La vie de l’Evangile dans l’Espace et le temps des hommes
Le don de piété par Robert Beauvery
Dans les deux études précédentes portant : l’une sur l’oraison et l’autre sur l’office divin, en relation avec les 7 dons du Saint Esprit, le don de Piété a été réduit à la seule prière, personnelle ou canonique, en raison de la problématique retenue.
En fait, la prière, au sens strict, n’est qu’une partie, essentielle certes, mais, à elle seule, n’épuise ni la compréhension, ni l’extension de la piété telles que les décrit la Bible, à savoir : une posture personnelle habituelle d’ajustement à la volonté de Dieu dans la rencontre, la présence aux autres pour vivre harmonieusement avec tous. C’est précisément sur l’extension de la piété que porte cette troisième étude.
Or, aujourd’hui, dans le langage courant, le substantif « piété » et l’adjectif « pieux » ont perdu leur extension dans l’espace public pour ne plus désigner que les seules activités qui relèvent de la prière, au sens strict du terme, comme les diverses dévotions, les exercices, personnels ou confessionnels, laissés à la seule initiative d’un chacun. La piété a été privatisée dans le langage actuel, de plus en plus sécularisé.
Cependant, si le terme a été « privatisé », amputé de son extension à l’espace public, le réalité n’a pas totalement disparu de la vie sociétale, elle peut même s’exprimer sous d’autres mots ou verbes : la convivialité, la solidarité, voisiner, vivre ensemble… Cela peut signifier qu’au-delà des évolutions culturelles il existe dans le fond de la nature humaine une dimension sociale irréductible.
LA PIETE DANS L’ANTIQUITE
Dans l’Antiquité soit grecque, soit latine, il existait un terme spécial : eusébeia pour la première, et pietas pour la seconde, pour exprimer précisément, le respect et l’amour des dieux, des parents, de la cité, de la patrie, manifestés à travers des sentiments de sympathie, de bonté, de bienveillance… qui parvenaient à créer une harmonie de relations entre les membres de la même famille, de la même cité, un idéal du vivre ensemble. L’eusébeia des grecs et la pietas des latins représentent un des sommets des plus remarquables de l’humanisme religieux des gentils pris en compte par les auteurs du Nouveau Testament. Paul non seulement cite six qualités de l’idéal moral des gentils, mais encore, il incite les chrétiens de Philippes à les faire leurs :
« Tout ce qu’il y a de vrai, tout ce qu’il y a de noble, de juste, de pur, digne d’être aimé, d’être honoré, ce qui s’appelle vertu, tout cela portez-le à votre actif » Ga. 4,8 ; 5,22 ; 2 Th.2,15 ; 3,6 ; etc…
En sens inverse, des païens qui vivent leur piété d’une façon avérée, peuvent connaître le passage de cette piété à la piété chrétienne par la grâce de l’Esprit-Saint. Ce fut le cas d’un centurion de l’armée romaine d’occupation, Corneille et des siens, cf. Ac. 10, 1-48.
LA PIETE CHRETIENNE
L’originalité de la piété chrétienne ne réside donc pas dans des espaces clos où elle s’exercerait auprès d’un public d’initié. En effet, comme la piété des gentils, elle s’exerce dans tous les espaces où se déroule la vie des gens.
A la différence de l’eusébéia, de la pietas, la piété chrétienne s’exerce encore auprès de tous sans aucune exclusive, même au milieu des loups, des brigands, des voleurs, des persécuteurs, des ennemis… c’est bien dans de tels espaces que les chrétiens peuvent mesurer l’authenticité de leur piété, cf. Mt.5,38-48 ; 10,16 ; Jn.17,11-19 ; Ph.2,15 ; etc…et doivent poursuivre l’itinéraire évangélique, sur le chemin resserré, pour être « pieux » et lumineux. Paul écrivait au Philippiens : « que votre piété (souvent traduite par bonté) soit connue de tous les hommes » Ph.4,5.
Cependant, l’impéccabilité des chrétiens dans l’exercice de la piété n’est pas automatiquement assurée. Logés à la même enseigne que les gentils, les chrétiens, hommes faibles eux aussi, ne sont pas à l’abri des dérapages dans l’exerce même de leur piété ; et il n’est pas impossible aujourd’hui qu’il leur arrive ce qui arriva à des membres de l’Eglise primitive, de n’avoir plus de la piété qu’une expression extérieure, convenue, socialement correcte mais sans constance réelle, cf. 2 Tim. 3,5, une façade, sans maison derrière elle-ci s’étant écroulée parce que bâtie sur le sable et non sur le roc. Cf. Mt. 7,24-25
Parmi d’autres décapages éventuels, il en est un, peut-être plus subtil, qui consiste à instrumentaliser la piété à des fins personnelles : « ils pensent que la piété est source de profits » 1 Tim. 6,5.
Jugement erroné, la vraie piété est marquée au sceau de la gratuité à l’égard des autres, cf. Mt.6,3 ; 10,8 ; etc…
Lorsque la piété des chrétiens n’est ni une façade, ni un instrument, lorsqu’elle est authentique, elle est intégrée dans un ensemble cohérent, exsitenciel, solide qui comprend : la vraie connaissance de Dieu le Père, et de Jésus Christ-Sauveur qui le révèle ; la foi, la persévérance, la maîtrise de soi, la paix, la pudeur, la douceur, la justice, la fraternité, l’amour… cf. 2P 1, 3-6 ; 1 Tim. 6,11 ; Ti.2,2 ; etc… Ensemble cohérent que Paul rassemble en une seule réalité : le fruit de l’Esprit-Saint, cf. Ga. 5,22.
Ainsi quelque sommet de civilisation qu’ait pu atteindre la « piété » des gentils, elle reste à la mesure des forces humaines. La vraie piété chrétienne, elle, est le fruit, en l’homme coopérant, de l’Esprit de Dieu.
Si la prière proprement dite est nécessaire à tout… et ne suffit à rien, cf.Mt. 7,21 ; Ro.2,13 ; Jc.1,23 ; en revanche, la piété, elle, est utile à tout, cf. Tim.4,7, et, très spécialement au témoignage que les chrétiens ont à porter devant les hommes. Le témoignage de la piété est « beau et agréable à Dieu ».
Pourquoi ? Parce qu’il manifeste, dans la vie de tous les jours, l’organisation civique, sociale, politique des sociétés, comme une lumière, cf. Mt. 5,14, « la volonté du Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés »…parviennent à la connaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un seul Dieu, qu’un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme : Christ-Jésus qui s’est donné en raçon pour tous…
Parce que le témoignage de la piété inclut l’ajustement à la volonté de Dieu, il respecte l’autorité séculière, prie pour ceux qui l’exercent afin qu’ils assurent une gouvernance harmonieuse, calme et paisible des espaces et des temps qui leur sont impartis, cf. 1 Th. 2,1-7.
L’exercice de la piété, « l’annonce de l’Evangile par toute la vie », fut-elle celle d’un esclave, 1 Tim. 6,1 ; 1 P. 2,18, passe d’une part, par l’épaisseur humaine des baptisés, à la double nationalité, celle de la Cité des hommes et celle de la Cité de Dieu, et, d’autre part, elle reçoit lumière et force de l’Esprit-Saint. Elle fait partie, en toute première ligne, du combat de la foi et de l ‘avènement du Royaume, ici et maintenant, cf. 1 Tim. 6,11 ; 2 Tim. 2,12.
Si des chrétiens avancent plus que d’autres, sur le chemin de la piété, c’est tout le Corps de l’Eglise, le Peuple de Dieu qui est appelé à être le signe donné au monde de la Bonne Nouvelle. cf. Tim.3,14-16 .
L’exercice du Don de la piété reçoit son estampille d’origine christique par la participation, ici et maintenant, à la Passion de son Fondateur et médiateur :
« Tous ceux qui veulent vivre en hommes « pieux » dans le Christ Jésus, subiront la persécution ». cf. 2 Tim. 3,12.
CONCLUSION
La prière personnelle, l’oraison, réclame un isolement et la prière canonique un lieu particulier ; l’exercice de la piété, alimentée dans la prière, lui se manifeste dans l’espace et le temps habités par les hommes. L’influence de la prière est impalpable aux mains des gens ; l’exercice de la piété est destiné à être connu de tous, comme une évangélisation visible et silencieuse