Albert Rouet, évêque en liberté

Publié le par Michel Durand

La Croix, jeudi 08/10/2009

article de DOMINIQUE GREINER

À l'approche de la retraite, l'archevêque de Poitiers porte sur l'Église un regard libre et lucide, mais plein d'espérance


J'AIMERAIS VOUS DIRE d'Albert Rouet, Entretiens avec Dennis Gira, Bayard, 346 p., 19 €

 

Mgr Albert Rouet va sur ses 75 ans. Bientôt, il quittera ses responsabilités à la tête du diocèse de Poitiers. Le moment lui a paru bien choisi pour accepter de livrer à Dennis Gira « ce qui reste d'essentiel quand on quitte le ministère épiscopal direct ». Le regard n'est pas tourné vers le passé, mais bien vers le présent et les défis auxquels l'Église d'aujourd'hui doit faire face.

 

L'archevêque de Poitiers est préoccupé au premier chef par la fidélité de l'Église à la mission reçue du Christ. Il s'interroge sur la manière d'être de l'Église, à travers notamment le langage qu'elle mobilise pour parler de la foi, sur sa manière de célébrer ou de s'organiser sur un territoire, sur la place respective des ministres ordonnés et des laïcs, sur le retour du spirituel... Il identifie des tentations qui guettent : cléricalisation (« Tout remonte au prêtre »), affichage identitaire (croix, habit...), starisation de ses responsables (« qui séduit mais ne change rien aux manières de vivre »), durcissement des clivages internes, crispation sur des rites ou un langage incompris du grand nombre, souci de l'efficacité et de la quantité, repli frileux. À vouloir s'afficher dans sa singularité pour échapper à la marginalisation, l'Église risque de céder à une logique publicitaire ou commerciale, affirmative mais fermée au dialogue avec le monde contemporain.

 

Une conviction se dégage de ces pages : la manière actuelle de vivre l'Église n'est pas adaptée au monde où nous vivons. Elle contredit ainsi le message de l'Évangile, qui est de l'ordre d'un dialogue constant avec le monde. Les Pères de l'Église - dont saint Hilaire de Poitiers - avaient dû inventer un langage pour être compris de leurs contemporains. C'est la même tâche qu'il convient de poursuivre. Il s'agit moins de répéter les mots de la foi que de susciter du désir pour la foi dans un monde désenchanté : « Rendons la foi intéressante, et les mots de la foi chanteront ! Rendons la foi attirante, et les boiteux marcheront. »

 

Être des passeurs entre la rive de l'Écriture et celle de la culture contemporaine, tel est le service que les théologiens devraient rendre, à l'Église comme au monde. Mais c'est aussi à travers ses manières de vivre, de célébrer, de se structurer, de prendre des positions morales, que la communauté chrétienne doit témoigner de ce qu'elle est : un lieu de relations ouvert sur le monde (« La question n'est pas de savoir qui vient à l'église, mais vers qui l'Église va »), trouvant son identité non dans la proclamation de soi mais dans le dialogue humble et la fréquentation de la parole des autres.

 

L'expérience authentique de cette altérité suppose un renoncement, un lâcher-prise : pour ce pasteur d'expérience, le signe du christianisme est donc celui de « la construction gratuite d'un demain qui nous échappe ». C'est ainsi que l'Église fait œuvre de paix et de fraternité, en contradiction avec le monde : elle cherche à promouvoir des relations de qualité qui font vivre et humanisent. Parce que l'identité chrétienne est fondamentalement relationnelle, toutes les formes de repli identitaire lui sont contraires. Vivre en Église, c'est vivre une relation désirante avec le Christ, en relation avec les membres du corps du Christ, mais aussi entrer dans un dialogue avec le monde qui atteste du désir d'une humanité nouvelle.

 

Le propos est libre, provocant parfois. Des formules réjouiront certains, en agaceront d'autres. Mgr Rouet use de sa liberté de parler fort, parce qu'elle s'usera si on ne s'en sert pas : « Cette liberté existera toujours, même si de fait aujourd'hui, dans l'Église comme dans la société, il se produit un gel, un gel de la pensée, un gel de la liberté de parler. »

 

Publié dans Eglise

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