Renoncer au mirage de la banlieue pavillonnaire californienne

Publié le par Michel Durand

Remise en cause de la conception romaine de la propriété privée.

Entendu sur France Inter le vendredi 19 mars 2010 à 6 h 50

À quand une économie Velib' ?

Une chronique de Bruce de Galzain


Bruce de Galzain : Velib', Velov' ou encore Vélo Toulouse... c'est le principe de partage d'un bien qui pourrait en effet devenir un modèle économique pour demain. Le concept fait des émules : Autolib' existe déjà à Lyon ; à Paris l'an prochain des voitures électriques seront mises à disposition. Et précisément, ce sont nos aspirations écologiques qui rendent ce concept tout à fait d'actualité. Finis les seuls arguments marketings, l'écologie est une réalité économique et politique on l'a vu aux dernières élections. L'économie de biens partagés prend donc aujourd'hui une tout autre dimension en raison de nos aspirations, mais surtout de nos contraintes écologiques ; un exemple : si l'on voulait que la totalité de l'humanité vive avec le niveau de vie européen, il faudrait trois planètes et l'on en a qu'une jusqu'à nouvel ordre ! Alors l'économie de biens partagés, avenir du capitalisme ?

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Gaël Giraud* : Je crois que si on prend au sérieux la contrainte écologique d’un côté et la facture énergétique de l’autre, il est urgentissime que nous repensions complètement l’organisation de nos villes ;  c’est-à-dire il faut renoncer au mirage de la banlieue pavillonnaire californienne où chacun a un grand pavillon à sa disposition à 500 m du pavillon voisin ; il faut repenser complètement l’organisation de nous villes, repenser le tissu des transports publics et en plus je crois que ce serait le lieu d’une reconversion industrielle très importante pour nous en France.


Question : Vous prônez aujourd’hui une économie de bien partagé, est-ce que ce n’est pas mettre en danger la production industrielle ?

Alors, je crois que c’est le contraire au sens où il faut bien comprendre que l’économie de bien partagé ce n’est pas une économie de service, pur ; souvent il y  a une confusion à ce niveau-là ; par exemple le velib c’est bien un vélo qui a été produit, qui est mis au service d’un certain nombre de gens qui en font usage. Mais il a fallu le produire ce vélo et il a fallu le produire selon des critères qui sont complètement différents des critères qui ont court aujourd’hui dans la production industrielle à savoir ; produire un très grand nombre de biens pour un usage de masse et qui ont une durée de vie la plupart du temps très faible. Là, c’est exactement le contraire, vous en produisez moins, mais il faut que cela soit extrêmement résistant parce qu’il y a beaucoup de gens qui l’utilisent, ça peut durer très longtemps. Cela suppose des investissements de reconversion industrielle donc repenser la forme de la fonction même de l’industrie et là-dessus nous aurions une carte à jouer en  particulier face à la contrainte du dumping salarial des pays du sud.

 

Question : Ce serait presque à remettre aux délocalisations ; on produirait mieux, moins, mais en France.

Exactement notamment je pense que la facture énergétique va nous obliger à repenser la question de la délocalisation. Le chantage à la délocalisation va devoir cesser d’ici une quinzaine d’années. Et, à ce moment-là nous allons devoir produire nous-mêmes une très grande partie des biens qu’actuellement nous importons et le concept de bien partagé à ce moment-là pourrait être u ne espèce de moyens fédérateurs si vous voulez pour réorganiser notre tissu industriel pour produire précisément les biens nous avons besoin, mais en produire moins à usage de tous et de manière partagée.


Question : Est-ce que dans ce concept d’économie des biens partagés la propriété n’est pas remise en cause avec cette nouvelle forme d’économie. Est-ce que c’est réaliste de remettre en cause la propriété aujourd’hui ?

Alors de fait, les biens partagés, cela suppose disons une conversion du rapport que j’ai par rapport à la propriété. Pour parler dans les termes du droit romain, la propriété avait trois composantes : c’était l’usus, le droit d’user du bien ; l’abusus, j’ai le droit, par exemple de l’abîmer, de le détruire et le fructus, j’ai le droit d’en tirer un profit, par exemple de le revendre.

Dans une économie de bien partagé, le vélib, vous avez le droit de l’utiliser, c’est l’usus ; mais vous n’avez pas le droit de le détruire en principe et vous n’avez pas le droit de le revendre. Donc, vous renoncez aux deux autres piliers qui constituaient dans le droit romain la propriété privée. Cela ne veut pas dire que l’on entrerait dans une économie de type soviétique. Une copropriété qui investit dans un ascenseur, ce n’est pas du soviétisme coréen. Mais cela veut repenser ensemble, collectivement les rapports que nous avons aux biens et comprendre que je n’ai pas besoin d’être le propriétaire au sens triple romain d’un vélo pour faire du vélo le dimanche.

 

Bruce de Galzain : Au-delà de ce concept, Gaël Giraud a dirigé l'an dernier un ouvrage avec Cécile Renouard "20 propositions pour réformer le capitalisme" chez Flammarion. Les auteurs préconisent de contraindre les entreprises à respecter des obligations éthiques, ils appellent à une valorisation du salariat pour redonner sens à l'entreprise et ils proposent un capitalisme vert, équitable et pluraliste... un nouvel ordre mondial tout de même !

 

*Gaël Giraud est jésuite, chercheur au CNRS, membre de l'École d'Économie de Paris. Il a dirigé avec Cécile Renouard "20 propositions pour réformer le capitalisme" chez Flammarion.

 

 

 

 

 

Publié dans Politique

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