De l'appel du 18 juin aux résistances actuelles
Ce que j’entends à propos de l’appel du 18 juin m’incite à réfléchir sur le sens des mots : résistance, objection, désobéissance.
Au cours de mon enfance, j’ai souvent entendu dire par mon père que les hors-la-loi politiques ne sont tels qu’en fonction de la victoire du chef de l’État, roi,
empereur, dictateur ou président. Si Pétain n’avait pas perdu, de Gaulle serait demeuré un rebelle hors la loi, condamné pour rébellion par un tribunal militaire. Mais de Gaulle a gagné son
pari : s’opposer à la collaboration avec le nazisme. Alors, lui, et aucun de ceux qui l’ont suivi ne furent postérieurement considérés comme terroristes. Or, sous Pétain et Hitler, ils
étaient des terroristes, des déserteurs. Voir ci-dessous les liens.
Et aujourd'hui
Cette réflexion voulue par le devoir de mémoire, évoque tout le courage qu’il faut à un homme pour appeler ses concitoyens à la désobéissance. Et la désobéissance s’exprime à chaque fois que l’on refuse d’appliquer des lois injustes, inhumaines, égoïstes. Je pense particulièrement à tous les militants qui, afin de préserver pour demain une terre gérable par leurs enfants, s’opposent aux pratiques communément admises. Je pense à tous ceux et toutes celles qui combattent la légalisation de pratiques néfastes à la santé, à la dignité des hommes et des femmes de tous les pays. Respect des migrants.
En 1940, il a fallu s’opposer au pouvoir raciste des nazis qui voulait la suprématie de blancs dits ariens. Aujourd’hui, il faut s’opposer aux dominations des institutions économistes et scientistes, menées par une foi idolâtre face au dieu « progrès », qui contraint le bonheur humain sous le poids du capital. Les gens ont peur de se libérer de l’engrenage productiviste et consumériste. Ils ne veulent pas, n’osent pas se mettre en marge des habitudes majoritaires. « Contester le capitalisme, voire le supprimer ; mais pour mettre quoi à la place ? » interrogent-ils. « C’est l’unique système, il faut bien l’accepter, quitte à le moraliser » conclut un grand nombre d’intellectuels économistes catholiques.
Même les chrétiens, oubliant l’Évangile de leur baptême, et celui de leurs enfants, n’ont pas l’audace de renoncer à tout ce que la Société fait miroiter(1). Au
lieu de s’affronter, de désobéir, de résister, ils pactisent (souvent inconsciemment) avec le mal.
Pour s’affranchir de Satan, il faut du courage. Cela commence avec l’audace de désigner le Mauvais et de s’en écarter en sautant vers l’inconnu.
L'acceptation de l'inconnu
À tous les niveaux de l’Église, je pense que les chrétiens se comportent aujourd’hui comme au XIXe siècle sous la Restauration. Nous sommes confortablement assis
dans le pouvoir dominé par le capitalisme, comme jadis nous l’étions dans la monarchie. On ne jurait que par le roi, on ne jure que par l’argent. Les évêques qui sollicitent des mécènes parmi les
industriels et les banquiers ne souhaitent pas les froisser en les interrogeant. Il faut conserver leurs bonnes grâces, sinon qui aidera financièrement l’Institution ? En Amérique latine
cela a donné la condamnation de la théologie de la Libération et de ses militants. Grave compromission qui éloigne de l’Évangile.
Pour lutter contre cette dérive, une seule solution : résister, désobéir, construire à côté. En avoir le courage.
La force des résistants des années 40 devrait nous servir d’exemple pour résister au capitalisme qui nie la dignité de plus de 80 % des hommes et femmes de la Tetre alors que celle-ci ne peut offrir universellement un mode de vie « à l’Américaine ». Courage de l’objection de croissance.
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liturgie du baptême :
1) Voulez-vous renoncer aux bonheurs illusoires que le monde fait miroiter, ne pas vous laisser séduire par les forces du mal et refuser de prendre pour guide quoi que ce soit d’autre que la lumière du Christ ?
- Oui, nous le voulons.
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le dossier de La Croix. samedi 19 juin
LA Croix, vendredi 18/06/2010
L'acte de résistance est d'abord un projet. Si résister commence d'abord par un « non », le refus ne peut vivre, se développer, et finalement l'emporter, qu'en offrant une alternative. En 1940, la France avait perdu une bataille. Il fallait être convaincu qu'elle n'avait pas perdu la guerre. Et choisir, malgré Pétain, de continuer à se battre. On imagine mal ce qu'il a coûté au général de Gaulle, militaire, homme d'ordre et de loyauté, quand il s'est agi de rompre. Il fallait une vision et un projet. Pour de Gaulle, ils ne faisaient qu'un : c'était la France.
En célébrant l'Appel du 18 juin 1940, l'acte fondateur de la Résistance française, en invitant, dans ses pages, Marie-José Chombart de Lauwe et Daniel Cordier pour que ces combattants d'alors livrent leur regard sur l'actualité d'aujourd'hui, La Croix ne propose pas une plongée dans le passé, soixante-dix ans après, même si quelques bonnes leçons peuvent en être tirées. Notre journal choisit clairement de se tourner vers l'avenir.
La Résistance n'est pas seulement un moment daté de notre histoire nationale, de beaucoup d'histoires nationales, d'ailleurs. Elle devient un état d'esprit : « Dire non à tous les symptômes de l'atteinte à la dignité humaine, mais aussi à dire oui au respect profond de l'être humain dans toutes ses dimensions », explique Marie-José Chombart de Lauwe. Comme tel, comment ne pas sentir une exigence ? Plus de domination nazie, certes, peut-être moins de barbarie, sans doute. Mais l'ordre du monde n'a pas atteint un tel degré de perfection qui rendrait tout combat inutile...
Malgré les abus de langage qui font parfois nommer résistance la moindre protestation, il convient malgré tout de s'interroger : où continuer à veiller ?
ERNENWEIN François