En danger de dirigisme totalitaire
Jésus, philosophe, en dialogue avec la Samaritaine.
Suite à divers dialogues, soit sur le blogue, soit en tête à tête, je suis conduit à réfléchir sur la difficulté, aujourd'hui, d'être porteur d'une conception précise de la vie. Je remercie ceux et celles qui ont nourri ma réflexion et demande leur indulgence si je n'énonce pas clairement ce que je ressens ; preuve que la question n'est pas encore mûre dans mon esprit.
Comment proposer « sa philosophie » sans l'imposer, sans recevoir l'accusation de vouloir diriger autrui, lui enlevant sa sacro-sainte liberté ?
Pourquoi le tenant d'un nouvel art de vivre serait-il obligatoirement un idéologue totalitaire, un utopiste délirant ? Et, par ailleurs, que dire au militant d'une telle cause particulière au moment où l'on aperçoit un danger de dirigisme ?
L'Homme
L'homme n'est jamais seul. Il se construit dans l'acceptation de la présence de l'autre, soit le voisin de palier, que l'on n'a pas choisi, ou le groupe d'amis, ou la personne privilégiée qui partage son intimité. Croyants en Dieu, nous parlons aussi du Tout Autre. Le Créateur qui comble l'altérité.
Parler de transcendance, c'est évoquer le nécessaire passage que l'on doit accomplir pour quitter son « moi » afin d'être en présence d'un autre, différent. En face de Dieu, il y a une transcendance absolue. Le « Transcendant ».
Il me semble que le personnalisme de Mounier évoque tout cela quand il dit que l'homme ne peut se développer que quand il se comprend comme personne. C'est dans la perception de ses liens avec autrui que l'individu s'épanouit. Reconnaître sa spécificité, familiale, sociale, professionnelle est le point de départ d'une bonne connaissance de soi. Depuis sa naissance dans un milieu déterminé, l'être personnel est marqué de divers caractères qui constituent la personnalité. Tel est l'être individuel que personne ne peut modifier. Un noir ne deviendra jamais blanc, quels que soient les procédés artificiels pour éclaircir la peau.
L'homme est biologiquement, socialement, puis professionnellement marqué. Comment ne pas en tenir compte ?
Par le milieu d'origine, certains jouissent d'un pouvoir inné sur autrui. Chercher à discerner ce pouvoir s'avère indispensable pour obtenir la vision la plus juste possible de l'humanité en train de se construire. C'est là qu'il est bon de déterminer qui a un comportement type « patron », qui a un comportement type « ouvrier », pour ne prendre que ces deux symboles. Que l'être chrétien ou le devenir chrétien ne fasse pas nombre avec ces caractéristiques spécifiques est une évidence. Encore faut-il, pour qu'il puisse y avoir une authentique réponse à l'appel du Christ à vivre une nouvelle humanité conforme à sa Bonne Nouvelle, avoir conscience de ce qui détermine originellement cette humanité. Au 1er siècle de notre ère, il y avait, entre autres, les hommes libres et les autres, les esclaves ; les hommes et les femmes avec les enfants. Paul, recevant la grâce de la liberté dans l'Esprit enseigne qu'il n'y a plus ni hommes libres, ni esclaves, ni hommes, ni femmes, ni juifs, ni païens... mais que des hommes et des femmes libres.
L'Esprit rend libre. Hélas, aujourd'hui encore, sous diverses formes, l'esclavage subsiste. Denis Vasse dans « homme et l'argent » souligne que le drame de notre actualité réside dans le fait que l'homme choisit dans se soumettre à l'Argent. Il se met à son service comme on sert les dieux n'osant pas porter atteinte à leurs réalités. Ils se sont asservis à l'Argent alors que l'argent ne devrait être qu'un moyen au service de l'homme.
« Patron » ou « ouvrier », le rapport à l'argent n'est pas le même. Le pouvoir individuel non plus.
Pour établir un chemin d'humanité qui soit universel, il importe de bien poser les bases des diverses conceptions de l'homme.
Supposons que j'arrive à avoir une idée suffisamment claire d'un art de vivre pour aujourd'hui. Une façon de mettre en œuvre de « nouveaux modes de vie ». Une conception de l'homme en accord avec tout ce qui fut dit sur les Droits universels de l'Homme tout en étant en harmonie avec une vision d'humanité modelée par le Christ, homme et Dieu. En deux mots, une sérieuse « anthropologie chrétienne ». Parlons également d'utopie, image projetée en avant, d'une humanité à atteindre. But vers lequel on tend parce que l'on sait cette utopie concrète, réalisable bien que non encore totalement concrétisée.
Je repense ici à la devise de Confluences : « Ce que l'homme découvre de lui-même et par lui-même, quand il est ému par la beauté, ne peut pas s'opposer à ce que Dieu dit de l'homme dans la Révélation ». Sinon, l'Incarnation serait supercherie.
Il est tout à fait normal que je souhaite répandre autour de moi cette vision d'humanité. Et, pour cela il importe que je me donne l'organisation la plus efficace possible : mouvements, associations, organismes politiques... autant de lieux où la vision de l'homme que je crois bonne pour aujourd'hui va pouvoir efficacement se développer.
Pourquoi cette vision utopique serait-elle obligatoirement totalitaire ?
Certes, les exemples du XXe siècle ne sont pas brillants en la matière. Ce passé récent, encore actuel dans certains lieux, doit-il condamner toute recherche future d'un chemin meilleur pour l'homme, chemin où l'homme ne serait plus asservi au dieu Argent.
Mettre l'homme au centre d'une vision politique ne peut être réduit aux méfaits du communisme. Je me rappelle que Jean-Paul II a dit qu'il ne fallait surtout pas oublier les causes qui, au XIXe siècle, ont engendré le communisme. Il n'y a pas de discernement possible en gommant la différence structurelle « patron » - « ouvrier » que cela soit à propos de personnes physiques ou de groupes de personnes ou d'organismes abstraits.
Une hiérarchie est nécessaire. L'homme est premier. Il n'est pas le même dans « le patron » ou « l'ouvrier » ; mais il convient de retrouver l'Homme dans ces deux nuances.
Les « moyens » qui donnent du pouvoir sont seconds. Ils sont, certes, importants, mais seconds, c'est-à-dire au service de l'Homme qui est premier. Ainsi l'argent qui n'est (ne devrait être) qu'un moyen au service de l'homme.
Quand l'homme se met au service de l'Argent, il s'asservit à Mammon.
« Aucun homme ne peut servir deux maîtres : car toujours il haïra l'un et aimera l'autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon » (Matthieu 6: 24).
Une action au nom du Christ, mais aussi et d'abord au nom de l'homme, s'avère indispensable pour dégager l'homme des emprises idolâtres.
Je ne vois pas en quoi, agir ainsi serait « faire de notre chemin particulier d'humanité, de vie chrétienne, de nos représentations de Dieu, de Jésus des idoles totalitaires ».
Je ne vois pas en quoi les militants qui proposent, dans leur radicalité, une alternative à un monde qui engendre des servilités doivent être, sans préavis rangés aux rayons des soixante-huitards. A moins que ces derniers aient oubliés l'origine de l'homme qui n'est que dialogue, en quête de vérité dans un dialogue permanent sans jamais s'imposer, invitant, dans la liberté, à une libre adhésion à une meilleur vision de la société. Il me faudra revenir sur ce point où il sera question d'altérité et de transcendance. L'homme est un être de désir et non de besoins.