L'Eglise catholique affirme le droit d'émigrer
Ce qui fonde la doctrine
L'Église catholique a pris en compte très tôt, au début du XXe siècle, la question des migrants : c'est en 1914 que le pape Benoît XV a institué la Journée mondiale du migrant. Mais c'est le concile Vatican II (1962-1965) qui fit connaître la pensée de l'Église catholique sur les mouvements migratoires (1). Au nom de la fraternité universelle, le droit à émigrer a été clairement justifié par Jean XXIII dans l'encyclique Pacem in terris publiée entre les deux sessions du Concile, et quelques jours avant sa mort, le 3 juin 1963 : « Tout homme (...) a aussi le droit, moyennant des motifs valables, de se rendre à l'étranger et de s'y fixer. »
C'est la première fois que l'émigration est ainsi entérinée dans une encyclique pontificale comme un droit de l'homme. La seconde idée fondamentale que l'on relève dans les textes du Concile, bien avant que les autorités françaises la fassent leur en 1975, c'est celle « du droit d'émigrer avec sa famille », requête traditionnelle et constante de l'Église. Ce droit apparaît comme le premier des droits inhérents à la résidence et à l'insertion dans la société d'immigration. Dans la constitution conciliaire Gaudium et spes sur « L'Église dans le monde de ce temps », il est demandé que la dignité des migrants soit respectée : « Tous les membres de la société, en particulier les pouvoirs publics, doivent les traiter comme des personnes et non comme de simples instruments de production. »
L'actualité du message
Dans le Lévitique, il est dit : « L'étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote, et tu l'aimeras comme toi-même car vous avez été étrangers au pays d'Égypte » (Lv 19, 34). Un message toujours d'actualité pour l'Église, qui s'est souvent faite porte-parole des migrants clandestins. En Italie, la Conférence épiscopale en appelle même aujourd'hui à « la désobéissance civile », depuis le vote en juin dernier d'une loi qui criminalise la clandestinité. Au début de l'année, elle s'était déjà insurgée contre l'adoption d'une loi permettant que les médecins italiens dénoncent à la police un patient clandestin. La presse catholique a été la première à réagir au refoulement des clandestins des plages d'Italie. Avec, en première ligne, Famiglia cristiana, l'hebdomadaire italien le plus lu. Dans son numéro du 6 septembre (lire le reportage p. 26), Mgr Domenico Mogavero, l'évêque de Mazara del Vallo, ville sicilienne située à peine à 150 km des côtes tunisiennes, souligne : « Refouler ces barques de clandestins est contre l'Évangile. »
Dans une autre confession, le judaïsme
Le rabbin Haïm Korsia, aumônier israélite de l'armée de l'air française, l'explique ainsi : « Dans la Bible, il y a au moins 50 citations sur l'étranger que l'on doit aimer, respecter, protéger. C'est une obligation au quotidien. Mais je me méfie des postures incantatoires, si nombreuses aujourd'hui sur l'accueil aux immigrés, aux clandestins. Il faut être en accord avec soi-même : ce qui vaut pour le pays, vaut pour soi-même. On se doit d'accueillir tout étranger chez soi. Car le clandestin, on ne le redira jamais assez, n'est pas un délinquant, un criminel. Il veut seulement vivre, mais mieux, ailleurs.»
FICATIER Julia
(1) Lire « L'Église catholique dans le débat sur l'immigration », d'André Costes, dans la Revue européenne des migrations internationales (1988).