Quand on est dérouté par la croyance en une pseudo autonomie, il faut avoir le courage de se re-router. Se déprendre pour se reprendre
Samedi 23 novembre, je serais heureux de vous retrouver à l'espace Saint-Ignace.
Le groupe CPP (Chrétiens et pic de pétrole) tiendra en ce lieu sa deuxième recontre :
Comment “la science moderne a peu à peu capté l’essentiel des forces spirituelles de la culture occidentale” amenant à une société de l‘insignifiance ? Pourquoi “nous errons, environnés d’objets qui se laissent manier mais qui n’ont rien à nous dire“ ? (Olivier Rey) Comment faire un pas de côté pour nous redonner du sens ?
De 9h30 à 12h
à l’Espace St Ignace-20 rue Sala, 69002 – 04 72 77 09 00
Métro : Bellecour ou Ampère
Le point de départ de l’atelier est la pensée d'Olivier REY
ICI : plus d'info
Il en va de la science comme de l'amour. Aimer, cela veut dire comprendre, et aussi ne pas comprendre. Le mauvais amour ignore l'autre, comme la mauvaise science ignore ce qui, par essence, lui échappe. Comprendre, c'est aussi se déprendre. Mais justement. Pour se déprendre, il faut avoir voulu prendre au-delà de ce qui nous revient. Telle est notre situation aujourd'hui : que le mauvais amour, la mauvaise science sont des étapes dont il n'est pas possible de faire l'économie, parce que ce sont elles qui nous mettent en mouvement, parce que ce sont elles qui nous font entrer dans
la carrière vitale. Notre existence doit en passer par où notre culture est passée si jamais elle doit prendre, un jour, un nouveau tour. Il n'y a pas pour l'heure de raccourci qui vaille. Il nous faut être un individu pseudo-autonome, pseudo-divin, un individu qui revendique le bonheur. Il nous faut être le Frédéric Moreau de L'Éducation sentimentale à dix-huit ans, nouvellement reçu bachelier, sur le bateau qui le ramenait à Nogent-sur-Seine le temps d'un été et qui « trouvait que le bonheur mérité par l'excellence de son âme tardait à venir ». Le bonheur ne vient pas. Certains s'acharnent, d'autres aspirent à une consolation. Mais le besoin de consolation n'est pas plus susceptible d'être rassasié que la quête du bonheur d'être satisfaite, parce que tous deux ils procèdent d'une unité qui veut se refaire, quand elle est irrémédiablement perdue. Alors, en proie au vide du cœur, livré à la détresse fondamentale de la vie, il ne reste plus qu'à désespérer ou à se fuir soi-même dans la fausse universalité du dispositif, qui ne répond pas aux soucis de l'âme mais s'efforce d'en annihiler les enjeux.
Qu'on soit lucide ou non ne change rien aux termes de l'alternative. La description critique du dispositif est en passe de devenir un genre à part entière, où les forces s'épuisent sans résultat. Trop souvent la lucidité est une compensation, qui parce qu'elle compense entretient l'égarement. Elle maintient dans l'état d'esprit dont elle constate les limites. Outrepasser ces limites ne dépend pas d'une décision : la pseudo-autonomie, la pseudo-divinité ne s'abandonnent pas comme on quitte un vêtement, une fois qu'on s'est persuadé qu'elles devaient être abandonnées. La volonté même de s'en débarrasser y ramène. Il n'y a que la vie qui puisse nous dépouiller de ce fantasme, en usant en nous ce qui nous l'a fait confondre avec l'être, En attendant, on continue à parcourir les déserts de l'exil, avec pour seule oasis où se désaltérer le pressentiment, qui nous visite parfois, qu'il suffirait d'un rien pour que, d'un coup, on soit chez soi. Pour que reprenne l'aventure d'exister. La grandeur ou la petitesse de notre vie tient à si peu de chose. Il suffirait d'un pas de côté. Alors, on serait beaucoup mieux qu'heureux, beaucoup mieux que consolé. Mais faire un pas de côté, ce simple geste qui ne serait ni paresse, ni effort, est le plus difficile.
Olivier Rey Itinéraire de l’égarement, du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine, Seuil, 2003
VII- EN ATTENDANT GODOT - LE PAS DE CÔTÉ