Trop travailler, cest trop quand on ne partage pas.
Incité par l’actualité qui interroge les méfaits du désir de ne pas trop travailler, je repense au film de Mark Herman, cinéaste anglais, les Virtuoses (1997).
C’est l'histoire des membres de la fanfare d'une petite ville minière, Grimlet, dont le chef Danny rêve de participer aux finales du championnat national des fanfares au Royal Albert Hall. Les virtuoses de la fanfare de Grimlet joueront-ils à Londres ? Et quand bien même vivraient-ils une journée de gloire passagère, quelle médaille la Direction des charbonnages britanniques leur réserve-t-elle à leur retour ?
En effet, dans l’Angleterre de Thatcher, la logique du Capital ferme les mines de charbon. Se battre syndicalement est inutile. Les épouses de quelques mineurs, musiciens à l’orchestre philharmonique de la mine, ne comprennent pas que leurs époux passent du temps à des répétitions, en donnant de l’argent pour cela, alors qu’il ne faudrait pas, par les piquets de grève, lâcher la pression pour empêcher la fermeture de la mine. Le programme de fermeture des puits, entrepris par le gouvernement anglais à partir de 1984, a effectivement déjà eu pour conséquences de priver de leurs revenus des villes entières. Des milliers de cellules familiales volent en éclats.
Les drames personnels et sociaux décrits dans ce film révèlent l’extraordinaire esprit de corps des mineurs et leur formidable instinct de survie. Dans tout cela la musique qu’ils jouent les fait vivre et rend un vibrant hommage à la communauté des mineurs.
Pourquoi les concerts ? “Là, au moins, répond un mineur, on nous écoute”.
Et le plaisir est grand, plein d’enthousiasme à l’issue du concert final, à Londres, où l’orchestre de la mine remporte la victoire de la meilleure exécution. On comprend qu’avoir perdu son travail (salarié) devient moins grave dans la mesure où l’on n’a pas perdu le goût, la joie et l’émotion de la belle musique.
Je pense donc qu’il est heureux de voir cette tranche de vie où des gens se maintiennent debout grâce à leur temps passé à une action totalement libre.
Or, pour jouir de la joie du concert, on est obligé de se coucher tard, donc de ne pas se lever tôt.
Tout en aimant son travail, avec ses risques, le travailleur “doit croire aussi que les individus ne s’accomplissent pas seulement dans leur profession. S’il aime faire son travail, il faut qu’il soit convaincu que le travail n’est pas tout, qu’il y a des choses aussi importantes ou plus importantes que lui,” écrit André Gorz, dans Métamorphoses du travail (1988, réédition en 2004-Poche)
C’est parce que de nombreuses personnes ont œuvré et œuvrent encore pour le temps libéré par la baisse du temps de travail rémunéré, dans le but, entre autres, de partager le travail que je pense important de ne pas perdre cette perspective. C’est grâce à l’intérêt que nous portons aux activités non-salariées où l’homme trouve, dans un “recul par rapport aux nécessités de la vie”, les voies de son épanouissement, que nous débusquerons les réponses aux actuelles questions de sens de notre société.
Nous savons que tout n’est pas possible.
André Gorz,
Métamorphoses du travail, critique de la raison économique (Poche), 2004.
Cela ne s'appelait pas encore la " mondialisation libérale ", que déjà André Gorz, voilà bientôt vingt ans, en pionnier critique d'une rare intelligence analytique, dénonçait la croyance quasi religieuse que « plus vaut plus », que toute activité - y compris la maternité, la culture, le loisir - est justiciable d'une évaluation économique et d'une régulation par l'argent. Gorz détermine les limites - existentielles, culturelles, ontologiques - que la rationalité économique ne peut franchir sans se renverser en son contraire et miner le contexte socioculturel qui la porte. Le lecteur découvre pourquoi et comment la raison économique a pu imposer sa loi, provoquer le divorce du travail et de la vie, de la production et des besoins, de l'économie et de la société. Pourquoi, sous nos yeux, elle désintègre radicalement la société ; pourquoi nombre d'activités ne peuvent être transformées en travail rémunéré et en emploi, sans être dénaturées dans leur sens.
Je suggère, pour alimenter l'échange, la lecture de Jean Zin : Revenu garanti (2006)
C’est l'histoire des membres de la fanfare d'une petite ville minière, Grimlet, dont le chef Danny rêve de participer aux finales du championnat national des fanfares au Royal Albert Hall. Les virtuoses de la fanfare de Grimlet joueront-ils à Londres ? Et quand bien même vivraient-ils une journée de gloire passagère, quelle médaille la Direction des charbonnages britanniques leur réserve-t-elle à leur retour ?
En effet, dans l’Angleterre de Thatcher, la logique du Capital ferme les mines de charbon. Se battre syndicalement est inutile. Les épouses de quelques mineurs, musiciens à l’orchestre philharmonique de la mine, ne comprennent pas que leurs époux passent du temps à des répétitions, en donnant de l’argent pour cela, alors qu’il ne faudrait pas, par les piquets de grève, lâcher la pression pour empêcher la fermeture de la mine. Le programme de fermeture des puits, entrepris par le gouvernement anglais à partir de 1984, a effectivement déjà eu pour conséquences de priver de leurs revenus des villes entières. Des milliers de cellules familiales volent en éclats.
Les drames personnels et sociaux décrits dans ce film révèlent l’extraordinaire esprit de corps des mineurs et leur formidable instinct de survie. Dans tout cela la musique qu’ils jouent les fait vivre et rend un vibrant hommage à la communauté des mineurs.
Pourquoi les concerts ? “Là, au moins, répond un mineur, on nous écoute”.
Et le plaisir est grand, plein d’enthousiasme à l’issue du concert final, à Londres, où l’orchestre de la mine remporte la victoire de la meilleure exécution. On comprend qu’avoir perdu son travail (salarié) devient moins grave dans la mesure où l’on n’a pas perdu le goût, la joie et l’émotion de la belle musique.
Je pense donc qu’il est heureux de voir cette tranche de vie où des gens se maintiennent debout grâce à leur temps passé à une action totalement libre.
Or, pour jouir de la joie du concert, on est obligé de se coucher tard, donc de ne pas se lever tôt.
Tout en aimant son travail, avec ses risques, le travailleur “doit croire aussi que les individus ne s’accomplissent pas seulement dans leur profession. S’il aime faire son travail, il faut qu’il soit convaincu que le travail n’est pas tout, qu’il y a des choses aussi importantes ou plus importantes que lui,” écrit André Gorz, dans Métamorphoses du travail (1988, réédition en 2004-Poche)
C’est parce que de nombreuses personnes ont œuvré et œuvrent encore pour le temps libéré par la baisse du temps de travail rémunéré, dans le but, entre autres, de partager le travail que je pense important de ne pas perdre cette perspective. C’est grâce à l’intérêt que nous portons aux activités non-salariées où l’homme trouve, dans un “recul par rapport aux nécessités de la vie”, les voies de son épanouissement, que nous débusquerons les réponses aux actuelles questions de sens de notre société.
Nous savons que tout n’est pas possible.
André Gorz,
Métamorphoses du travail, critique de la raison économique (Poche), 2004.
Cela ne s'appelait pas encore la " mondialisation libérale ", que déjà André Gorz, voilà bientôt vingt ans, en pionnier critique d'une rare intelligence analytique, dénonçait la croyance quasi religieuse que « plus vaut plus », que toute activité - y compris la maternité, la culture, le loisir - est justiciable d'une évaluation économique et d'une régulation par l'argent. Gorz détermine les limites - existentielles, culturelles, ontologiques - que la rationalité économique ne peut franchir sans se renverser en son contraire et miner le contexte socioculturel qui la porte. Le lecteur découvre pourquoi et comment la raison économique a pu imposer sa loi, provoquer le divorce du travail et de la vie, de la production et des besoins, de l'économie et de la société. Pourquoi, sous nos yeux, elle désintègre radicalement la société ; pourquoi nombre d'activités ne peuvent être transformées en travail rémunéré et en emploi, sans être dénaturées dans leur sens.
Je suggère, pour alimenter l'échange, la lecture de Jean Zin : Revenu garanti (2006)