L'accueil des migrants, un sujet sensible au sein de l'Eglise

Publié le par Michel Durand

Du Quotidien : La Croix : 15/01/2009, 20:01

Dans des diocèses comme Nîmes et Saint-Denis, les chrétiens oscillent entre solidarité et rejet de ces « étrangers profiteurs »

C'est une petite maison de ville, quatre pièces et un jardin, dans le quartier Croix-de-Fer, dans le nord de Nîmes : d'ici à la mi-février, elle devrait pouvoir accueillir des femmes et des enfants sans papiers relâchés par le centre de rétention administrative. L'idée est née au lendemain d'un événement qui a bouleversé une partie de la communauté chrétienne aux premiers jours de l'été : après l'incendie du centre de rétention de Vincennes, une centaine d'étrangers ont été transférés dans la préfecture gardoise, loin de leurs familles, de leurs avocats et de leurs repères. Or, pour vice de procédures ou rejet de la demande d'expulsion, quatre-vingt-treize d'entre eux ont été libérés la nuit, sans argent, dans cette ville inconnue.


Dans l'urgence, le pasteur de paroisse de la Fraternité ouvre à l'époque son temple pour les accueillir. Mais la Cimade, l'association œcuménique qui intervient au centre, s'inquiète du sort des femmes et des enfants pour lesquels le lieu apparaît inapproprié, et sollicite le diocèse. Elle espère une chambre, elle obtiendra bien plus : une maison et un soutien de l'évêque, qui appelle à ne pas « ignorer nos frères » et à s'engager dans ce service d'accueil qui relève de « la responsabilité de l'Église ».


Dans un communiqué, Mgr Robert Wattebled rappelle les paroles de Benoît XVI : « L'amour envers toutes les personnes qui, de quelque manière, sont dans le besoin, appartient à l'essence de l'Église au même titre que le service des sacrements et l'annonce de l'Évangile. »


"Le récit de ces exilés a changé leur regard"

L'acte - « qui ne se veut pas politique » - est fort et suscite quelques réactions d'hostilité. « Vous savez, ce sujet est aussi délicat pour les protestants, explique la présidente de la Cimade Hélène Reille. J'en ai invité certains à partager un repas avec ces sans-papiers : le récit de ces exilés a changé leur regard. » Ghislaine Bourgin, laïque responsable de la future maison, a elle aussi essuyé des remarques sur « les étrangers profiteurs », « qui entrent illégalement et qui n'ont que ce qu'ils méritent » et « viennent prendre le travail des Français »... Mais depuis plusieurs mois, elle participe sur le terrain à des réunions et interventions pour « dédiaboliser » les sans-papiers à la fin des messes, auprès des prêtres ou à l'aumônerie des jeunes.


Chaque dernier mardi du mois, dans le centre de Nîmes, des « cercles de silence », comme ceux créés à Toulouse par les franciscains, sont par ailleurs organisés pour protester contre la situation faite en France aux étrangers en situation irrégulière. « Les médias ont aussi beaucoup parlé de la situation difficile dans ces centres de rétention », signale le P. Gérard Chassang, responsable de la zone de Nîmes qui a relayé l'appel de l'évêque. « Tout ce travail commence à payer. Quand on insiste sur l'aspect humain, les paroissiens comprennent. »


Plus au nord, en Seine-Saint-Denis, l'Église ne veut pas davantage passer à côté de la question des migrations : sur les 1 500 000 habitants que compte le département, 850 000 sont d'origine étrangère. Certains, portugais, antillais, africains, sri-lankais ou indiens, sont catholiques. « Dans quelques paroisses, il arrive que cette proportion soit encore plus forte », relève Albert Ewald, prêtre accompagnateur de la Pastorale des migrants.


"Nous voulons leur signifier que leur Église est ici"

Face à cette réalité, le diocèse s'efforce de favoriser l'accueil : « Nous voulons leur signifier que leur Église est ici, que c'est la leur autant que la nôtre. » Les étrangers sont pleinement associés à la dynamique pastorale : équipe paroissiale, catéchèse ou accompagnement des jeunes, aumôneries et mouvements... Néanmoins, précise le P. Ewald, cet accueil doit être « mutuel » : « À eux aussi d'accepter que les Français n'aient pas forcément la même manière d'exprimer leur foi, ou de mener une réunion. »


« Être attentifs aux nouveaux visages, accueillir l'autre au sein de la communauté pour qu'il se sente à sa place » : tel est l'enjeu pour Gérard Marion, délégué à la Pastorale des migrants dans le diocèse de Besançon, pour qui « la solidarité se vit au quotidien ». Concrètement, les diocèses déploient tout un éventail de propositions pour répondre aux besoins des migrants, mais les attentes des étrangers dépassent le seul cadre pastoral. Démarches administratives, recherche de logement : pas toujours évident pour les services diocésains de répondre à de telles demandes. « Ce n'est pas de notre ressort », admet le P. Ewald, qui oriente alors les migrants vers le Secours catholique, plus compétent pour traiter l'urgence de certaines situations.


Cela n'empêche pas les diocèses d'interpeller les élus locaux, comme ce fut le cas en 2007 à Besançon en réaction au durcissement des lois sur l'immigration. Une réflexion y est en cours pour le lancement éventuel d'un « cercle du silence » : « C'est loin d'être fait, mais ce serait une action réelle et visible, à mener collectivement », note Gérard Marion.


"La protection des migrants ne doit pas être un prétexte à l'illégalité "

De fait, la question des migrants agace certains dans l'Église, comme cette cadre de la fonction publique, catholique pratiquante, qui préfère taire son nom : « L'accueil des étrangers au sein de l'Église va de soi, c'est un devoir pour tout chrétien. En revanche, je suis plus sceptique quant aux méthodes parfois employées, comme ce fut le cas en 2002 avec l'occupation de la basilique Saint-Denis. » Pour cette Francilienne, « il est anormal que des sans-papiers aient pu squatter un édifice religieux avec la bénédiction des autorités diocésaines ». Certes, concède-t elle, « nous devons nous soucier des plus faibles, mais la protection des migrants ne doit pas être un prétexte à l'illégalité ».


D'une manière plus générale, même loin de ces cas extrêmes, « certains croyants ne veulent pas être dérangés dans leur foi, reconnaît le P. Ewald. Entrer dans une démarche commune leur est difficile. »


Gwenaëlle MOULINS (à Montpellier) et François-Xavier MAIGRE


Publié dans Eglise

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article