente et le fait que des proches plus jeunes ne soient plus parmi nous ne laisse jamais indifférent. On ne peut qu’envisager la fin de vie.

Or, selon la foi en Christ, la fin de vie n’est pas une fin mais un commencement. Sans cesse la liturgie le proclame ; Christ a détruit la mort. Ainsi, à l’office des lectures de ce jour : « Notre Seigneur a été piétiné par la mort, mais, en retour, il a frayé un chemin qui écrase la mort. Il s'est soumis à la mort et il l'a subie volontairement pour la détruire malgré elle. Car notre Seigneur est sorti en portant sa croix, sur l'ordre de la mort. Mais il a crié sur la croix et il a tiré les morts des enfers, quoique la mort s'y refusât. »

 

Et, pour reprendre ma page précédente, je ne peux que constater les manques de foi, les doutes… mes interrogations en ce domaine. Mes incompréhension. Il n’est pas aisé de vraiment croire en la pure réalité de la résurrection, de la vie éternelle.

 

Je me tourne vers Christoph Theobald. « Résurrection », La révélation tout simplement, éd. de l’Atelier, 2001, p. 133 :

Résurrection : « Il y a donc une promesse cachée dans le mystère de nos liens, une promesse que nous ne pouvons pas exprimer sans utiliser le vocabulaire de « résurrection ». N'avons-nous pas déjà découvert que, tout en étant « plus que » la vie biologique, chacune de nos existences reçoit, par l'heureuse limite de la mort (et d'abord par celle de la naissance), son unicité incomparable ?

Or, il est impossible de nous représenter cette vie en son « accomplissement », état que nous anticipons cependant quand nous entendons réellement une parole de bonheur. La terminologie de la « résurrection » nous induirait donc en erreur si elle nous conduisait à prolonger à perte de vue, par notre imaginaire, le temps et à contourner ainsi le fait brutal de la mort ; comme si l'éternité était une simple prolongation du temps. L'Écriture elle-même évite ce piège en utilisant des métaphores comme celle du grain de blé tombé en terre (Jn 12, 24 ; 1 Co 15, 36 ; aussi Mc 4, 3) ou celle de l'arbre de la vie (Gn 2, 9 et Ap 22, 2). Ces images visent en fait notre mystérieux capital de maturation qui nous échappe toujours davantage, au fur et à mesure que nous avançons sur nos chemins, capital pourtant entièrement livré à nos choix de vie.

Le vocabulaire de la « résurrection » désigne donc finalement la visée d'accomplissement qui se présente comme possible dès que nous scrutons le mystère des liens humains en ses différentes dimensions : toute décision qui engage la vie et la mort est déjà une présence d'éternité dans le temps ; la même chose vaut pour nos relations, dès qu'elles impliquent durée et fidélité, nous l'avons signalé. Relation et unicité manifestent, en effet de concert, qu'en fin de compte l'invisible ou le silence ont plus de poids charnel que ce que nous voyons ou entendons : quand la silhouette de l'être aimé disparaît de mes yeux et que sa voix s’éteint - dans l'expérience du deuil par exemple -, la relation laisse sa trace de chair en moi.

Par ce genre d'expérience et bien d'autres encore, nous sommes invités à une conversion de nos sens, lente découverte (…) de ce que nos relations nous précèdent et que nous y sommes comme suspendus (a-t-on vu des piliers suspendus à un pont ou, comme disaient les médiévaux, un arbre renversé dont les racines sont dans le ciel ?). Mais comment imaginer encore des liens quand les êtres qui communiquent disparaissent dans l'ombre de la mort ?

Ce paradoxe s'étend à perte de vue quand nous situons nos relations dans l'immense réseau des êtres parlants. Il est en effet impossible d'envisager la perspective d'accomplissement, inscrite dans nos liens, sans tenir compte de cette solidarité fonda mentale qui unit l'humanité tout entière : la langue est un fait, immédiatement donné, dans un pluriel indépassable, comme ce qui nous fait passer de la nature à la culture.(…) Nous ne pouvons pas ne pas mesurer ce qu'implique l'engagement, si caractéristique du « saint », de manifester sa sollicitude non seulement à l’être aimé, mais à bien d'autres encore.

Cette ouverture toute simple qui mise sur une justice et une bonté pour tous ravive et aiguise encore le paradoxal entrelacement de liens qui nous portent et de nous-mêmes qui les faisons exister. Que seraient une justice et une bonté pour tous qui n'impliqueraient pas ceux et celles qui sont déjà morts et qui mourront encore pour cette cause, sans avoir vu de leur propres yeux ce que pourtant ils avaient inauguré ? Mais, demandons-nous une fois de plus, comment imaginer de telles retrouvailles que la tradition chrétienne appelle « communion des saints » face à l'inexorable fait de la mort. ?

 

L’expression de Ch. Theobald à ce propos n’est pas vraiment limpide. La porte au mystère, à l’inconnu demeure ouverte. Il donne ensuite à lire un texte de Karl Rahner, Expérience d’un théologien catholique, 1985, qui, malgré tout, aide à avancer dans ce balbutiement.

 

Donner à entendre, dans un balbutiement, comment un homme peut attendre ce qui doit venir

« Lorsque les anges de la mort auront vidé les demeures de notre esprit de tous ces vains détritus que nous appelons notre histoire (encore que l'essence vraie de la liberté effectuée doive évidemment subsister) ; lorsque tous les astres de nos idéaux avec lesquels nous avions présomptueusement drapé les cieux de notre existence, auront fini de briller et seront éteints ; lorsque la mort aura installé un silence terrible de vide et que, dans la foi et l'espérance, nous aurons consenti silencieusement à ce vide comme à notre essence vraie ; lorsque ce que nous aurons connu jusque-là de la vie, aussi longue eût-elle été, ne nous apparaîtra plus que comme une unique et courte explosion de notre liberté, une explosion qui n'aurait de durée pour nous que par un effet de ralenti et dans laquelle la question se transformerait en réponse, la possibilité en réalité, le temps en éternité et la liberté offerte en liberté faite ; lorsque, dans un immense saisissement et une indicible jubilation, il révélera alors que ce vide sans fond et sans mot que nous ressentons comme une mort est plein, en réalité, du mystère primordial que nous nommons Dieu, de sa pure lumière, de son amour qui saisit tout et offre tout, que vienne alors, de surcroît, sur ce fond de mystère sans figure, à nous apparaître et à nous regarder le visage de Jésus, le Béni, et que cette figure concrète s'avère l'offre par laquelle Dieu dépasse complètement notre consentement, aussi authentique soit-il, à son mystère insaisissable et sans figure, alors, oui, c'est alors, c'est à peu près de la sorte que je voudrais, non pas à vrai dire décrire ce qui vient, mais donner à entendre dans un balbutiement comment un homme peut attendre provisoirement ce qui doit venir en éprouvant l'engloutissement de la mort comme le surgissement, déjà, de ce qui vient ».

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