Plus que religieux, ou d’église, ou chrétien, l’art contemporain se doit d’être spirituel

Publié le par Michel Durand

Rencontre du 24 novembre 2011 : L’art sacré peut-il être contemporain ? ou En quoi l'art contemporain peut-il être d'Eglise ?

2011-2012 0609

C’est à partir de deux expériences récentes qui me conduisirent auprès d’instances institutionnelles de l’art sacré que je voudrais témoigner :

 

- La première : j’avais réalisé et exposé un retable de grandes dimensions pour la Biennale d’art Sacré qu’organise Michel Durand à Saint Polycarpe. Après l’exposition j’ai cherché un lieu où le déposer, je ne dis même pas le vendre. J’ai appris qu’une chapelle en Haute Provence était en voie d’être repeinte et j’ai proposé au responsable religieux d’accrocher mon retable au prix même de la peinture de la surface concernée. La question étonnante qui m’a été posée était de savoir si ce retable était conforme au canon de l’Église… Quel est ce canon qui fait encore bruit et fureur ? Il m’est revenu à l’esprit que Le Caravage en son temps eut bien des déboires avec ces injonctions, mais que sa peinture tout de même… Mon interlocuteur en a convenu en riant et j’ai dit en riant aussi que bien sûr je ne suis pas Caravage. À sa demande j’ai bien évidemment envoyé une photo de mon œuvre. Je n’ai  eu aucune réponse.

 

- La deuxième : j’ai répondu à un appel à projets pour un  oratoire d’une école maternelle. Il s’agissait d’un retable encore. J’avais précédemment choisi de peindre un retable pour sa fonction populaire invitant à la méditation esthétique et spirituelle  et je me demandais s’il avait toujours cette fonction… La commande de cette École m’a vraiment réjouie : peindre un retable pour des petits enfants… Ma première esquisse a été retenue et j’ai donc rencontré les commanditaires.  Sans mettre en cause leur choix final qui n’a pas retenu mon projet, je voudrais revenir sur mes étonnements et poser trois questions :

 

1- J’avais trouvé, après avoir lu et médité les textes qui nous étaient proposés, comme idée directrice de ce retable triptyque, l’accueil que Jésus fait aux enfants (et aux animaux aussi), son amour pour eux et sa disponibilité heureuse. Et sur les panneaux latéraux la soumission des bêtes féroces et la victoire sur les démons.

Les animaux se mêlent aux trois scènes et s’y promènent entre réalité et imaginaire.

Pourquoi tant d’animaux ? m’a-t-on demandé 

J’ai répondu : les enfants n’ont-ils pas peur des monstres ? N’est-ce pas contre les formes étranges de leur imaginaire qu’ils cherchent un recours ? Et en même temps ces animaux qui parsèment ces textes bibliques (agneaux, loups, serpents, scorpions et démons, chameau…) sont souvent pour eux un langage fascinant et familier.  Je me suis laissé porter par cette intuition…

La littérature psychanalytique pouvait me donner raison et les analyses de Bettelheim enrichir la vision que nous avons de l’univers des enfants. Seulement dans le jury, tous n’avaient pas lu Bettelheim et craignaient que cette animalité ne distraie les enfants.

Ma question est donc : L’art sacré, s’il est contemporain, ne doit-il pas intégrer les  connaissances de son époque ?

 

 

2- une iconographie des années 50 :

Le comité de sélection s’est étonné que Jésus ressemble plus à un jeune père qu’à la figure christique convenue. J’ai compris qu’il y avait un canon iconographique à respecter comme par exemple les mains ouvertes avec des rayons qui en partent et que c’est cette iconographie qui avait cours dans  ma propre enfance, qui pouvait représenter une personne sacrée.

          Quelle culture contemporaine avons-nous de la représentation du sacré et des personnes divines? Quelle connaissance avons-nous de l’art de notre époque (moderne et contemporain) ? Quelles sont nos références et nos préférences culturelles et artistiques ?

 

3-l’utilité des images

Le comité a insisté sur la fonction pédagogique du retable qui devait être peint pour instruire les petits enfants. Je plaidais pour la méditation, la rêverie qui porte au silence et à l’intériorité. Je n’ai pas une grande pratique religieuse, mais la contemplation des œuvres des hommes ou de la nature m’a toujours rapprochée d’une spiritualité et d’une louange un peu aveugle, mais sincère pour leurs auteurs.

Quelle est la vocation d’une image à contenu sacré ou spirituel ?

 

Cette aventure m’a amenée à lire des ouvrages sur les prescriptions faites au peintre chrétien dans la France du XVII° siècle

J’y retrouve effectivement des inquiétudes sur la confusion de thématiques chrétiennes et mythologiques, du sacré et du profane et peut-être que mes animaux bien innocents réactivent cette crainte du mélange.

Je lis même qu’un décret datant de 1674 ordonne aux archidiacres de faire ôter prudemment « les images et peintures qui ont quelque chose de mutilé, de profane comme les figures d’animaux… de les faire mettre sous le carreau de l’église ou de les cacher sous terre en quelque endroit du cimetière »

Les tableaux à cette époque sont censés

Augmenter la dévotion,

Incarner la morale et la décence,

  Se démarquer des figures allégoriques et mythologiques.

Ainsi, le jugement dernier de Michel Ange se voit traité « d’infâme libertinage » car son Christ est représenté non sur un trône, mais debout, jeune et imberbe et la présence de Charon est jugée sacrilège dans une scène chrétienne.

 

Je vous livre cette citation de Roger de Piles qui écrit en 1707 à l’usage des peintres chrétiens : « Le Peintre doit user avec modération de l’autorité qu’il tire de l’Écriture sainte et prendre garde, qu’en voulant ménager l’avantage de son Art, il n’altère la sainteté du sujet qu’il auroit à traiter ».

 

Pour retrouver un peu d’air et le souffle d’une vraie inspiration artistique, il me faut absolument sortir de ces prescriptions. Le souffle, rouah,  c’est aussi l’espace, revah,  le vide, le retrait où Dieu nous fait être.

Le souffle c’est l’inspiration qui fait une œuvre. Si l’inspiration manque, l’œuvre ne se peut.

Je souscris tout à fait à ce qu’écrit Michel Durand : « plus que religieux, ou d’église, ou chrétien, l’art contemporain se doit d’être spirituel. ». La BASA offre cet espace.

 Je préciserais que cet art spirituel contemporain peut intégrer les connaissances de son époque ainsi que la temporalité qui est la sienne, la réflexion sur les évènements d’actualité.

Et puis restons libres pour plus de grâce…

 

Quelques livres

Frédéric Cousinié, le peintre chrétien. Théories de l’image religieuse dans la France du XVII° siècle. L’harmattan. 2007

François Boespflug les images de Dieu. Bayard. 2008


Véronique Soriano,  Sorine, le 2 Novembre2011


Publié dans Art

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