Le retour du juridisme
Je développe aujourd’hui mon interrogation sur le retour du droit dans l’Église. Faible interrogation qui ne prend pas les moyens d’une enquête approfondie et objective. Pourtant !
Pendant mes études en théologie –fin des années 60-, il me semble que le droit canon était une discipline peu prisée. Certes, il y avait un cours et un examen (Pontificale Université Grégorienne, Rome), mais je n’ai pas le souvenir qu’on lui donnait une grande importance. Le seul contrôle dont j’ai un souvenir précis c’est celui passé avec le clergé romain (Université du Latran) pour accéder aux ordres mineurs. Je me souviens ne pas avoir répondu correctement à la question, bien sur, posée en latin : « que faites-vous quand un laïc lève la main contre vous, vous attaque physiquement ? ». Il fallait répondre que le droit canon réprimande toute agression commise à l’égard d’un membre du clergé. Le statut du prêtre n’ayant pas été respecté, il convenait (un droit) de demander réparation. J’avais, effectivement une bien mauvaise connaissance du sujet. Suis-je meilleur aujourd’hui ? Je n’ai pas consulté l’édition de 1986 pour voir s’il en est toujours ainsi.
Ma formation humaine, universitaire, spirituelle, apostolique m’invitait à imaginer des réponses dans un tout autre domaine. Je serais plutôt porté à me demander pourquoi cet homme veut-il m’agresser ? De quoi a-t-il besoin ? En tant qu’homme, que puis-je faire pour lui ? Jamais je n’ai pensé (et ne le pense pas encore) en quoi mon statut de clerc serait « l’arme » à avancer pour assurer ma protection.
Vraisemblablement, l’ambiance pastorale du second concile du Vatican imprégnait nos esprits. Plutôt que de faire valoir les droits des membres de l’Église enseignante, nous espérions mieux connaître le monde et les motivations de ses actions au sein et hors de l’Église.
Celle-ci, invitée par Jean XXIII à une profonde réforme se devait de se convertir (elle le doit encore ; semper reformanda) afin de mieux offrir l’Évangile. Le concile pastoral invitait à scruter les « signes des temps » beaucoup plus qu’à imposer la reconnaissance du statut ecclésiastique. Et, me semble-t-il, il y avait là une profonde attente de tous les étudiants séminaristes. Il n’a pas fallu 24 heures pour que tous les jeunes clercs laissent au placard le « vêtement long » (la soutane rouge, verte, bleue, blanche, noire selon les pays) lorsque cela fut permis.
Afin de pénétrer le sens de ce que vivent les contemporains, n’est-il pas logique de nous habiller comme eux, avec eux ? L’écoute du monde requiert qu’il n’y ait pas de barrière entre lui et nous, les clercs. Quand, par exemple, un père conciliaire faisait une conférence sur le Concile Vatican II en parlant de la sorte, nous étions pleins de joie et d’espérance. Le charisme que don Helder Camara, évêque au Nord-Est brésilien, père au concile, développait nous comblait d’admiration. Il se montrait si proche des gens, si simple, tellement tendance Vatican II quand il nous disait qu’il était obligé de laver lui-même ses chaussettes et que nombreux étaient les évêques dans ce cas.
Pour une mise à jour de l’Église (aggiornamento) nous comprenions que nous devions connaître et aimer les hommes et les femmes de ce temps et non exiger que nos privilèges canoniques soient respectés. Aujourd’hui, dans un travail de relecture du concile, je comprends mieux l’importance du changement vécu dans cet événement conciliaire. Les évêques nous disaient que l’Esprit y était sensible. L’heure n’était plus aux condamnations. J’étais en classe de seconde, si je me souviens bien, quand j’ai appris que Teilhard de Chardin sortait de l’index. Aussi, Vatican II ne pouvait prendre le chemin des « anathema sit ». Une radicale révolution par rapport à tous les conciles précédents !
Certes, tous les Pères n’avaient pas rejoint le camp des charismatiques et je ne peux pas oublier les conférences du juridique Mgr Lefebvre, alors supérieur des Spiritains qui assumaient la direction du séminaire français à Rome. L’affrontement était constant avec les intégristes en herbe. Chaque matin, ils refusaient le liturgique baiser de paix parce que nous ne parlions pas latin, la juste et sacrée langue du droit catholique.
Respect d’une « tradition » contre écoute d’un monde moderne !
Les jésuites, professeurs à la Grégorienne, ayant opté pour le XXe siècle, ne voulurent plus parler une langue morte. En effet, pour analyser les nuances de tout ce que l’on vit en exprimant leur portée théologale, il n’y a rien de mieux que la langue maternelle. Charisme au bénéfice du monde contre permis et défendu.
Le droit, nouvelle tendance
J’ai commencé à observer le retour du Droit dans les études universitaires catholiques quand j’ai rencontré de jeunes prêtres* ne pouvant pas répondre à une question pastorale sans évoquer le droit canon. Je citerai un exemple à propos du mariage d’une catholique avec un divorcé non catholique dont la première épouse était également sans religion. Immédiatement il fut question de la définition canonique du mariage « naturel » qui, selon le droit, est revêtu de sacramentalité. Avant même d’entendre les motivations du candidat au mariage catholique, on aborde le chapitre du permis et défendu.
Autre exemple pris notamment dans les messes d’enterrement. Il arrive qu’un prêtre rappelle, sans ménagement, les conditions canoniques selon lesquelles on peut communier. Les divorcés remariés, les concubins, les non confessés récemment… sont priés de s’abstenir.
Ce besoin de référence canonique au sein de l’Église du XXIe siècle trouve aussi sa concrétisation dans la réouverture des Instituts de Droit Canonique. Les évêques qui sont actuellement nommés dans la ligne de Jean-Paul II et de Benoît XVI semblent alimenter ce recours juridique. La tendance à contrôler si la vie catholique actuelle est conforme à la tradition l’emporte désormais sur un regard tourné vers un présent et un avenir susceptible de recevoir, à nouveau frais, l’éclairage de l’Esprit Saint. Plutôt que de se demander ce qu’il y aurait à convertir dans notre vie de baptisés pour construire un monde nouveau davantage pénétré d’Esprit Saint –tension eschatologique-, œuvre du baptisé conscient de son baptême, le magistère s’engage à contrôler si ce qui est présentement pratiqué est conforme à ce qui se fait depuis toujours.
Beaucoup de discours prononcés dans le cadre de la « nouvelle évangélisation » agissent ainsi. Les enseignements de la « nouvelle
évangélisation », comme je crois l’avoir déjà dit, ne sont que de la catéchèse où s’explique ce qui doit être cru par acte de foi. : les immuables mystères du christianisme. Ils ne sont
pas une annonce des temps à venir que nous pouvons déceler dans l’observation des signes que l’Esprit Saint laisse en notre temps. Je pense que le mot « nouveau » devrait être employé à
propos de l’évangélisation, non pour signaler une entreprise nouvelle d’enseignement catéchétique, mais un effort de compréhension nouvelle du monde moderne, pluriculturel, interreligieux, athée,
spirituel, mondiale. Il y a nouvelle évangélisation, non parce qu’il y a rappel de ce qui est communément admis (le catéchisme), mais parce qu’il y a effort nouveau de compréhension du monde dans
et pour lequel nous vivons.
Disant cela, est –ce que je ne retrouve pas le charisme de Vatican II ? Je l’entretiens.
*il est vrai que dans mon entourage immédiat, je rencontre surtout des prêtres membres de « communauté nouvelles » ou de type messe extraordinaire. Voir ici par exemple.