Vie d’ici et d’ailleurs : Johnson

Publié le par Michel Durand

Johnson, « sans papier » à Grenobleghana.jpg

Voici un autre entretien que j’avais eu avec un jeune homme vivant à Grenoble :

 

 Johnson, pouvez-vous me parler de vous ?

- Je suis, comme vous dites ici un « sans papiers », de 36 ans, de nationalité Ghanéenne et je vis à Grenoble depuis 5 ans.

Vous devez maintenant bien connaître la ville et sa région. y a-t-il des évènements ou des envies qui vous ont motivé à quitter votre pays ?

- C’est évident ! De l’Europe, je n’avais vu à la télé, que de belles choses : voitures, immeubles, la vie, le paysage… On parlait de beaucoup d’argent qui, d’ailleurs, a une valeur plus élevée que la nôtre. À ça, venait s’ajouter le fait que certains de mes compatriotes vivants là-bas menaient la grande vie au pays pendant leurs vacances. Pourtant, je n’étais vraiment pas charmé.

L’envie d’aller en Europe m’étreignit lorsque des inconnus se présentèrent à moi dans un petit marché de la capitale (Accra) où je vendais des légumes depuis peu. J’effectuais ce même commerce depuis longtemps dans la ville voisine. Ces hommes me parlèrent de l’Europe, de la belle vie qu’on mène là-bas, de l’argent qu’on gagne sans rien faire… Ils me promirent qu’eux seuls pouvaient vraiment m’y emmener si je leur donnais 2300 euros. Sur le champ, je trouvais cette somme insignifiante par rapport à ce que j’aurai sans même travailler. Enthousiaste, je leur donnai rendez-vous dans deux mois, le temps de trouver l’argent. Pendant ce temps, je fus importuné par d’autres personnes qui me proposaient le même projet. Je me suis dit à ce moment-là que quitter le pays est un gage certain de meilleur avenir, plus que mon commerce qui pourtant nous faisait vivre décemment ma famille et moi.

 

Je vois. Des gens que vous ne connaissez pas se présentent à vous et vous leur faites confiance de la sorte sans vous poser de questions ?

- J’avais entendu dire assez de merveilles de cet Eldorado ; des gens venaient m’informer que je pouvais avoir confiance tantôt à l’un, tantôt à l’autre groupe. Ils étaient sérieux, car tous ceux qu’ils emmenaient arrivaient à bon port sans difficulté. J’étais donc confiant, alors je suis parti avec ces hommes qui s’avéraient être des passeurs.

À chaque étape, jusqu’à Ceuta, frontière entre le Maroc et l’Espagne (territoire européen en terre africaine) ils étaient différents de ceux du point du premier rassemblement à Accra.

Dans le car, nous étions assis les uns sur les autres. Je ne m’étais pas encore posé de questions, mais j’eus un déclic par le fait que, en cour de route, on jeta mes bagages en me disant qu’ils occupaient  des places alors que nous étions tous assis les uns sur les autres. Au niveau de la frontière entre le Mali et l’Algérie, je me rendis compte que le danger était partout depuis le début du voyage. Malgré mon inquiétude, je leur donnai de l’argent à chaque étape du voyage.

De quelle inquiétude me parlez-vous ? Votre peur ne semblait si grande puisque vous continuez le chemin !

- Mais si, je souffrais sans m’en rendre compte ! C’était tout pareil autour de moi. Nous avions du mal à respirer ; nous étouffions dans le véhicule, la chaleur nous vidait l’eau de nos corps. N’oublions pas – je ne sais si je vous l’ai dit - mais nous sommes en juin. Il fait très chaud dans le désert. Le car étant en très mauvais état, les vitres et le pare-brise n’existaient pas, aucune climatisation n’était pensable.

Je n’oublierai jamais qu’il y a eu deux morts parmi ceux qui étaient assis presque sur les roues.

Lorsque l’engin patinait nous sortions pour le pousser et là encore, il y eut un mort, écrasé. Ma peur minimale fut lorsqu’il fallut me procurer un passeport Malien qui devait me permettre de franchir la frontière Mali-Algérie. Vous savez sans doute que les Maliens n’ont pas besoin de visa pour aller en Algérie. C’est ce qui fait qu’il faille absolument ce passeport. Au fur et à mesure que nous avancions, le terrain était en mauvais état ; le désert se faisait davantage ressentir ; le danger et mon inquiétude augmentaient ; les passeurs me demandaient beaucoup plus d’argent que prévu ; ma souffrance grandissait. À Tamanrasset (Algérie), nous n’étions plus qu’au nombre de vingt-six.

J’admire, si cela est possible, votre détermination. Comment vous y êtes-vous préparé ?

- Une préparation ? Je ne pensais qu’à l’argent à donner aux passeurs. Je m’imaginais que le voyage se passerait comme si je quittais une ville pour une autre.

C’était au départ. Mais, en cours de route, je fermais les yeux en face de tous les dangers. Je répétais en moi : « je serai bientôt arrivé », alors, la force qui me manquait, remplissait mon corps. Je trouvais que faire demi-tour ou faiblir ne me permettrait pas d’arriver à bon port.

 

à suivre...


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