J’aimerai que nos ministères cherchent à se faire présence au cœur des souffrances de nos frères en humanité pour y montrer Jésus Christ

Publié le par Michel Durand

Stéphane Boyer

Stéphane Boyer

Rencontre nationale des prêtres du Prado, février 2024

 

Dans la ligne du travail réalisé par Goulven, voir ici, j’ai pensé déposé en cette page, le témoignage de Stéphane. Il trouvera sa place dans la série des enregistrements vidéo publiés entre le 22 février 2024 et le 9 mars 2024 sur ce blogue.

Ce que je note ici, n’est pas ce qui fut dit au cours de cette rencontre, mais les notes personnelles de Stéphane préparant son intervention.

 

La question : Ce qu’est le charisme du Prado pour toi – comment il t’aide à vivre ton ministère ou et ta consécration aujourd’hui ?

Stéphane Boyer : En 1er lieu quelques éléments de parcours, rapidement. Ordonné en 1992, j’ai été vicaire durant 4 ans dans une paroisse rurale, tout en étant membre du service des vocations.

En 1994, j’ai fait mon engagement temporaire et je dois dire que j’ai apprécié beaucoup la 1ère formation de 1992 à 1994. Elle a été nourrissante et à la base de beaucoup de choses qui ont grandi dans ma vie.

En 1996, j’ai été envoyé dans une paroisse de quartier populaire. En même temps j’ai été nommé prêtre accompagnateur des AEP (Aumôneries de l'Enseignement Public) en binôme avec une femme, laïque, formée qui avait la responsabilité. J’ai beaucoup aimé ce binôme où on sortait des rôles pour accomplir ensemble ce qui était nécessaire à la vie du service sans s’enfermer dans des schémas préconçus. J’aimais par exemple qu’elle introduise les temps de partage d’évangile et j’apportais pas mal d’éléments de pédagogie. J’étais aussi aumônier Scouts et Guides de France durant ces années. Là aussi beaucoup de joie.

En 1999, j’ai eu un gros conflit avec mon évêque. Cela a marqué ma vie et en même temps mon attachement à l’Église de Saône et Loire, ne voulant pas partir ailleurs à « cause » de lui.

En 2007, après un an que le nouvel évêque était arrivé, je lui ai redis mon désir d’être prêtre au travail. Depuis 1995, j’avais ce désir mais l’autre évêque n’était pas d’accord. En 2010, j’ai reçu un accord de sa part, j’ai fait un bilan de compétence (je rêve que tous les prêtres et laïcs œuvrant dans notre Église utilise ce type d’outil pour objectiver leurs compétences) et j’ai entamé une VAE (validation des acquis de l’expérience) comme éducateur spécialisé, obtenu en 2013.

En septembre 2011, j’ai donc laissé la paroisse où j’étais curé et mes responsabilités diocésaines et j’ai commencé à chercher du travail. J’ai commencé à travailler comme médiateur communal en avril 2012 et j’ai été embauché dans l’association où je suis toujours actuellement en octobre 2012 sur le service HUDA (hébergement Urgence des Demandeurs d’Asile). J’avais acquis des compétences en matière de droits et d’accompagnement des étrangers durant ma vie à Chalon car j’étais membre de l’ASTI (association de solidarité avec tou.te.s les immigré.e.s) et j’ai accueilli une première famille de 3 personnes sur une ancienne cure en octobre 2000.

Cette rencontre à changer ma vie. J’ai ensuite développé cet accueil avec les bénévoles de l’ASTI (aujourd’hui l’ASTI héberge 130 personnes migrantes) et j’ai agit pour défendre les droits des migrants (permanence juridique). L’ASTI s’est développé aujourd’hui sur 3 autres lieux du département et j’accompagne les équipes de bénévoles sur le département.

Dans mon travail, au-delà de mes missions auprès de demandeurs d’asile, je suis devenu délégué du personnel en 2014 à la suite de la demande de la direction pour créer une équipe de délégués. Je suis actuellement secrétaire du CSE (comité social et économique) suite à fusion absorption de notre petite association chalonnaise en 2020. Nous sommes aujourd’hui 370 salariés sur le département, dont 60 emplois d’insertion, les 210 autres étant des travailleurs sociaux.

Tout ce que j’ai fait à façonner ma vie et mon ministère. Le soutien des laïcs au cœur du conflits avec l’évêque en 1999 a été déterminant, même si mes collègues prêtres ont aussi été présent. J’ai toujours travaillé dans des équipes de prêtres / laïcs et je crois de manière heureuse.

 

Maintenant, réponse à la question : Ce qu’est le charisme du Prado pour toi – comment il t’aide à vivre ton ministère ou et ta consécration aujourd’hui ?

Dans mon parcours au Prado j’ai été très marqué par le fait que je ne trouvais pas de séminaire adapté à ce que j’étais.

Issu de l’enseignement professionnel avec BEP électromécanique, je n’étais pas à l’aise au séminaire de Dijon basé sur l’enseignement.

Je suis entré au séminaire du Prado en 1988, en ayant dans ma tête la volonté de faire un test et si c’était la même galère qu’à Dijon de quitter la formation. Au bout de 15 jours, j’ai ressenti au fond de moi que j’étais au bon endroit : un lieu où on essaye de former la personne et pas en priorité sa tête, un lieu où j’allais pouvoir unir en moi : connaissance nécessaire à la vie de prêtre, mais aussi relecture, lecture de l’Évangile pour se laisser transformer soi-même. J’ai toujours aimé le fait que Chevrier s’est converti alors qu’il était déjà prêtre. C’est pour moi un grand signe d’espérance et que Dieu œuvre (j’aime beaucoup ce mot et cette notion). J’ai beaucoup aimé l’étude de l’Évangile et cela m’a et me construit toujours.

En 1994, durant la 1ère formation, une phrase m’a profondément marqué et s’est ancrée en moi : Isaïe 58, 06 -  Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? 07 N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?

Elle a guidé beaucoup mes actions auprès des personnes, et des plus pauvres. Les personnes dans le deuil, dans la souffrance (accompagnement de fin de vie), dans la pauvreté (SDF, jeunes et adulte en pauvreté – ATD ¼ monde et JOC, et migrants).

J’ai aussi évolué dans ma foi : à 17 ans, j’ai vraiment décidé de croire en la résurrection. Cela s’est « imposé » à moi après un long combat avec Dieu. Mais petit à petit j’ai découvert l’incarnation. L’espérance, ne vient pas seulement de la Résurrection de Jésus mais bien de sa présence au cœur de l’humanité. Cette présence apporte dès aujourd’hui guérison intérieure, consolation, apaisement et joie.

François Varillon le dit merveilleusement bien : « nous ne devrons jamais parler d’un autre monde, mais toujours du monde qui, par la résurrection, devient tout autre… Le christianisme seul, rigoureusement seul, enseigne la divinisation. Non seulement il l’enseigne mais l’on peut dire qu’il est cet enseignement même. Tout le Christianisme est là ! Comme le dit Guardini : le Christianisme est le seul à oser situer un corps d’homme en plein cœur de Dieu ». Joie de croire, joie de vivre. Page 175 à 187.

Il exprime très bien ce que je vis en moi : Présence de Dieu par Jésus Christ et l’Esprit Saint et sa force de résurrection qui transforme ensemble la vie. Je pourrai donner de multiples exemples mais je crois que parfois, au-delà de mes capacités personnelles, les personnes que j’accompagne ressentent ce qui est en moi et cela leur apporte force, courage et apaisement, au-delà des conseils juridiques ou humains que je peux donner. Ce n’est pas une prédication, une parole, mais manifesté par une présence.

Je suis personnellement attaché à un trait du charisme du Prado : l’élan pour rejoindre les pauvres, vivre avec eux et mourir avec eux. Ce qui compte ce n’est pas les paroles mais bien la présence, la consolation, partager dans un chemin de long court, vivre la fraternité avec les plus pauvres.

Petit à petit, en dehors des routes habituelles du ministère paroissial, ma vie est donnée en premier lieu pour les plus pauvres. Concrètement mes heures, mes jours, sont consacrés aux personnes pauvres matériellement et souvent vulnérables. Je n’ai pas de contraintes paroissiales ou d’autres services qui m’obligeraient à ne pas orienter ma vie vers eux. J’ai cette très grande liberté (dont je suis très conscient mais pour laquelle je me suis aussi battue) qui me permet d’être un homme et un prêtre qui passe son temps avec et au service des plus pauvres. C’est ma joie et ma croix, car cela demande aussi de se risquer, d’aller au-delà des limites légales ou même des contraintes que m’imposent mon travail et les lois de notre pays. Cacher, organiser la vie matérielle des migrants, travailler à leur insertion, me mets parfois sur le fil du rasoir dans ma vie, ma santé, et mes finances. Mais j’ai la joie de me sentir vivre une vraie unité entre ce que je crois et ce que je suis appelé à vivre. L’unité par le chemin de l’amour, un amour qui se donne, a grandi en moi au fil des années et donne sens à ce que je suis. Je prêche moins mais je vis plus en cohérence.

Je suis un peu isolé du fait que je suis prêtre au travail et que je ne peux pas bien me libérer en semaine pour des rencontres. Je vis donc peu la dimension fraternelle du Prado même si j’essaye d’être fraternel avec mes collègues. La dimension communautaire ou collective n’a jamais été un élément fort de ma vie. Mais c’est une béatitude pour mes collègues car je ne suis pas sûr que je sois bien vivable au quotidien.

Ce qui me touche toujours dans le charisme de Chevrier c’est d’accueillir dans l’Évangile chaque jour une petite lumière et si Dieu m’a donné une petite lumière pourquoi ne pas lui en demander une deuxième. J’aime écrire l’Évangile car en écrivant il passe par le crayon, ma main, le corps et rejoint doucement mon esprit. J’aime mieux l’écrire que le lire. L’Évangile est vraiment ce qui me permet d’irriguer et de relire ma vie.

C’est souvent que je confie au Christ, au pied d’une croix, la souffrance de celles et ceux que j’accompagne et qui heureusement me traverse. Je vois une humanité brisée : viol y compris des hommes et des enfants migrants, violences, trafic d’être humain, tortures, … c’est mon lot quotidien sans parler des traumatismes que cela crée et de la nécessité [d’être] avec les médecins de ces personnes. Mais l’Évangile vient me ressourcer, me réunifier, me consoler. Jésus ne cesse d’apporter son regard sans jugement sur ses contemporains. Il ouvre leur chemin. Je suis très attaché au Salut, c’est-à-dire cette action de Dieu qui aujourd’hui vient nous relever du mal qui nous couche à terre. Je suis témoin du Salut qui est à l’œuvre aujourd’hui. Mais je reconnais volontiers que c’est ma relecture, partagée cependant avec quelques personnes avec qui j’ai une communion d’âme comme le disait Chevrier.

J’ai déjà trop écrit. Aussi, je voudrais juste partager une interpellation au-delà de ma propre vie. Si le mouvement pour être pradosien ET diocésain est une bonne chose - car je suis attaché à mon Église locale - je crois que notre famille souffre de ne pas discerner plus les fractures de notre temps pour engager nos ministères.

Chevrier voit ces jeunes au-delà du pont de la Guillotière et va vers eux non seulement pour créer une Providence (il a tâtonné avant de trouver la forme qui pouvait être ajusté à ces jeunes) et leur faire connaitre Jésus Christ, mais il créé aussi une école reconnue par l’Académie. Il associe instruction nécessaire à ces jeunes et son désir de transmettre Jésus Christ et son Esprit. J’aimerai que nos ministères ne soient jamais dans la facilité (gestion de paroisse, animation de mouvement, activité habituelle de l’Église – ne vous sentez pas jugé par ces exemples - j’ai exercé ces missions) mais cherchent à se faire présence au cœur des souffrances de nos frères et sœurs en humanité pour y montrer Jésus Christ. J’aimerai des ministères TOUT tourner vers ceux et celles qui ne connaissent pas Jésus Christ. C’est un appel, et je vous laisse discerner.

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I
"Ne pas te dérober à ton semblable". Merci pour ce témoignage inspirant. Je souhaite tellement que la spiritualité s'incarne partout de cette manière, quelle que soit la tradition à laquelle elle se réfère.
Répondre
M
Merci Isabelle. D'après les statistiques du blogue (que je ne suis pas certain de comprendre), plus de 300 lecteurs partagent ce même souhait. Les diverses guerres actuelles invitent à tout faire pour qu'advienne une réelle fraternité universelle.