une jolie place dans le bêtisier du développement durable

Publié le par Michel Durand

Une invitation à lire "La Décroissance", journal de la joie de vivre. Témoignage.

Rémi Laporte vient de m'envoyer une photo et un article qu'il a rédigé à l'attention du mensuel "La décroissance".

C'est la "photo d'une publicité du Lepaclerc, qui mérite une jolie place dans le bêtisier du développement durable."

"Cette affiche publicitaire de Leclerc qui annonce "le carburant à prix coûtant",  explique Rémi Laporte,  invite à en "profiter", tout en rappelant, au bas de cette même affiche, que "l'énergie est notre avenir" et qu'il faut donc "l'économiser". Le refus du fétiche "Croissance" est donc également le refus du cynisme que ce dernier implique.


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Voici son texte  :

 

J’ai soufflé il y a quelques semaines ma première bougie marquant ma naissance à la décroissance.

Août 2009 : je me promène dans les rues de Strasbourg, mon regard tombe sur « La Décroissance ». Je ne connais pas ce journal et sa Une m’interpelle : « Ils ont vendu l’écologie » annonce-t-elle. Je l’achète.

Je n’ai pas lu un article en entier que son contenu, déjà, me convainc.

Très vite, je cerne la différence fondamentale qui distingue votre journal de la presse que nous connaissons tous : « La Décroissance » s’attarde moins sur l’anecdotique que sur le systémique, elle ne suit pas, impuissante et passive, le flot d’informations qui se crée à longueur de journée, depuis lequel il est impossible d’en rien comprendre parce qu’on n’a ni le temps, ni le recul suffisants pour le faire. Au contraire, « La Décroissance » prend le temps de ralentir, le temps nécessaire à toute réflexion. Réfléchir, c’est freiner pour un instant le réel.

Je lis « La Décroissance » et j’ai l’impression exaltante de me cultiver, de penser le monde qui m’entoure. Le journal avance des arguments, riches et de bonne foi et ce dernier point est essentiel : que l’on aime ou pas, ce journal a le mérite d’interroger des sujets que, sans ça, nous n’aurions même pas eu l’idée de discuter. Je me souviens encore de cette interrogation d’un des premiers débats que j’avais pu lire. « Faut-il arrêter la recherche scientifique ? » écriviez-vous. Question pour le moins incongrue, explosive, cocasse, pour qui ne s’est jamais intéressé de près à ce sujet. De nouveau, sans avoir besoin de partager le point de vue des intervenants, on doit reconnaître la qualité et la rigueur de leurs exposés, on goûte leur finesse, comme leur profondeur de champ.

Voilà pourquoi, depuis un an que j’achète votre journal, je n’ai jamais manqué un encart, un paragraphe ni même une ligne. Mieux, avec la vigueur que l’on connaît aux néo-convertis, je me suis mis à parler tout autour de moi de ce journal qui m’avait si soudainement bouleversé.

« Bouleversé », le terme n’est en rien abusif. Sûrement avez-vous conscience de la puissance de ces idées que vous partagez, de ces valeurs, du chamboulement que leur découverte peut provoquer chez vos lecteurs. On le lit fréquemment dans les témoignages de simplicité volontaire : cette révolution est complexe à gérer, notamment vis-à-vis de l’entourage.

Le terme de « converti », que j’emploie ici, touche habituellement au religieux mais s’applique dans ce cadre aussi bien à la philosophie. D’après moi, la décroissance a tout d’une philosophie, dans la mesure où elle est une réponse à la question centrale du sens de la vie et de la manière la plus belle et la plus intègre de s’approprier celle-ci. Cette réflexion, qui touche de très près l’intime, est selon moi une des particularités fondamentales de votre journal et de l’objection de croissance en général, qui explique en partie que cette idée subversive, car parfaitement neuve et inhabituelle pour la plupart des gens, soit si complexe à transmettre : il n’est pas question d’une simple pensée politique comme on peut en entendre de nos jours (c’est-à-dire, le plus souvent, une pensée « en aval », qui tente de gérer [et cela reste louable], une situation établie), mais d’une pensée politique au sens premier et plus noble du terme : celle qui cherche à donner du sens à notre présence, pour comprendre ensuite comment nous pouvons vivre ensemble (et non pas « regarder ensemble », « passer ensemble »), dans le respect de l’être humain.

Ici réside toute la difficulté d’une inscription forte du mouvement de la décroissance dans le paysage politique : là où les valeurs n’infusent plus le discours politique que pour le rythmer de slogans qui les vident, l’arrivée d’une force qui tient à redonner leur sens et leur puissance aux mots constitue un électrochoc. Le poids des mots va de pair avec la mémoire et le refus de l’oubli, d’où les rappels systématiques et essentiels, du type : « Le Figaro, journal du marchand d’armes », « Yann Arthus-Bertrand, ex-photographe du Paris-Dakar », etc.) En ce sens, le poids des mots est aussi celui de la mémoire. Il est connu que les dictatures, les pouvoirs populistes, commencent par vider les mots de leur sens avec pour objectif de réduire le langage à un simple outil. (On se souvient, et c’est encore flagrant aujourd’hui, à quel point la campagne de Nicolas Sarkozy avait été symptomatique à ce sujet). Schématiser pour séduire, réduire pour maîtriser puis jouer des confusions. Plus le sens des mots est flou et plus il devient aisé de (les) manipuler.

Pour revenir à l’impact qu’un tel journal peut produire, je puiserai deux exemples dans ma propre expérience : j’avais, l’an passé, mûri le projet de devenir professeur documentaliste. Des envies fortes comme celle de la transmission du savoir, de la curiosité et de l’esprit critique, avaient pu me conduire vers ce choix. J’avais déjà eu quelques expériences dans le domaine quand j’ai lu avec grand intérêt votre article sur les dangers de l’école numérique. Ma réaction fut presque immédiate et irréversible : je ne participerai pas à cette école. Plus tard, votre passionnant dossier sur la « semaine sans écran » a eu en moi un écho aussi fort. Je suis, par éducation, peu attaché aux écrans (mais dire cela, n’est-ce pas aussi vain et vaniteux que de prétendre [comme beaucoup] que la publicité n’a pas d’impact sur moi ?). Depuis quelques années, je prends plaisir, en revenant du sport, à m’installer devant la télévision, pour, le plus souvent, regarder des débats, le temps de manger. J’avais lu votre dossier, quand un soir, de retour du badminton, je me suis interdit d’allumer l’écran. Je suis resté dans la cuisine. J’ai mangé et lu. Ce fut un plaisir ! Aujourd’hui, la dimension de l’effort a disparu.

Sur cette question des initiatives individuelles comme sur celles de l’effort de réduction de « l’empreinte écologique », il s’agit à tout prix de rester lucide. Si l’on veut (et il le faut) s’écarter de l’obsession de l’empreinte écologique individuelle (qui, exacerbée, reviendrait à clamer le propos malthusien « le meilleur décroissant est un décroissant mort »), il faut avant tout lutter contre les pollutions à grande échelle, soit : les pollutions d’origine industrielle. Cette obsession de l’empreinte, orchestrée par la droite et les écolos radioactifs pour faire dispersion quant aux refus des grandes entreprises de s’attaquer à ce problème, est à l’origine d’un récent rejet de l’écologie par une partie de la population, un rejet de cette écologie qui ne serait là que pour « nous gâcher la vie ».

Revenons à la notion d’effort. Si j’ai pu laisser éteinte la télévision ce fameux soir, c’est évidemment parce que je le désirais mais aussi parce que j’avais déjà parcouru du chemin sur la route de la décroissance. À mes yeux, cette idée de cheminement est fondamentale : on accède à la décroissance, comme à tout système de valeurs, par une progression intellectuelle. Ce processus que nous, lecteurs, avons réalisé chacun à notre manière, il s’agit de le respecter et de concevoir que nos amis, voisins, bref, que les autres ne sont pas forcément au même point que nous. On ne jette pas comme de rien frigidaire, micro-ondes, télévision, portable, carte bleue (d’ailleurs, je ne les ai pas encore jetés). L’autre est plus avancé que nous sur d’autres domaines de réflexion. Comme il s’efforce de respecter ma personnalité, je me dois d’agir de même avec lui sur la question de la décroissance.

À ce sujet, je veux attirer l’attention sur un autre point qui me semble essentiel. Veillons à ce que le plaisir d’avoir découvert une voie enthousiasmante ne nous conduise pas ou ne serve pas à camoufler une misanthropie bien discrète. Je suis fréquemment mal à l’aise à la lecture des courriers, qui laissent transparaître une certaine méfiance ou condescendance à l’égard de nos contemporains « qui n’auraient pas encore compris ».

Pour éviter ce type de dérives, il convient de savoir étudier et appréhender avec finesse notre propre parcours, cerner les raisons qui nous ont conduits, un jour, à nous intéresser aux thèses de la décroissance pour finalement les défendre avec tant de vigueur. Cette introspection, par ailleurs, est tout aussi salutaire lorsqu’il s’agit de comprendre d’autres « passions » qui s’inscrivent autour d’un système de valeurs (qu’il soit religieux, philosophique, politique). En ce qui me concerne, plusieurs éléments peuvent expliquer qu’un jour, au cours d’une promenade, je me suis arrêté pour acheter votre journal et par exemple : l’intérêt pour l’autre, notamment celui qui est plus faible que moi, qu’on m’a appris tout petit et une enfance organisée autour d’une logique de privation et d’une vie simple. Ceci pour dire que j’ai peut-être eu moins de chemin à parcourir qu’une autre personne avant d’en arriver aux thèses de la décroissance. Faisons l’effort d’estimer la démarche de l’autre pour mieux la respecter.

Surtout, gardons à l’esprit le sous-titre de votre journal : si la décroissance se veut être un système de valeurs, c’est avant tout celui de « la joie de vivre ». La joie et le bonheur de sentir que nous pouvons créer, ensemble, une société à l’écoute de l’autre. « La joie de vivre », c’est aussi, savoir lire dans l’autre ce qui s’y trouve de bon. Au-delà du courrier des lecteurs, pourquoi ne pas essayer de mettre plus en avant ceux qui vont dans le bon sens, des initiatives positives ? C’est également de cette façon que nous pourrons couper court aux critiques de ceux qui disent voir dans la décroissance un programme triste et marginal.

Car il n’est pas marginal ! J’ai déjà pu l’écrire : depuis que j’ai découvert votre titre, je n’ai de cesse d’en discuter, de débattre des valeurs qu’il défend, d’en témoigner par ma façon de vivre ces mêmes valeurs. Un certain nombre de mes proches et de mes connaissances se disent touchées par ces idées et parmi eux, des personnes expliquent même vivre déjà la décroissance en visant ces objectifs que sont le ralentissement, la relocalisation des activités et de la vie quotidienne, la simplicité volontaire.

La décroissance, c’est aussi cela : parler de ces valeurs, croire que la parole a encore du poids et qu’elle peut contribuer lentement mais notablement, à l’échelle humaine, à la progression de notre société. Comme l’écrivent avec justesse Denis BAYON, Fabrice FLIPO et François SCHNEIDER dans l’introduction de leur livre La décroissance, 10 questions pour comprendre et en débattre (p.18). « la décroissance est un chemin modeste, loin des avant-gardes triomphantes. »

Depuis longtemps, presque depuis le jour où j’ai acheté le journal pour la première fois, je pense à m’abonner mais, toujours, je repousse cet instant : je ne parviens pas à me délivrer du plaisir que me procure ma visite mensuelle au kiosque. N’est-ce pas d’ailleurs encore cela, la décroissance ? Faire vivre le commerce de proximité, tisser du lien, profiter des petites choses ? Ainsi, le choix de ne pas m’abonner est et restera la marque paradoxale de ma fidélité à votre titre : je continuerai de vous suivre chaque mois, en faisant vivre, par cette même régularité, les valeurs que nous défendons.

 

Rémi Laporte


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