En marche vers la récession ! une chance pour être plus humain

Publié le par Michel Durand

Je crois vous avoir déjà parlé de Jacques Ellul. Je pense que je vais plusieurs semaines de suite me référer à ses textes tellement ceux-ci me semblent adéquats pour éclairer notre situation d’hommes et de femmes cherchant toujours plus de confort alors que la terre nourricière, comme tout être vivant, est limitée. Jadis, on parlait des fermetures des mines de charbon. Aujourd’hui il est question de la baisse de la production du pétrole. On résume généralement ce fait avec l’expression : Pic de Pétrole. Qu’allons-nous devenir si nos modes de consommation doivent rencontrer une forte récession ? Pauvreté volontaire ou pauvreté subie ?

Quel est notre regard sur l’argent ?


Dans l’homme est l’argent, Jacques Ellul donne son avis sur cette question.

« Nous devons pleinement accorder raison à Karl Marx pour son analyse de l’aliénation de l’homme par l’argent, par suite du système capitaliste. La disparition de l’être au profit de l’avoir est une des conséquences de ce régime que nous voyons se développer au cours du XIXe siècle. Cet effet rend l’adhésion au capitalisme pratiquement impossible pour un chrétien. Car nous ne sommes pas en présence d'un accident secondaire, d'un fait qui aurait pu ne pas se produire, que l'on pourrait donc éliminer par une meilleure organisation du capitalisme : au contraire, c'en est la conséquence inéluctable, car il ne peut en être autrement quand on assigne comme fin à la vie de l'homme de gagner de l'argent. L'idéologie du travail (vertu parce que produisant de l'argent) conduit évidemment à cet ordre de subordination. Il faudrait, pour qu'il en soit autrement, refouler le primat de l'argent, donner à l'activité économique une place accessoire, freiner le progrès technique, placer au premier plan la vie personnelle et spirituelle. C'est-à-dire très exactement, détruire le capitalisme. Mais à ce moment ne se pose plus le problème global, collectif, social de l'argent. Il n'est donc plus nécessaire de prendre parti sur une doctrine de l'argent, ni d'adhérer à un système.
Est-ce qu'alors le socialisme se présente à nous sous un meilleur aspect ? Le socialisme attaque très valablement le capitalisme en ce qui concerne la subordination de l'homme à l'argent, et les structures injustes de l'économie. Il pose comme mot d'ordre « À chacun selon son travail », et ceci conduit dans le communisme au slogan «A chacun selon ses besoins ».
Tout cela est bel et bon. Mais comment le socialisme prétend-il réaliser ses objectifs ? D'abord en limitant rigoureusement la vie de l’homme à son travail, à son activité économique. Tout le reste est un superflu, une superstructure, que l'on réalise pour le plaisir et le bonheur de l'homme, mais les choses sérieuses, ce sont les questions de travail et de production. Il convient même que l'homme travaille plus encore qu'il ne l'a jamais fait, puisqu'à sa production intense est liée la possibilité du socialisme.
Bien entendu, nous admettrons que les structures socialistes soient honnêtes et que le produit du travail soit intégralement distribué, qu'il n'y ait pas de retenues indues. Mais, même alors, nous assistons à une organisation de la vie et de la société autour du primat économique. L'homme est encore subordonné à son activité, qui, elle-même, est dictée par les nécessités globales de la société. L'on peut dire, sans paradoxe, que le socialisme reprend ce qu'il y a de pire dans le capitalisme et le porte à l'extrême en le justifiant en théorie. L'homme, dans le socialisme, est sans doute libéré de la subordination envers d'autres hommes, les capitalistes, mais il reste entièrement soumis à la production : et la vie économique forme l'essentiel de sa vie. Or, c'est là précisément que réside la vraie aliénation de l'homme. Ce n'est plus une suppression de l'être dans l'avoir personnel, c'est une suppression de l'être dans le faire, et dans l'avoir collectif.
Les différences entre les systèmes paraissent alors minimes auprès d'une telle similitude. Le primat de l'activité économique sur toutes les activités est affirmé avec force par le socialisme. C'est d'ailleurs une de ces erreurs tellement enracinées par une habitude semi-séculaire, et possédant une telle force d'évidence, qu'elles passent pour vérité aux yeux du plus grand nombre.
Or, cette affirmation transforme fondamentalement le socialisme en un produit pur du vice que le capitalisme présentait à l'état bâtard.
Sans doute, dira-t-on, mais il n'est pas question d'argent dans tout cela, et quand même, le rôle de l'argent est très différent dans le capitalisme et le socialisme. Ici l'argent, par lui-même, ne peut plus être un moyen de possession et d'oppression sur l'homme. Ceci est bien exact. L'argent n'est plus, dans le socialisme, le moteur de toute l'activité économique. Ce moteur, c'est l'État.
Mais en regardant la situation d'assez près, on s'aperçoit que le rôle de l'argent n'est pas tellement différent. Il a pratiquement la fonction de mesure de valeur, de circulation de la valeur, de capitalisation, Celle-ci ne s'effectue pas aux mains d'un particulier, mais, à cela près, elle existe cependant. L'argent n'est plus un instrument de puissance d'un homme. Tel est le progrès. Il est assez grand, à condition que la réalité socialiste corresponde à la théorie. Mais de toute façon, les rapports courants de l'homme et de l'argent restent identiques de même que la fonction générale de l'argent dans l'économie. Car il importe peu que les formes de l'argent se modifient : que celui-ci soit un billet représentant de l'or aux mains de l'État (et maintenant ce n'est plus ainsi même dans les pays capitalistes), ou le capital national, ou le travail national, comme en Allemagne hitlérienne - que ce soit un billet représentant certaine quantité de travail, donnant droit à telle quantité de marchandise, ou à l'extrême limite du socialisme, un ticket représentant une marchandise déterminée que l'on a le droit d'aller chercher gratuitement, cela revient exactement au même, en ce qui concerne les problèmes humains, Ce ne sont que des variations de formes correspondant à un type d'organisation ou à un autre, mais, dans le fond, les faits restent identiques, et la réalité de l'argent se révèle semblable. L'on sait bien, par exemple, que pendant la période de rationnement, les tickets donnaient lieu exactement mêmes relations, aux mêmes passions, aux mêmes échanges, mêmes puissances, que l'argent - et les tickets, d'ailleurs, avaient pris valeur d’argent. La réalité de l’argent, symbole de la puissance économique, n’est pas près de disparaître – et l’on peut dire que tout ceci renforce la vie économique.
En définitive le socialisme ne résout pas plus le problème de l’argent que le capitalisme. »

Publié dans Anthropologie

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