Passons par le corps pour aller jusqu’aux âmes, il faut être le médecin de leur corps ; l’amour de l’invisible se manifeste par le sensible

Publié le par Michel Durand

Maison Saint André, Prado, Limonest

Maison Saint André, Prado, Limonest

Venir ici pour lire l'invitation à cette journée 

Avec cette page, à propos de la récollection de dimanche dernier à la Maison Saint-André, Prado, à Limonest, je donne à lire ce que j’ai rédigé pour me préparer avec l’équipe (Monique, Jean-Marc, Ramon) à vivre cette journée.

Il y a, c’est voulu, beaucoup trop de « matière ». Pourquoi cela ? Tout simplement parce que, invitant ce dimanche à une rencontre priante et communautaire, je souligne l’importance de prolonger chez soi la réflexion, méditation et prière. Ce dimanche 26 octobre j’ai donc invité à ouvrir cette page du blogue En manque d’Eglise. C’est effectivement parce que nous sommes, serons, toujours en manque, que les temps forts de prière - contemplation / action - sont indispensables. En voici un outil…. 

 

EVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 8

 

Ce récit (périscope) de la femme adultère ne se trouve pas dans les plus anciens manuscrits grecs de l’Évangile de Jean (3è, 4è siècle). Son style est celui des évangiles synoptiques. Alors, il ne peut-être rédigé par Jean lui-même. Les exégètes l’attribue à Luc. Voir Lc 21, 38 : « Et tout le peuple, dès l’aurore, venait à lui dans le Temple pour l’écouter. »

Autre remarque : «  il écrivait sur la terre » ; les exégètes notent que cette précision, ce geste reste ambigu.

 

Nous avons choisi cette périscope (segment d’un texte sacré, biblique) dans le cadre de notre méditation sur la fraternité parce qu’elle nous montre comment Jésus se comporte avec les gens dans des cas délicats.

Ce passage décrit une confrontation entre Jésus, les scribes et les Pharisiens pour savoir si cette femme, coupable d'adultère, doit être lapidée. Jésus empêche l'exécution et dénonce l'hypocrisie de ses contradicteurs. L'expression « jeter la première pierre » est tirée de ce passage évangélique.

Jeter la première pierre, c’est être le premier à accuser une personne.

À l’époque de Jésus, la religion juive punissait de lapidation ceux et celles qui commettaient certains pêchés (dont l’adultère). Les premières pierres étaient jetées par les témoins du crime et les suivants continuaient à lapider le fautif, (la fautive) jusqu’à ce que mort s’en suive.

 

Ex 20, 12-16 : la loi du décalogue (les dix Paroles) condamne l’adultère qui est une atteint à la personne : « Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »

Agir dans l’adultère, c’est commettre un acte de non respect envers son prochain. Une trahison.

 

(Cf Bruno Cadart que je remercie d‘avoir déposé cette étude d’Evangile sur internet)

Deux rencontres : La rencontre de Jésus et la femme adultère, et celle entre Jésus et les pharisiens Jn 8,1-11

Pour bien sentir la violence de cette rencontre entre Jésus et les pharisiens,

car c’est en fait la rencontre principale de ce récit, l’autre survenant « par accident », comme « prétexte » à la première, les pharisiens n’ayant pas peur de sacrifier la vie d’une femme qu’ils utilisent contre Jésus, …..

il est bon d’avoir vu des images de lapidations de femmes que l’on trouve parfois sur youtube, ces femmes d’abord mises à nu, puis tuées.

Cela évite de lire ce texte comme une simple discussion théorique, cela fait bien sentir la violence qui habitait ces pharisiens, ces spécialistes de la Loi de l’époque.

Voici le contexte : les pharisiens cherchent à condamner Jésus qui prétend être le Messie, le Fils de Dieu. Cela s’est exprimé très fort après la guérison du paralytique à la piscine de Bethzata [Jn 5,18] au point que Jésus s’est replié en Galilée et ne parcourt plus la Judée [Jn 7,1] avant de monter à Jérusalem pour la fête des Tentes sans se faire voir, presque secrètement [Jn 7,10], puisque Jésus leur demande : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » [Jn 7,19]. Les pharisiens envoyèrent même des gardes pour l’arrêter [Jn 7,32], mais ceux-ci revinrent sans l’avoir arrêté en disant : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme. » [Jn 7,45-46]

Nicodème, l’un des pharisiens, celui-là même qui était allé trouver Jésus de nuit [Jn 3,1-21], osera s’opposer à ces hommes de mauvaise foi et demander : « Notre loi condamnerait-elle un homme sans l’avoir entendu et sans savoir ce qu’il a fait ? » [Jn 7,51.]

C’est donc dans ce climat de procès à charge mené contre Jésus par les pharisiens que survient cette rencontre dans toute sa violence. La polémique se poursuivra et le chapitre d’où est tiré le récit de la femme adultère se termine par ce verset : « Les pharisiens ramassèrent des pierres pour les lancer sur Jésus, mais il se déroba et sortit du Temple. » [Jn 8,59]

Cette femme est donc utilisée pour condamner Jésus. Les pharisiens la traînent devant Jésus, et, tout en ayant « oublié » d’amener l’homme avec qui elle avait péché, feignant d’être en recherche de la vérité, feignant d’être dans une attitude de respect vis-à-vis de Jésus, ils lui demandent :

– « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? » [Jn 8,5.]

Jean prend la peine de préciser : « Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège pour avoir de quoi l’accuser. » et le récit se poursuit : « Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le sol. » [Jn 8,6.]

 

Qu’a-t-il pensé pendant ce temps ?

D’abord, devant ce déferlement de violence de la part des pharisiens prenant à parti Jésus pour tuer cette femme, cherchant à le tuer lui-même, Jésus s’est incliné, abaissé, comme il s’est abaissé en venant sur notre terre par amour [Ph 2,1-11], comme il l’a fait devant ses disciples en leur lavant les pieds au moment où il leur donne ses dernières instructions, le commandement de l’amour, de la vie donnée, nous appelant à faire cela en mémoire de lui.[Jn 13,1-20.]

Il s’est abaissé devant qui ? Aussi bien devant cette femme, cette coupable d’un « péché mortel », que devant ces pharisiens et devant la foule, devant nous aussi qui lisons aujourd’hui ce texte d’Évangile.

Il a dû réfléchir à la réponse qu’il pourrait donner à la question posée, pas une question posée de manière théorique, mais une question de vie et de mort pour cette femme, pour lui, pour l’humanité à laquelle il venait apporter son message d’amour. Cette question avait la forme d’un « dubium - doute ». Il s’agissait de répondre par « oui » ou par « non ».

– S’il disait « oui, il faut lapider cette femme comme le prescrit la Loi », il se mettait en contradiction avec le message d’amour qu’il apportait, et il devenait responsable de la mort de cette femme.

– S’il disait « non, il ne faut pas lapider cette femme », il se mettait en contradiction avec la loi de Moïse, lui qui pourtant a aussi dit « qu’il ne venait pas abolir mais accomplir la loi » et qui annonçait que « pas un i, pas un point sur le i ne passerait. » [Mt 5,17-20]

Jésus était enfermé dans un piège. Il réfléchissait, mais je crois surtout qu’il priait en silence) :

– Il priait le Père de mettre dans sa bouche, par l’Esprit Saint, les paroles à dire, lui qui ne parlait pas de lui-même [Jn 14,10], mais qui disait seulement ce que le Père lui avait enseigné [Jn 8,28-29].

– Il priait pour cette femme, lui qui se laissait saisir de compassion devant l’humanité souffrante, défigurée, rejetée.

– Il priait sûrement tout aussi fort pour ceux qui le questionnaient, pour les sauver eux-aussi, pour qu’ils sortent de ce projet doublement mortifère, lui qui a pleuré sur Jérusalem « qui n’avait pas su reconnaître le temps où elle a été visitée » [Lc 19,41-44], lui qui, sur la croix, condamné par ces mêmes pharisiens a prié ainsi : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » [Lc 23,34]

Mais le temps du silence n’a pas suffi aux pharisiens pour rentrer en eux-mêmes. La prière de Jésus pour eux ne donnait pas encore le fruit voulu.

« Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit :

- « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. » Et s’inclinant de nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol. » [Jn 8,7.]

Par cette phrase, Jésus retourne la situation. Il oblige les pharisiens à sortir pour une part de la perversion. Jusque là, ils n’étaient pas « sous la Loi », préoccupés de laisser la Parole de Dieu les questionner eux, les conduire eux à la conversion. Ils n’étaient pas dans l’attitude de Samuel : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. »[1 Sm 3,9] Ils avaient fait de la Parole de Dieu dont ils prétendaient être les maîtres une arme pour condamner Jésus et condamner cette femme.

Dans ce passage, comment ne pas voir que la « vérité morale » n’est pas d’ordre binaire, oui ou non, blanc ou noir ? Comment ne pas voir le risque qui est pour nous aujourd’hui encore de nous situer en pharisiens ? Je souligne l’importance de l’écoute : écouter le personne en cause, la personne condamnée… interrogée… fautive….

A la lumière de ce passage, on comprend mieux tous les passages où Jésus traite les pharisiens d’hypocrites, eux, les spécialistes de la Parole de Dieu, de la Loi, de la Morale, les chefs religieux, ceux qui se pensaient purs. Matthieu utilise 13 fois le qualificatif « hypocrite » et toujours en relation avec les pharisiens, allant jusqu’à dire : « Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et d’impuretés de toutes sortes. » [Mt 23,27]

Quand je lis tous ces passages où Jésus essaye de secouer les pharisiens, et je ne peux oublier mes récentes lectures de Jacques Ellul : La subversion du christianisme, L’éthique de la sainteté, je commence toujours par m’identifier aux pharisiens. Je me dis que ceux qui risquent d’être dans le rôle des pharisiens d’aujourd’hui, c’est nous : d’abord nous, les prêtres et responsables religieux, mais aussi nous tous les baptisés pratiquants quand nous nous situons de la même manière. Je pense, même si j’ai des difficultés à comprendre, aux autorités qui condamnent les LGBTQIA+.= homosexuels, bisexuels, transgenres, et d'autres variantes comme queer, intersexes, asexuels, non binaires.

Je me rappelle aussi qu’il n’y a pas besoin de pierres pour lapider et tuer : les paroles malveillantes de quelqu’ordre qu’elles soient, en particulier les calomnies, tous ces « commérages » qui ont un fort pouvoir.

Là, enfin, les pharisiens se remettent sous la Parole de Dieu qu’ils accueillent pour eux-mêmes.

- « Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. » [Jn 8,9]

J’aime le réalisme de cette page d’Évangile : ceux qui partent les premiers sont les plus âgés… Pourquoi ? parce qu’ils ont eu plus de temps que les autres pour pécher !

Mais les pharisiens n’ont fait qu’une partie du chemin. Ils n’utilisent plus le texte de la Loi contre Jésus et contre la femme, ils ont osé faire la vérité sur leur vie à la lumière de la Loi écrite.

Ils se retirèrent au lieu d’aller à Celui qui est la Loi, la Torah, le Chemin vers le Père, l’amour, la miséricorde. Ils ont pris conscience de leurs manquements à la loi morale écrite sans se laisser rencontrer par le Sauveur. Comme le jeune homme riche [Mt 19,22 ; Mc 10,22 ; Lc 18,23.], même si Jean ne le dit pas, ils ont dû s’en aller « tout tristes ».

N’ayant toujours pas rencontré en Jésus le Messie, ils sont surtout repartis encore plus remplis de colère de ne pas avoir réussi à coincer Jésus. Dans les versets qui suivent, Jésus leur dit : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, vous connaîtrez que ‘JE SUIS’… » [Jn 8, 28-29]

La femme a été dénudée physiquement et moralement, humiliée devant la foule, reconnue coupable d’un « péché mortel », du moins aux yeux de la Loi des hommes, même si celle-ci est aussi reçue de Dieu, pas de manière si directe que certains peuvent le penser, et pas sans que les hommes aient à grandir à travers les âges dans sa compréhension. La femme ne peut rien cacher, et voilà que Jésus se redresse, la regarde et lui dit :

– « Personne ne t’a condamnée ? »

– « Personne, Seigneur »

– « Moi non plus, je ne te condamne pas : va, et désormais ne pèche plus ».

 

Et encore….

http://bruno-cadart.com/suivre-jesus-dans-sa-rencontre-avec-la-femme-adultere

 

https://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2004/clb_040409.htm

 

https://viechretienne.catholique.org/meditation/45300-jesus-et-la-femme-adultere-va-et-ne-peche

 

https://www.chautard.info/2016/03/homelie-du-dimanche-13-mars-2016-la-femme-adultere-jean-8-1-11.html

 

 

 

Fratelli Tutti et Antoine Chevrier

L'encyclique Fratelli Tutti du pape François, publiée le 3 octobre 2020, s'inspire de la spiritualité de saint François d'Assise pour promouvoir la fraternité et l'amitié sociale. Elle encourage un amour qui dépasse les barrières géographiques et sociales, un thème qui résonne avec la vie et l'œuvre du père Antoine Chevrier.

 

Antoine Chevrier et la fraternité

Antoine Chevrier, né le 16 avril 1826 à Lyon, est un prêtre qui a marqué le XIXe siècle par son engagement auprès des pauvres. Il est mort le 3 octobre 1879.

A. Chevrier était un prêtre lyonnais qui a dédié sa vie aux plus démunis.

Il a enseigné l’Évangile (catéchisme) aux enfant pauvres de la Cité de l'Enfant-Jésus fondée par Camille Rambaud pour répondre aux besoins des populations ouvrières, sans logement à cause, entre autres de l’inondation de 1856 ; rive est du Rhône.

En 1860 dans le quartier de La Guillotière, il loue (puis achète) le bal du Prado pour réunir ses enfants pauvres toujours dans le but premier de leur permettre de « vivre leur première communion ». Son approche était centrée sur l'éducation et la transmission de la foi, en s'inspirant de l'exemple de Jésus-Christ.

Oui, en 1860, il a transformé une ancienne salle de bal, le Prado, en un lieu d'accueil pour les jeunes errants et abandonnés. Il y a fondé une communauté pour vivre parmi les pauvres et leur offrir une éducation religieuse et morale.

 

Conversion et engagement

La conversion d'Antoine Chevrier est marquée par une expérience spirituelle profonde lors de Noël 1856. Il décide de se consacrer entièrement à Dieu et de vivre selon l'exemple du Christ. Son engagement se traduit par un travail acharné auprès des enfants et des familles ouvrières, souvent dans des conditions difficiles.

 

Collaboration et héritage

Le père Chevrier a su s'entourer de jeunes laïcs qui partageaient sa vision et son engagement. Ensemble, ils ont travaillé pour améliorer les conditions de vie des plus démunis et pour leur transmettre la foi. Son héritage perdure à travers les œuvres qu'il a fondées et l'inspiration qu'il continue de fournir aux générations suivantes.

 

Fratelli tutti

La vie et l'œuvre d'Antoine Chevrier illustrent parfaitement les valeurs de fraternité et d'amitié sociale prônées dans l'encyclique Fratelli Tutti.

Son initiative sociale et spirituelle s'inscrit dans la lignée des enseignements de l'Église catholique, y compris ceux de l'encyclique Fratelli Tutti du pape François, publiée en 2020.

L'encyclique Fratelli Tutti appelle à la fraternité universelle et à la solidarité avec les plus pauvres. Les actions d'Antoine Chevrier, notamment sa décision de vivre dans l'humilité et de se consacrer aux marginaux, illustrent ces principes. Le Prado, en tant qu'institution, continue de promouvoir ces valeurs à travers ses activités éducatives. En témoignent les engagements de Prado Education.

Le site internet du Prado (éducation) écrit : « DEPUIS 1860, POUR EUX, AVEC VOUS (= appels à dons) : Reconnu d'utilité publique, le Prado accompagne des enfants, des jeunes et leurs familles, ainsi que des adultes en situation de fragilité pour les soutenir dans leur parcours de vie.

Prado éducation : Accueillir, éduquer, accompagner, former, soigner et héberger des personnes en difficultés.

Prado itinéraire : Accueillir, éduquer, accompagner, former, soigner et héberger des personnes en difficultés.

Prado les jardins : Agir pour l'insertion sociale et professionnelle via trois activités : Le maraichage et traiteur bio, le bâtiment second oeuvre, et la propreté.

Prado méridiens : Accompagner spécifiquement les jeunes à besoins particuliers.

Je cite ces titres de « Le Prado de l’enfant à l’adulte : agir pour sa vie » (revue du Prado Education) comme des signes de fraternité que, baptisés, nous sommes invités à avoir avec toutes personnes.

Aujourd'hui, les membres de la famille pradosienne : les prêtres, les laïcs consacrés (les frères), l’Institut féminin du Prado (IFP), les sœurs, les diacres, Prado éducation sont présents dans plus de quarante pays, perpétuant l'héritage d'Antoine Chevrier. Tous, toutes, s’engagent dans des actions sociales et spirituelles, en accord avec les enseignements de Fratelli Tutti.

Prendre soin des personnes - Fraternité

Lettre n°18 (17) [3]

AU FRERE CAMILLE, A ROME

J.M.J. [Cité, fin février 1859]

Que la grâce et la lumière de Notre-Seigneur Jésus soit toujours avec vous et vous conduise toujours dans le vrai chemin que le Seigneur veut que vous parcouriez, malgré toutes les difficulté, elles s’effaceront toutes par la puissance de Celui qui conduit tout.

Nous recevons toujours vos lettres avec un véritable plaisir tout spirituel, et nous sommes bien consolés de penser que Dieu vous donnera toujours le courage et la persévérance.

Je remercie Dieu de ce qu’il m’a fait un peu comprendre cette vérité que mon devoir principal était de m’occuper plus spécialement des enfants de la maison, que ce devoir était aussi et plus important que tout autre, que ces enfants sont aussi bien les enfants de Dieu que les autres personnes, et que le bien est plus facile et plus réel auprès d’eux qu’auprès des autres, et plus convenable, plus approprié à mon caractère, mon esprit, que tout autre bien en réalité plus difficile et plus infécond : priez s’il vous plaît pour que j’agisse selon la lumière et la grâce de Dieu. Le véritable zèle consiste toujours à chercher ce que les autres ne veulent pas ou semblent dédaigner, et ces pauvres enfants sont bien dignes d’intérêt et d’affection ; je les aime davantage depuis que je suis plus au milieu d’eux et même, si je pouvais, je cesserais tout travail extérieur pour m’y occuper exclusivement, si je croyais que Dieu le demandât.

Il faut passer par le corps pour aller jusqu’aux âmes, il faut être le protecteur, le médecin de leur corps pour leur bien faire comprendre qu’on aime leur âme ; l’amour de l’invisible se manifeste par l’amour du visible, du sensible. Hier soir, assez tard, j’ai fait une infusion à Joseph et à Ménétrier, j’ai compris que cela leur faisait plaisir, il faut s’attirer l’affection par tous les moyens. J’ai établi pour nos malades la lecture spirituelle, ou plutôt conférence spirituelle à 9 h du soir, j’en profite pour leur donner paternellement les petits avis à donner, et le matin à 6 h ½ je vais leur faire la prière et quelques courtes réflexions pour la journée ; il faudra quelque temps pour les habituer à ces petits exercices, mais j’espère en venir à bout, ce n’est pas en quelques jours que l’on peut parvenir à corriger et à redresser ; on peut compter sur Joseph, François et Debouchonnet ; il y a bien à désirer pour les autres. Benoît est un bon garçon qui n’est pas dans l’intention de rester quoiqu’il soit sage. Il ne faudrait être sévère qu’autant que la négligence prolongée des uns nuirait gravement à la sanctification des autres ; j’ai confiance que tout ira bien : grâce, temps et patience, voilà ce qu’il faut.

Ma santé va bien, j’ai besoin de quelques ménagements, mais il faut mettre sa confiance en Dieu ; je refuserai, comme vous le dites fort bien, toutes douceurs étrangères, cela est contraire à la pauvreté et à l’esprit de mortification.

Ne soyez pas inquiet au sujet de la santé de votre père, sa santé va bien, son âme est toujours dans le même état. Je dirai, selon votre désir, deux messes par mois pour son âme, et il faut espérer que Dieu l’éclairera et lui fera miséricorde. Courage donc, mon bien cher frère en Notre-Seigneur j’éprouve une secrète joie de penser que la volonté de Dieu doit s’accomplir ; prions et prions toujours, et confiance en lui seul. Sœur Amélie va bien, ainsi que Sœur Marie, Dieu achèvera ce qu’il a commencé en elle. A Dieu, mon frère, tout à vous et à l’œuvre.

A. Chevrier

 

 

Sainteté

À quoi Jésus nous appelle-t-il?

Sainteté - perfection

A quoi nous appelle-t-il ?

A la perfection.

Il y a trois sortes de chrétiens dans le monde, les bons, les mauvais et les parfaits.

Il y a aussi trois sortes de prêtres dans l’Eglise, les bons, les mauvais et les parfaits.

Cf VD p. 342-343

Les bons sont ceux qui accomplissent leur devoir de prêtre, qui suivent les lois de l’Eglise, disent leur messe, leur bréviaire, prêchent quand c’est le moment, évitent le péché mortel, le scandale, font le bien qui se rencontre ; en un mot, on n’a rien à dire contre leur conduite, ils sont même édifiants.

Les mauvais sont ceux qui vivent dans le péché et l’indifférence de leur devoir, négligent les devoirs sacrés de leur ministère et donnent souvent, que trop, malheureusement, le scandale à l’Eglise. Il y a les mauvais scandaleux, qui font la honte de l’Eglise. Il y a aussi les mauvais cachés, qui vivent dans le péché, sans être connus et ne font pas moins de mal aux âmes par leur négligence et leur oubli de la prière et de toute vie spirituelle.

Les parfaits, ou plutôt ceux qui tendent à la perfection, qui cherchent à suivre Notre Seigneur de plus près, qui ont le désir de travailler à la gloire de Jésus-Christ, qui sentent en eux son amour et désirent l’imiter dans sa pauvreté, dans sa douceur, dans sa charité, dans son zèle pour les âmes, dans ses souffrances dans sa croix.

Il y a une grande différence entre les bons prêtres et ceux qui cherchent à être parfaits ; les bons restent dans cet état mais ne cherchent point à suivre Notre Seigneur de près, à l’imiter sérieusement ; ils repoussent même la pauvreté, le dévouement et le sacrifice ; ils ont encore soin de leur personne et ne veulent pas s’opposer trop au monde et aux goûts de leurs confrères, tandis que celui qui cherche la perfection ne voit que Jésus-Christ, il aime Jésus-Christ et fait passer Jésus-Christ avant tout. Il aime et cherche à imiter le plus fidèlement celui qu’il aime.

C’est donc à cette perfection que Jésus-Christ nous appelle et non à un état seulement bon qui est l’état du grand nombre.

La perfection est l’état du petit nombre. Il y en a peu qui le suivent ainsi. Cependant un prêtre saint fait plus de bien que cent prêtres bons seulement.

Un prêtre saint procure plus de gloire à Dieu que cent autres et il convertit plus d’âmes à Dieu que cent autres n’en convertissent à eux seuls1.

C’est donc à la perfection que Jésus-Christ nous appelle, à devenir de véritables disciples.

Les grâces particulières dont nous avons été l’objet nous le prouvent assez clairement. Grâce de choix. Vocation particulière. Soins tout particuliers de la Providence, spirituels et temporels, tout nous engage à suivre Jésus-Christ dans sa vie parfaite.

______________

1. Ms X 739-740.

Il y a, pour le prêtre comme pour le fidèle, deux voies pour aller au ciel, à Dieu, et remplir la mission qui lui a été confiée : la voie des préceptes et celle des conseils.

La première suffit pour aller au ciel. C’est la voie du grand nombre, on n’est tenu qu’à celle-là ; elle suffit pour le salut.

Mais ceux à qui Dieu donne la lumière et la grâce doivent suivre la seconde.

La voie des conseils, c’est celle de l’amour véritable, elle glorifie davantage Dieu sur la terre, elle contribue au salut des âmes, elle attire beaucoup de grâces sur la terre et à l’Eglise et nous assure notre salut.

C’est cette voie qui nous rapproche de Jésus-Christ, de plus près, en nous conformant à lui, à sa vie, cherchant à reproduire sa vie dans la nôtre, et n’avoir d’autre désir que de chercher à l’imiter le plus parfaitement possible.

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Les religieux observent les conseils évangéliques, pourquoi les prêtres séculiers ne les observeraient-ils pas ? Est-ce que la perfection n’est pas pour eux aussi bien que pour les autres ?

Est-ce que, dans le ministère, les prêtres ne doivent pas se rapprocher de Jésus-Christ aussi bien que les autres ? et même ne le doivent-ils pas encore davantage, eux qui sont au milieu du monde et qui doivent porter partout la bonne odeur de Jésus-Christ et être la lumière vivante qui doit briller au milieu des hommes ?

Les religieux sont dans leurs cloîtres, mais le prêtre est fait pour vivre au milieu des hommes et lui, plus que les autres, doit être plus saint et plus parfait que les autres, il est appelé à faire plus de bien en ayant des rapports nécessaires avec les fidèles ; et nous devons surpasser les religieux par cette lumière, auréole de gloire et de sainteté qui doit briller dans les prêtres du ministère.

Toutefois, ceux à qui Dieu accorde la grâce de suivre Jésus-Christ dans ses conseils, ne doivent point mépriser ceux qui n’observent que les préceptes.

Chacun rendra compte à Dieu des grâces qu’il aura reçues. On ne doit se glorifier de rien et se garder de dire aucune parole contraire à la charité du prochain : il faut mettre à profit la grâce de Dieu et ne juger personne.

 

Préceptes et conseils évangéliques

Les préceptes et les conseils évangéliques sont deux concepts clés dans la vie chrétienne, distincts mais complémentaires.

Préceptes

  • Définition : Les préceptes sont des commandements obligatoires pour tous les chrétiens.
  • Objectif : Ils visent à écarter ce qui est incompatible avec la charité, c'est-à-dire l'amour de Dieu et du prochain.
  • Exemples : Les dix commandements, les commandements de l'Église (comme la participation à la messe dominicale).

Conseils évangéliques

  • Définition : Les conseils évangéliques sont des recommandations visant à tendre vers une perfection plus grande dans la vie chrétienne.
  • Objectif : Ils aident à éliminer ce qui, sans être contraire à la charité, peut entraver son développement.
  • Principaux conseils :
    • Pauvreté : Vivre dans la simplicité et le détachement des biens matériels.
    • Chasteté : Vivre dans la pureté et le respect du corps.
    • Obéissance : Suivre la volonté de Dieu avec humilité et docilité.

Différences et complémentarité

  • Obligation : Les préceptes sont obligatoires, tandis que les conseils sont des invitations à une vie plus parfaite.
  • Perfection : Les conseils évangéliques manifestent la plénitude de la charité et indiquent des voies plus directes pour se rapprocher de Dieu.
  • Vocation : Les conseils sont à pratiquer selon la vocation de chacun, notamment par les religieux et les consacrés qui s'engagent par des vœux.

En résumé, les préceptes établissent les fondements de la vie chrétienne, tandis que les conseils évangéliques offrent des moyens supplémentaires pour atteindre une vie plus parfaite en suivant l'exemple de Jésus-Christ.

 

Fratelli tutti

Liberté, égalité et fraternité

103. La fraternité n’est pas que le résultat des conditions de respect des libertés individuelles, ni même d’une certaine équité observée. Bien qu’il s’agisse de présupposés qui la rendent possible, ceux-ci ne suffisent pas pour qu’elle émerge comme un résultat immanquable. La fraternité a quelque chose de positif à offrir à la liberté et à l’égalité. Que se passe-t-il sans une fraternité cultivée consciemment, sans une volonté politique de fraternité, traduite en éducation à la fraternité, au dialogue, à la découverte de la réciprocité et de l’enrichissement mutuel comme valeur ? Ce qui se passe, c’est que la liberté s’affaiblit, devenant ainsi davantage une condition de solitude, de pure indépendance pour appartenir à quelqu’un ou à quelque chose, ou simplement pour posséder et jouir. Cela n’épuise pas du tout la richesse de la liberté qui est avant tout ordonnée à l’amour.

104. On n’obtient pas non plus l’égalité en définissant dans l’abstrait que ‘‘tous les êtres humains sont égaux’’, mais elle est le résultat d’une culture consciente et pédagogique de la fraternité. Ceux qui ne peuvent être que des partenaires créent des cercles fermés. Quel sens peut avoir dans ce schéma une personne qui n’appartient pas au cercle des partenaires et arrive en rêvant d’une vie meilleure pour elle-même et sa famille ?

105. L’individualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus frères. La simple somme des intérêts individuels n’est pas capable de créer un monde meilleur pour toute l’humanité. Elle ne peut même pas nous préserver de tant de maux qui prennent de plus en plus une envergure mondiale. Mais l’individualisme radical est le virus le plus difficile à vaincre. Il nous trompe. Il nous fait croire que tout consiste à donner libre cours aux ambitions personnelles, comme si en accumulant les ambitions et les sécurités individuelles nous pouvions construire le bien commun.

Amour universel qui promeut les personnes

106. Il est quelque chose de fondamental et d’essentiel à reconnaître pour progresser vers l’amitié sociale et la fraternité universelle : réaliser combien vaut un être humain, combien vaut une personne, toujours et en toute circonstance. Si tous les hommes et femmes ont la même valeur, il faut dire clairement et fermement que « le seul fait d’être né en un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des personnes vivent dans une moindre dignité ».[81] Il s’agit d’un principe élémentaire de la vie sociale qui est souvent ignoré de différentes manières par ceux qui estiment qu’il n’apporte rien à leur vision du monde ni ne sert à leurs fins.

107. Tout être humain a le droit de vivre dans la dignité et de se développer pleinement, et ce droit fondamental ne peut être nié par aucun pays. Il possède ce droit même s’il n’est pas très efficace, même s’il est né ou a grandi avec des limites. Car cela ne porte pas atteinte à son immense dignité de personne humaine qui ne repose pas sur les circonstances mais sur la valeur de son être. Lorsque ce principe élémentaire n’est pas préservé, il n’y a d’avenir ni pour la fraternité ni pour la survie de l’humanité.

109. Certains naissent dans des familles aisées, reçoivent une bonne éducation, grandissent en se nourrissant bien ou possèdent naturellement des capacités exceptionnelles. Ceux-là n’auront sûrement pas besoin d’un État actif et ne revendiqueront que la liberté. Mais évidemment, la même règle ne vaut pas pour une personne porteuse de handicap, pour quelqu’un qui est né dans une famille très pauvre, pour celui qui a bénéficié d’une éducation de qualité inférieure et de ressources limitées en vue de soigner convenablement ses maladies. Si la société est régie principalement par les critères de liberté du marché et d’efficacité, il n’y a pas de place pour eux et la fraternité est une expression romantique de plus.

110. C’est un fait qu’« une liberté économique seulement déclamée, tandis que les conditions réelles empêchent beaucoup de pouvoir y accéder concrètement […] devient un discours contradictoire ». Des termes comme liberté, démocratie ou fraternité se vident de leurs sens. Car la réalité, c’est que « tant que notre système économique et social produira encore une seule victime et tant qu’il y aura une seule personne mise à l’écart, la fête de la fraternité universelle ne pourra pas avoir lieu ». Une société humaine et fraternelle est capable de veiller de manière efficace et stable à ce que chacun soit accompagné au cours de sa vie, non seulement pour subvenir à ses besoins fondamentaux, mais aussi pour pouvoir donner le meilleur de lui-même, même si son rendement n’est pas le meilleur, même s’il est lent, même si son efficacité n’est pas exceptionnelle.

LES RELIGIONS AU SERVICE DE LA FRATERNITÉ DANS LE MONDE

271. Les différentes religions, par leur valorisation de chaque personne humaine comme créature appelée à être fils et fille de Dieu, offrent une contribution précieuse à la construction de la fraternité et pour la défense de la justice dans la société. Le dialogue entre personnes de religions différentes ne se réalise pas par simple diplomatie, amabilité ou tolérance. Comme l’ont enseigné les évêques de l’Inde, « l’objectif du dialogue est d’établir l’amitié, la paix, l’harmonie et de partager des valeurs ainsi que des expériences morales et spirituelles dans un esprit de vérité et d’amour ».[259]

Le fondement ultime

272. Nous, croyants, nous pensons que, sans une ouverture au Père de tous, il n’y aura pas de raisons solides et stables à l’appel à la fraternité. Nous sommes convaincus que « c’est seulement avec cette conscience d’être des enfants qui ne sont pas orphelins que nous pouvons vivre en paix avec les autres ».En effet, « la raison, à elle seule, est capable de comprendre l’égalité entre les hommes et d’établir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à créer la fraternité ».

L’identité chrétienne

277. L’Église valorise l’action de Dieu dans les autres religions et « ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui […] reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ».[271] Mais nous, chrétiens, nous ne pouvons pas cacher que « si la musique de l’Évangile cesse de vibrer dans nos entrailles, nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonnés et envoyés. Si la musique de l’Évangile cesse de retentir dans nos maisons, sur nos places, sur nos lieux de travail, dans la politique et dans l’économie, nous aurons éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de tout homme et de toute femme ».[272] D’autres s’abreuvent à d’autres sources. Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité se trouve dans l’Évangile de Jésus-Christ. C’est de là que surgit « pour la pensée chrétienne et pour l’action de l’Église le primat donné à la relation, à la rencontre avec le mystère sacré de l’autre, à la communion universelle avec l’humanité tout entière comme vocation de tous ».[273]

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