L’espérance me motive à savoir ce qui se passe en Palestine/Israël et à ne pas détourner le regard. Rechercher d'autres chefs pour y mettre fin
Le premier cercle de silence du groupe Liban-Palestine s’est tenu à Quimperlé, en avril 2025. (Archives Le Télégramme)
Marie-Thèrèse, lyonnaise, souvent présente place des Terreaux, le vendredi soir avec les « Femmes en noir », en soutient eux Palestiniens, donne à lire cette page écrite par David Neuhaus.
David Neuhaus, prêtre d'origine juive et Jésuite est très connu dans le monde chrétien en Israël-Palestine et ailleurs, par ses positions et son engagement pour la Paix. Marie-Thérèse précise : « Souvent présent au rassemblement des Femmes en Noir à Jérusalem le vendredi et dans d'autres actions là-bas, j'ai eu l'occasion de le rencontrer à Bethléem où il enseigne aussi à l’Université ».
Bonne lecture !
Qu'est-ce que « l’Espérance» aujourd'hui ?
/image%2F0976731%2F20250607%2Fob_131524_neuhaus-jpg-copie.jpg)
L'ARMÉE ISRAÉLIENNE a poursuivi samedi dernier ses bombardements sur Khan Younis. Lors du bombardement, Alaa al Najjar, qui était au travail, a perdu neuf de ses dix enfants : Sidar, Laqman, Sadin, Riwal, Ruslan, Jubran, Hawa, Rakan et Yahya. Son seul fils survivant, Adam, et son mari Hamdi, ont été grièvement blessés. Je partage ces mots avec vous sous leur regard.
Il n'y a actuellement aucune lumière au bout du tunnel en Palestine/Israël. Les lumières se sont éteintes les unes après les autres. Les paroles de Sophonie résonnent : « Ville souillée, profanée, oppressive ! Elle n'a écouté aucune voix, elle n'a accepté aucune correction » (Sophonie 3,1). Nos gouvernements sont principalement composés de dirigeants sans cœur, qui semblent n'avoir aucune conscience. Et nous continuons à sombrer dans les ténèbres d'une époque où il n'y a ni espoir, ni miséricorde, ni empathie, ni compassion. Quand j'essaie de repousser ce sentiment de désespoir, j'ai l'impression de trahir ceux qui pleurent leurs morts, les blessés, ceux qui sont pris en otages et prisonniers, les déplacés et les sans-abris, ceux qui ont faim et soif, ceux qui meurent lentement parce qu'il n'y a pas de médicaments, ceux qui sont enfermés dans une réalité où l'horizon de l'espoir a été fermé, remplacé par un mur solide qui proclame explicitement qu'il n'y a pas d'issue.
Qu'est-ce que l’espérance dans ma vie de chrétien ? Je sais bien ce que l’espérance n'est pas. Elle ne doit pas être un opium ; Marx, avec clairvoyance, a démasqué l'espérance comme faisant partie de la religion, comprise comme une drogue qui anesthésie le désir brûlant de changement. L’espérance ne doit pas être une illusion névrotique : Freud a révélé de manière prophétique la nature immature ou psychologiquement malsaine de l’espérance qui tourne le dos au monde, le remplaçant par la projection d'un désir imaginaire. Elle ne doit pas être une absurdité : Kafka nous a forcés à regarder un monde dans lequel l'espoir de trouver un sens est souvent une échappatoire à l'inévitabilité de l'absurdité.
L’espérance mûre ne peut être une fuite devant la dureté de la réalité. En tant que chrétien, je dois faire face à la tragédie de notre époque et au désespoir qu'elle engendre. Si je veux être solidaire de ceux qui sont en première ligne, je ne peux pas me contenter de belles paroles pieuses, je ne dois pas détourner le regard de la mort et de la souffrance, en enfouissant ma tête dans le sable comme une autruche. Je dois m'exposer, à nu et blessé.
Pour des raisons que je ne comprends pas, Dieu permet au mal de sévir. Je me rebelle et je me révolte contre cela, même contre Dieu Tout-Puissant qui le permet. Cette rébellion fait partie intégrante de la vie de foi. Abraham s'est écrié contre Dieu, qui lui a révélé la destruction de Sodome et Gomorrhe. « Loin de toi de faire une telle chose, de faire mourir le juste avec le méchant, de sorte que le juste soit traité comme le méchant ! » (Genèse 18, 25). Habacuc s'est insurgé contre Dieu, qui semblait sourd à ses cris : « Seigneur, combien de temps devrai-je crier au secours sans que tu m'écoutes ? » (Habacuc 1, 2). Jésus aussi, sur la croix, a crié ce sentiment d'abandon qui résonne à travers l'histoire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » (Marc 15, 34). À la neuvième heure, l'espoir s'est évaporé. Le cri contre Dieu fait partie de la parole de Dieu. Une certaine forme d'espoir doit mourir lorsqu'on contemple la réalité de la violence, de la guerre et de la mort.
Il existe deux types d'espoir. Il y a l'espoir tourné vers l'avenir. Il espère certaines choses qui semblent se profiler faiblement à l'horizon. Il s'enracine dans une vision qui offre une alternative à la réalité dans laquelle nous nous trouvons. Égalité. Justice. Paix. Sécurité. Prospérité. Tous ces espoirs sont légitimes, lorsque l'horizon n'est pas complètement bloqué par des murs qui rendent impossible toute sortie du présent.
Notre présent est un désert laissé par des vagues de haine incessante, de vengeance implacable et de violence brutale. Quand je regarde autour de moi en Palestine/Israël aujourd'hui et que je crie vers Dieu, toutes ces choses que j'aurais pu espérer semblent désormais être des fantômes, apparaissant brièvement, puis s'évaporant, brisées sur les rochers durs et impitoyables de la réalité. Vengeance. Haine. Victoire. Violence. Ethnocentrisme. Ces rochers constituent notre réalité.
Cependant, il existe un autre type d'espoir qui lutte pour respirer en moi. Une espérance orientée vers le passé, une espérance enracinée dans le souvenir des percées passées. Mes parents juifs ont fui l'Allemagne nazie à une époque où il n'y avait aucun espoir et où un empire de mort régnait en maître absolu. Les membres de ma famille qui n'ont pas fui ont été assassinés. Mes parents ont trouvé refuge en Afrique du Sud, où un régime raciste avait mis en place un système d'apartheid qui privilégiait les Blancs par rapport aux Noirs. Ce système a perduré pendant des décennies. Les Noirs étaient condamnés à vivre en marge de la société, à la paupérisation, à une répression brutale et au désespoir. Quiconque résistait était réduit au silence par la force. Pendant ces longues années de mort, espérer quelque chose de différent de la réalité relevait surtout du vœu pieux, d'un refus de la réalité. De l'opium. Une illusion. Une absurdité. Les privilégiés avaient le luxe d'espérer, tandis que les pauvres étaient pour la plupart abandonnés.
Et pourtant, l'Allemagne nazie et l'Afrique du Sud de l'apartheid sont des souvenirs du passé. C'est une consolation en ces temps sombres et cela donne parfois naissance à une lueur d'espoir en Palestine/Israël aujourd'hui. Le souvenir du passé fait partie intégrante de ma vie de foi. En tant que chrétien, je suis constamment appelé à me souvenir de la croix sur laquelle était crucifié un homme. Il est mort d'une mort atroce, douloureuse et lente, par suffocation. En le regardant, je suis obligé de réfléchir à ma propre complicité dans les structures du mal qui l'ont condamné à mort. Il n'y a pas d'échappatoire facile à cet endroit. Je dois me tenir devant la croix le Vendredi saint et devant le tombeau dans lequel il a été déposé le Samedi saint. Cependant, le dimanche de Pâques arrive. C'est alors que je peux me souvenir que le tombeau dans lequel il a été placé est vide. Le Dieu en qui je crois ne permet pas à la mort, aux ténèbres et au mal d'avoir le dernier mot. Parfois, Dieu prend beaucoup de temps. Habacuc, exaspéré, a entendu ces mots : « Si cela semble tarder, attends-le. Cela viendra certainement, cela ne tardera pas » (Habacuc 2:3). Je ne comprends pas les mots « cela ne tardera pas ». Tout ce que je ressens, c'est ce retard interminable.
Je suis en colère contre Dieu. Dans notre présent, il n'y a pas d'horizon ouvert. Devant nous, il y a davantage de mort, des menaces de destruction encore plus grande, de nettoyage ethnique et de souffrance. Je ne peux espérer rien – égalité, justice ou paix – qui ne semble pas être une illusion totale dans une réalité où la vengeance, le meurtre et la cruauté sont omniprésents. Et pourtant... l’espérance fait partie de mon identité de chrétien. Je me tiens devant un tombeau vide qui contenait le cadavre d'un homme qui avait été torturé et crucifié. Son corps mutilé avait été enveloppé et placé dans le tombeau. Mais maintenant, il n'est plus là. Le tombeau est étonnamment vide. La foi née devant ce tombeau vide, la foi qu'il est ressuscité, fait partie de ce que je suis. Si je ne croyais pas que le tombeau est vide, je ne serais pas chrétien. C'est de cette conviction qu'émerge un autre type d’espoir.
Cette espérance ne se tourne pas vers un horizon illusoire. Cette espérance se tourne vers le passé, se souvenant que Dieu a été bon. Cette espérance naît de la conviction que Dieu veut le bien pour l'humanité. Cette espérance trouve ses racines dans l'expérience de l'amour vivifiant de Dieu. C'est grâce à cette espérance que je peux continuer à parler et à agir. C'est cette espérance qui m'empêche d'abandonner, tant Dieu que l'humanité. C'est cette espérance qui m'empêche de passer devant les morts, les blessés, les déplacés, les affamés, qui m'empêche de détourner le regard de la ville de Gaza, Khan Younis et Rafah, Jénine, Tulkarem et Naplouse, je ne peux oublier ceux qui sont encore otages dans tout Israël, ceux qui sont morts et ceux qui pleurent là-bas aussi.
C'est cette espérance qui ne pose pas la question : « Que m'arrivera-t-il si je vois ce qui se passe ? Que m'arrivera-t-il si je m'exprime ? » C'est plutôt cette espérance qui suscite la question : « Que m'arrivera-t-il si je ne vois pas, si je ne m'exprime pas ? »
L’espérance est enracinée dans l'expérience d'un Dieu qui nous aime et d'une communauté que cette espérance engendre. L’espérance me motive à savoir ce qui se passe en Palestine/Israël et à ne pas détourner le regard. Elle me pousse à mettre des visages, des noms et des récits sur ceux qui sont morts et qui meurent en ce moment même, et à ne pas les ignorer. L’espérance me pousse à rechercher d'autres personnes qui tentent désespérément de mettre fin à tout cela, déterminées à agir ensemble. L’espérance est la force vitale qui cherche à faire de vous et moi les témoins d'une humanité qui s'éteint dans un monde qui détourne le regard de ceux qui tombent au bord de la route. L’espérance nourrit la résilience qui nous pousse à continuer malgré tout. Je prie pour que cette espérance résiste au désespoir grandissant.
David Neuhaus est professeur d'études bibliques et vit à Jérusalem, à l'Institut biblique pontifical.
* Le groupe Liban-Palestine Cornouaille poursuit ses actions locales pour le rétablissement de la paix en Palestine en alternant des cercles de silence entre Quimperlé et Concarneau, chaque dimanche matin. Ces réunions silencieuses réunissent autant de personnes que possible dans des lieux publics pour « dénoncer les exactions perpétrées par le gouvernement israélien sur la population civile dans la bande de Gaza ». « Nous réunissons entre 20 et 80 personnes à chaque fois, individuels ou représentants d’associations, de syndicats et de partis politiques, bien que notre mouvement soit apolitique et laïc. Tous les citoyens indignés par la situation peuvent nous rejoindre et nous espérons réunir une centaine de personnes, ce dimanche 8 juin 2025, à Quimperlé », annoncent Fanny Chauffin et Isabelle Besse, membres du groupe.