Surtout, ne pensons pas que les artistes soient tous en bon terme avec l’Église
J’ai envoyé grâce à la collaboration d’amis artistes et de galeristes plus de 4000 courriels pour informer sur la prochaine biennale : Fragilité, en 2013.
J’ai reçu beaucoup de réponses très sympathiques. Les échanges que nous avons eus par téléphone ou par courriel m’ont donné le désir d’une rencontre nationale sur ce sujet : le sacré et le spirituel contemporain dans l’Église du Christ. C’est, du reste, le thème d’un colloque que nous tiendrons à Lyon, fin novembre 2012, et dont je vous parlerais bientôt.
Parmi les quelques courriels peu favorables, je vous communique celui-ci, car il me semble symbolique du rapport de plasticiens œuvrant dans l’art contemporain qu’il m’arrive de qualifier d’académique. Un très beau témoignage du regard que bon nombre de personnes ont sur l’Église. Je remercie cette personne qui nous aide à réfléchir.
œuvres de Nina Urlichs, BASA 2011, église Saint-Polycarpe à Lyon
Bonjour Monsieur Durand,
La conservatrice du Musée M. à NN… où j'ai fait cet hiver une belle exposition et réalisé une œuvre monumentale pérenne pour l'entrée de son musée, connaissant bien mon oeuvre m'a fait parvenir votre appel à candidatures pour votre biennale 2013.
J'ai lu avec attention vos documents et malgré la nature de mon travail qui entrerait parfaitement en résonance avec les critères d'un art sacré, je ne déposerai pas de dossier et je voudrais vous expliquer pourquoi.
Il me semble que mes raisons pourraient vous intéresser si vous souhaitez vraiment que l'Église retrouve un lien réel avec le meilleur de l'art d'aujourd'hui et ne se cantonne pas dans des opérations inoffensives et invisibles de seconde zone (je parle des opérations qui relèvent de la culture contemporaine).
Je ne suis pas en général très douée pour la diplomatie et vous prie de m'excuser par avance si mes paroles venaient à vous heurter.
Au temps du Christianisme fort, l'église a toujours choisi les meilleurs artistes. Ce sont eux, même s'ils n'étaient pas forcement de gentils chrétiens, qui ont porté haut le message du Christianisme et la puissance de l'Église.
Dans les années 50, le Père Couturier a essayé de ramener son Église vers de grands artistes (qu'il fût long et terrible le chemin de Matisse pour réaliser la chapelle de Vence !) ; mais, à part quelques réalisations au forceps de mobilier sacré ou de vitraux contemporains dans les années Lang, un bout de monastère de Renzo Piano dans le Jura, l'église préfère toujours, par rancune pour l'Etat qui lui a ôté pas mal de pouvoir à la Révolution et qui a instauré au début du XXéme siècle la laïcité, par ignorance de l'art de son temps sans doute et l'absence de culture contemporaine de ses prêtres, par faiblesse financière aussi, confondre l'art et les bonnes oeuvres.
C'est en plus aux artistes qui déjà ne gagnent pas correctement leur vie en général, que vous proposez comme un privilège d'offrir leurs œuvres ou en cas d'exposition de payer en plus du transport et des assurances, 80 euros à votre association.
Qui de sérieux voulez-vous attirer dans votre biennale ?
Quel artiste normal et respecté paie pour exposer ?
Il a déjà et devra payer tant de choses !
Et puis, si l'on veut exposer des artistes d'aujourd'hui entretenant une oeuvre forte avec le sacré, il faut des jurys compétents, des critères de sélection qui soient étayés par une connaissance historique de l'art et de ses mouvements suffisamment sérieux pour éviter tout amateurisme aimable et niaisement illustratif.
On verse sinon dans le salon de province, affadi un peu plus encore par "les bons sentiments" qui se croient de mise en pareille occasion.
Ce que j'ai pu voir sur votre site et sur les différentes années des biennales passées me donne malheureusement la preuve de ce que je vous écris.
Cet été, j'ai accepté naïvement, avant de voir les œuvres des autres artistes choisis par la même association Culture et Foi qui m'a sollicitée, d'exposer dans une des très belles chapelles d'Anjou. J'en ai quelques regrets après en avoir pris connaissance.
Ce n'est pas de l'orgueil qui me fait parler, Mr Durand, croyez-moi, mais le " froid mépris" du "milieu" qui rejaillit instantanément sur l'artiste qui s'est fourvoyé dans une médiocre exposition et qui le lui fera payer au prix fort.
L'Église possède des lieux fabuleux, elle pourrait montrer des œuvres sacrées de grande force, qui existent, que le Milieu branchouillé de l'art ne veut pas considérer, mais qu'elle ne sait pas voir non plus !
Mr Durand, il me semble me souvenir, au temps où le père Ch. officiait à C. et St M. entre autres, vous avoir rencontré (accompagnée de C…..) pour le projet initié par F. Ch. de re-création de l'église de St M…. Est-ce bien vous ?*
Ce projet sur lequel j'ai travaillé 2 ans, qui avait trouvé un maître d'ouvrage délégué des plus compétents pour trouver les financements nécessaires à sa réalisation, s'est effondré, à la nomination du Père Ch. sur d'autres paroisses, sous les coups des paroissiens les plus vieux et les plus aigres et la frayeur du nouveau jeune curé sans expérience face à la guéguerre des vieux contre les jeunes qui soutenaient le projet.
Je garde de cet abandon une certaine tristesse d'avoir dû, à la fois, enterrer un beau projet d'église d'aujourd'hui et d'avoir mesuré le peu de souci du diocèse de Lyon à le soutenir.
Veuillez m'excuser de ma franchise si vous la trouvez déplacée...
*Je ne pense pas que cela moi ; mais je peux oublier.