Violences

Publié le par Michel Durand

La violence existe.

Elle porte des noms différents selon le lieu d'observation. Un Etat qui veut maintenir son pouvoir, même sans être une dictature, utilise la répression. Son action violente, avec la médiation de la police, de l'armée, etc... est qualifiée de « Force ». Il s'agit de maintenir l'ordre du système établi. Les politiques de droite, comme celles de gauche, ont leurs « forces de l'ordre » Violence légale.
Un peuple opprimé, n'ayant plus l'énergie de subir les injustices, s'organisera en violence révolutionnaire. On pense généralement que, dans cette situation d'injustice, seule la force révolutionnaire apportera les modes de vie attendus. Violence illégale.
L'histoire est oubliée, perdue dans les espoirs d'une vie meilleure. En fait, la libération momentanément obtenue se transforme vite en de nouvelles oppressions. Il est une loi incontournable : la violence engendre la violence.

A côté de ces violences actives, il y en a d'autres que l'on peut qualifier de passives.

Je ne souhaite pas, ici, traiter de toutes les formes possibles et imaginables de violence, mais seulement donner à penser sur la réalité de la violence et sur les éventuelles réponses à la
violence.
J'appelle violence passive tout système imposant des contraintes telles que la liberté n'existe pas.
Ainsi l'esclavage des cités grecques. Il était une nécessité pour la vie démocratique.
Toute proportion gardée, n'y a-t-il pas une violence de cette espèce dans l'organisation du travail où les actionnaires ont plus de poids que les concepteurs et les producteurs ? L'économie néolibérale est régie par des lois qui placent les personnes dans des conditions de contraintes qui ne sont rien d'autre que violentes.
Jacques Ellul, qui m'inspire en partie cette réflexion, écrit : « Le système concurrentiel qui suppose la célèbre libre entreprise, où soi-disant « le meilleur gagne », n'est-il pas en définitive une « lutte au couteau » économique, expression d'une pure violence que les lois n'arrivent pas à tempérer, et où les plus faibles, les plus moraux, les plus délicats sont nécessairement perdants ? La critique du système de libre concurrence comme mode de violences est essentielle ».

La publicité

Parmi les formes concrètes de cette violence économique, je place la publicité. A la maison, dans les rues, à la télévision, ou dehors sur les murs, sur d'immenses panneaux notamment aux portes des villes, la publicité impose sa présence. Violence passive que l'on peut certes éviter en détournant la tête, violence insidieuse qui nous traque en toutes occasions...Violence qui nous fait perdre la tête en y distillant des besoins complètement illusoires. Violence d'autant plus violente qu'elle passe pour juste. C'est bien la consommation qui répond à la production : base primaire de la vie économique, du travail, base juste, violence légitime. « Les méthodes de manipulation psychologique... le terrorisme doctrinal, l'impérialisme économique, la lutte acharnée de la libre concurrence, sont autant visés que la torture, la guérilla, les polices. Le capitaliste qui opprime et exploite depuis son bureau un ensemble d'ouvriers ou des populations coloniales est un violent du même ordre que le guérillero ». Cet homme, précise Jacques Ellul, ne peut se dire chrétien tout en entretenant de telles relations avec autrui qui sont marquées de l'ordre de la nécessité. Son obéissance à l'économisme le sépare irrémédiablement de Dieu qui nous souhaite tous libres.

Les révoltés

Face à la violence publicitaire, je conçois très bien que des révoltés puissent agir avec violence. L'oppression d'un système est telle qu'il semble ne pas y avoir d'issue possible par le dialogue. Les commandos contre la publicité (Casseurs de  Pub, Déboulonneurs...- voir leur site) expriment violemment leur opposition, comme si c'était l'ultime recours en leur possession. Notons que leurs actes violents ne visent jamais les personnes. Ils s'en prennent seulement au matériel publicitaire, symbole d'un système économique. Ils pensent, par ces actions, alerter l'opinion pour que, enfin, la société change de route. Illégales, destructrices, leurs actions sont plus de l'ordre du cri qui se voudrait prophétique que d'une opération répétitive qui se pense immédiatement efficace.  
Personnellement, je ne me vois pas prendre la route de cette forme de violence pour libérer la Société de la violence publicitaire. Mais, que mon hésitation ne m'empêche pas de considérer avec sérieux la gravité politique de leur acte. Bien voir en face la réalité de la violence posée est une nécessité qu'aucune morale ne devrait occulter. En termes plus généraux, je me permets de penser que la violence n'est ni juste, ni bonne, ni légitime. Elle est compréhensible et invite à un effort de dialogue pour en saisir les raisons profondes afin de remédier aux causes qui l'ont provoquée. Elle est non condamnable, car elle émane d'un homme réduit au désespoir qui ne voit pas d'autre issue pour arrêter une situation hypocritement juste.
Bien évidemment, tout mon raisonnement s'avère complètement erroné si les casseurs de pub en question cassent pour le seul plaisir de casser. Je ne me place pas, dans ce texte, devant le problème de ceux qui détruisent sans savoir pourquoi, sinon pour exprimer leur dégoût d'une société de surabondance à laquelle ils n'ont pas accès Disons toutefois que cette violence, également, mérite que l'on prenne les moyens d'en atteindre les racines. Comprendre.

L'engagement selon l'Evangile ?

Les anti-publicitaires dont je parle sont motivés par une  perspective politique. Ils agissent au nom d'une idéologie raisonnée. Celle-ci peut être imprégnée de christianisme, de fidélité à l'Evangile. Que peut-on alors en dire ?
Premièrement, comme je le sous-entendais précédemment, il est bon de rappeler que la violence appartient à l'ordre de la Nature. Il existe un réalisme chrétien qui refuse de voir le monde autrement qu'il n'est. Depuis Adam, Caïn, Abel... la violence est là ; elle agit comme une nécessité et ce serait un manque d'intelligence que de se scandaliser devant cette réalité. Mais dire que ce qui est nécessaire est, par le fait même, bon, bien, légitime, est également une erreur. Un regard chrétien porté sur la réalité de la violence invite à ne pas multiplier les prises de position qui, infiniment, engendreraient la violence. Il suggère, au contraire, que l'on trouve les moyens de sortir de la nécessité de la violence. La liberté chrétienne fondée sur la victoire du Ressuscité exige que l'on échappe au domaine de la nécessité. Selon Jacques Ellul, « Plus la violence apparaît du domaine de la nécessité, plus la reconnaissance de la Seigneurie de Jésus-Christ doit nous conduire à briser cette violence, en en récusant la nécessité ».
Soyons plus concret. Comment, au moins à titre personnel, se distancer du domaine de la nécessité ? Comment agir dans notre quotidien pour rompre avec la prétendue nécessité économique ? Je reste, bien entendu, dans le contexte de la confrontation avec les « anti-pub ».
Tout l'enseignement de l'Ancien Testament nous montre le chemin à parcourir pour échapper à la nécessaire contrainte du monde afin de rejoindre les lieux de la liberté : il s'agit du jeûne, du repos et du don.
Le jeûne ?
C'est rompre avec la nécessité biologique de nourrir son corps. On s'aperçoit, en le pratiquant, qu'on y gagne en liberté de tous ordres.
Le repos ?
C'est le temps que l'on se donne une fois le travail accompli, afin de contempler l'œuvre dans son ensemble. Le repos est indispensable à la hiérarchisation des diverses tâches : « A quoi sert de gagner le monde entier si tu en viens à perdre ton âme ? ».
Le don ?
C'est le partage, l'efficace reconnaissance que l'autre est mon frère. Il est le début de la possible solidarité.
Par ces trois actes - donner, se reposer, jeûner - je m'échappe de mes nécessités quotidiennes et je gagne en liberté. Ils sont des options fondamentales qui orientent mes choix idéologiques et me guident dans les actions à mener. Le souci du pauvre, de l'opprimé, demeure sans cesse dans mon champ de vision.
Le développement de ces 3 points est absolument possible avec les Evangiles. Et cela mériterait de le faire présentement. Mais je dois bien m'arrêter sous peine, négligeant la fatigue, d'oublier le repos.
Le terrain sur lequel je me place est assurément imprégné de radicalisme évangélique.
On pourrait de nouveau parler dans la ligne des prophètes, du Christ, de disciple... de pauvreté volontaire.

Publié dans Politique

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