Prière ou action : Prière et action
Par crainte de mal utiliser le langage, pensant ne pas savoir exprimer clairement ma pensée, je voudrais reprendre ce souci pastoral du lien entre ciel et terre en l'abordant par un autre biais : celui de l'éternel conflit prière-action.
Depuis quelques mois, j'ai l'occasion de parler avec des chrétiens, croyants et pratiquants, sur le malaise qu'ils ressentent tant dans les groupes de prières que dans les groupes d'actions. Dans les premiers, au Renouveau, par exemple, « on ne s'arrête pas de prier » si bien que « nous avons l'impression de tourner en rond ». Dans les seconds, parlons des groupes d'A.C.I, « nous ne sortons pas de l'analyse, de l'enquête, du regard sur le monde ». « L'Évangile, lorsqu'il vient, et quand il vient, est comme plaqué ».
« La prière est quasiment absente de nos réunions ». Et de conclure : « Nous aimerions trouver des groupes de chrétiens, des communautés où se vivent, le plus harmonieusement possible, et la prière et la réflexion pour l'action ». Assis entre deux chaises, ces gens - et moi-même qui accepte totalement cette forme de questions - voudraient que prenne corps une réalité ecclésiale qui ne privilégierait pas un élément aux dépens de l'autre.
Thèse, antithèse, synthèse ! Voilà une dialectique bien classique.
Peu importe la comparaison possible, vraie ou fausse, avec la pensée hégélienne. Cette demande où toute la vie chrétienne veut être prise en considération existe ; il faut se sentir interpellé par elle.
Dans mes notes personnelles, j'ai relevé la nécessité de marcher, comme disent certains, sur des « voies nouvelles ». Une synthèse entre les « hyper priants » des groupes de prières et les « hyper militants » des mouvements d'action catholique spécialisée, enfouis, peut-être seulement en apparence, dans le monde, serait la bienvenue.
Des chrétiens, à force de dire « Seigneur, Seigneur ! »... oublient le frère qui est à leur côté. Ils ne vivent que la dimension verticale du message de Jésus. D'autres, réellement soucieux de tenir compte de la présence du prochain et de ses besoins, ne vivent que la dimension horizontale de ce même message. Le temps n'est-il pas venu de réunir les dimensions verticales et horizontales et de vivre le « nœud », la rencontre de la pensée pour Dieu et pour le prochain ? Cela se fait déjà ; c'est ainsi que tous vivent, me dites-vous.
Mais alors, pourquoi est-ce si peu visible ? Que la rencontre de la pensée pour Dieu et pour le prochain se vive visiblement
Je suis de plus en plus persuadé qu'il faut continuer à chercher les chances, que constituent pour l'avenir de l'Église, les groupes de communautaires qui souhaitent réaliser, dans leur vie de tous les jours, l'ensemble de la vie chrétienne : de la prière à l'action et, inversement, de l'action à la prière, par et dans la réflexion. Ils méritent plus d'attention que ne leur accordent actuellement les chrétiens pratiquants et que, prêtres, nous leur accordons.
Pour pousser plus loin encore l'analyse, je me permets une question à l'adresse de cette expression très connue : « Dieu nous interpelle dans nos vies ; à travers les événements, généralement douloureux. Il nous rend visite dans notre quotidien, à nous de reconnaître son passage. »
Lorsque la foi s'articule fortement sur la présence de Dieu dans le cœur du monde, n'y a-t-il pas le risque de l'oublier dans son existence indépendante du monde ? N'est-ce pas de là que vient la déconsidération de la prière gratuite en bien des groupes ? Suffit-il d'accomplir son travail dans l'amour et d'être un parfait militant selon la loi des hommes et selon l'Évangile pour rendre gloire à Dieu ? Personnellement, je ne le pense pas ; mais c'est à discuter. Je ne pense pas que toute joie, toute souffrance, toute épreuve, tout geste d'amour... soient obligatoirement le transcendant. « Ubi caritas et amor ibi Deus est ». D'accord. Mais, n'avons-nous pas tendance à voir l'amour, l'Esprit surtout là où cela est conforme à notre propre esprit ? Quand Roger Garaudy parle de la transcendance de Dieu, je trouve que sa façon de s'exprimer permet peu de penser au Transcendant. Ne qualifie-t-il pas de Tout-Autre, le geste humain de libération, « l'inépuisable » créativité humaine, la force humaine qui permet d'engager tout combat ? Combien avec lui réduisent le Dieu inconnu en une puissance immanente, toute humaine ? J'ai conscience que je peux totalement me tromper dans cette interprétation de Roger Garaudy, car je ne connais pas l'ensemble de son œuvre. Cependant, je me permets de m'interroger sur quelques phrases que certains chrétiens, trouveraient vraisemblablement acceptables : « La prière n'est ni un retrait du monde ni une dépendance à l'égard d'un Dieu législateur et juge conçu à l'image désuète d'un roi. La prière n'exige pas un moment ou un lieu séparé du quotidien comme si le sacré était un secteur particulier de la vie. Prier, c'est étreindre le monde dans sa totalité, en restant bien enraciné dans notre monde et dans notre temps, être à l'écoute, en déchiffrer le sens profond, les signes et les appels, et préparer notre réponse en se rassemblant pour être maître de soi et, à partir de là, réorienter notre vie et agir en conséquence. Prier, c'est écouter la musique profonde de l'être en nous toujours jaillissant, et danser sa vie au son de cette musique ».