Pour être lieu de débat, l’Église catholique ne doit témoigner d’aucune faiblesse face à tous types de groupes et aussi vivre de miséricorde
Philippe Clanché, de Témoignage Chrétien, a publié cet article dans la lettre 3579 du 20 ars 2014. Je m’arrête, pour un éventuel débat, sur le mot intransigeant. Comment et quand faut-il être intransigeant ? L’Eglise ne serait-elle pas plus crédible si elle manifestait une réelle intransigeance face aux élans économistes ? Mais comment concilier intransigeance et miséricorde ?
Bref, un débat que j’aimerai bien suivre. En cédant aux réseaux intransigeants qui récusaient une philosophie sollicitée pour une formation nationale, les évêques français montrent leur fragilité face aux ennemis de tut dialogue.
Les catholiques français peuvent-ils encore entendre des personnes qui ne pensent pas forcément comme eux ? On pourrait en douter, devant la mésaventure survenue dernièrement à Fabienne Brugère, professeure de philosophie à l’université de Bordeaux. Cette habituée des colonnes de la presse catholique devait intervenir le 19 mars lors d’une session de formation des délégués diocésains de la Pastorale familiale, pour évoquer « la dimension sociale du soin de l’autre ».
Le Salon beige, blog animé par des catholique d’extrême droite, a crié au scandale, qualifiant Mme Brugère de sympathisante de la « théorie du genre » et de défenseure du droit à l’IVG. La philosophe a dirigé un ouvrage sur Judith Butler, théoricienne des études de genre, et n’a jamais caché ses sympathies de gauche. « Les responsables du service “Famille et société” de l’épiscopat qui m’ont sollicitée connaissent parfaitement mes travaux et mes positions sur le “mariage pour tous”, qui sont d’ailleurs celles d’une majorité de Français, affirme l’intéressée, jointe par TC. Cette invitation portait sur un thème fondamental pour l’Église : “Le prendre soin des autres”. Sur ce thème, il est important que celle-ci discute avec des philosophes. »
Une pétition lancée par le Salon beige demandant au patron des évêques son retrait du programme a été signée par un millier de personnes. Mgr Jean-Luc Brunin, président du comité épiscopal « Famille et société », a finalement décidé de retirer la « sulfureuse » Mme Brugère de l’affiche.
« J’en ai été avertie par un courrier de Mgr Brunin et un appel de Mme Baujard [directrice du service, ndlr], avant que l’affaire ne devienne publique, précise-t-elle. Je suis triste de cette décision, mais c’est celle de l’épiscopat. » Dans La Croix du 14 mars, Mgr Brunin parle d’une « décision dictée par la sagesse. Les conditions du dialogue ne sont pas réunies, comme l’ont montré les tensions et les remous qui ont entouré cette venue ».
Difficile communion
Cette histoire inquiétante en rappelle une autre. En mai 2013, Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), était invité par le diocèse de Lille. Des animateurs de la « Manif pour tous », qui ne pardonnaient pas au CESE d’avoir refusé de se saisir de leur pétition opposée à la loi Taubira, ont menacé de perturber la rencontre. L’archevêque de Lille, Mgr Ulrich, avait alors annulé l’intervention, parlant d'« absence de sérénité ».
Qu’une frange du catholicisme soit capable de mobiliser les foules contre un projet de loi, nous le savions. L’épiscopat jurait alors qu’il n’orchestrait en rien ce qui demeurait un mouvement de laïcs. Comment justifier aujourd’hui que cette même coterie fasse la pluie et le beau temps sur la manière dont l’Église de France travaille et forme ses cadres ? Les arguments de l’épiscopat dans l’affaire de Mme Brugère ne sont guère convaincants. Dans le même article de La Croix, Mgr Brunin se justifie : « Maintenir l’intervention aurait abouti à une crispation, qui aurait menacé la communion ecclésiale. » Céder aux plus intransigeants, à ceux qui ne veulent entendre qu’une seule voix, au détriment des partisans de l’échange avec des pensées différentes ne représenterait donc pas une menace pour la communion ? Celle-ci a beaucoup souffert depuis dix-huit mois, à travers des engagements loin de faire l’unanimité.
« L’épiscopat a perdu ici une belle occasion de manifester qu’envers et contre tout l’Église est conversation. Dialoguer avec les représentants de la pensée contemporaine fait partie de sa nature et de sa mission », écrit courageusement Dominique Greiner dans l’éditorial du quotidien catholique du 14 mars. L’Église catholique de France, qui doit agir au service de toute la communauté, se discrédite en cédant à un diktat d’une de ses franges. Celle-ci, notoirement hostile à la démocratie, reste en quête de revanche après l’avènement du pape François et l’élection du modéré Georges Pontier à la tête de l’épiscopat. Pour demeurer un lieu de débat au sein de la société, l’Église catholique ne doit témoigner d’aucune faiblesse face aux groupes d’ultras, en quête d’OPA sur une communauté diverse.
La question devrait être au menu de la prochaine assemblée des évêques en avril à Pâques. On les sait très divisés. Pourront-ils encore se parler ?
Voir sur le site de TC, les commentaires.
et aussi : Bordeaux : La philosophe Fabienne Brugère mise à l’index