Plus qu’admirer Jésus-Christ, il faut le revêtir ; se nourrir de sa vérité, se mettre par la pratique quotidienne d’actes justes à sa suite
Me voilà de retour à Lyon après un trop court temps dans la palmeraie de Skoura. Plusieurs textes, que je vais maintenant déposés sur ce blog En manque d’Eglise, furent rédigés dans le calme de l’oasis. Ainsi celui de ce jour. Plus tard je dirais quelques mots sur mon annuel temps, désormais rituel, de « retirement ». Une préparation au retirement définitif.
Je me suis lancé dans la lecture de l’étude de Pierre-Yves Materne, La condition du disciple, avec un plaisir immense. Grâce à son travail, je retrouve, comme en résumé avec commentaire, les essentiels développements théologiques d’auteurs que j’ai toujours préférés.
Je ne sais si je l’ai lu ou si je l’ai entendu durant mes études, je sais que je l’ai souvent répété, notamment aux artistes plasticiens : depuis sa naissance l’homme ne rencontre qu’un seul sillon à creuser et il le creuse inlassablement tout au long de sa vie.
Le sillon que je creuse est celui de l’engagement du chrétien dans le monde. Orientation qui se précisa dès le moment où je fus engagé dans mon mémoire de fin d’étude théologique liée au séminaire : Développement, sacrement de salut. A cette époque, nous étions dans l’optimisme d’un progrès économique porté par les dites Trente glorieuses. Le concile Vatican II transportait vers l’optimisme la majorité de l’Eglise. Populorum progressio apportait des idées et des convictions partagées par le grand nombre.
Mais cet élan poussant vers une société plus juste et plus vraie s’estompa. La CFDT (syndicat) écrivit Les dégâts du progrès.
Suivant des études d’économie politique à l’Université catholique de Lyon à la fin des années 70, j’ai constaté que l’on ne pouvait que mettre en doute les affirmations des économistes. En effet, l’Occident ne partage pas équitablement ses productions ; le commerce mondial se maintient dans un système injuste et il est inhumain de continuer à l’entretenir. Le développement, dans ces conditions est tellement néfaste qu’il ne peut être signe, sacrement, outil de bonheur, de salut. Tant que les hommes confondront bonheur et salle de bain à l’américaine, le travail de l’homme ne pourra ouvrir la porte du Royaume. Pas plus que le développement économique, le travail se saurait être Sacrement au sens fort de sacramentum (mysterion). Je précise : le concept de développement, sacrement de salut, je l’employais en clin d’œil à Eglise, sacrement de salut. A cause du libéralisme et de son idée du capital, ce parallélisme n’est pas possible, en fait, ne l’a jamais été.
Et voilà que je recreuse le sillon. Début des années 80, je rédige une étude sur l’illusion du travail avec ce titre : Faut-il encore travailler ? Eléments pour une réflexion théologique sur le travail et le repos, Institut catholique de Lyon, 1982.
C’était l’époque de la désillusion face au progrès technique avec une forte remise en cause de la valeur travail : Travailler deux heures par jour était proposé comme suffisant et indispensable pour vivre mondialement en toute justice. Illitch, Ellul, Gorze, les communautés post-68….
Tout ce courant fut vite balayé par la montée du capitalisme qui, pour montrer clairement la nouveauté en train de s’installer, se présenta désormais sous le nom de néocapitalisme.
A début des années 2000, les interrogations portant sur le sens –le non sens- du progrès technique se réveillèrent et les ouvrages publiés il y a 20 ans retrouvèrent le chemin des ateliers d’imprimerie. Encore aujourd’hui, que de rééditions de livres interrogeant radicalement l’idéologie productiviste ! Bien que difficilement acceptée, l’idée, plutôt la réalité de croissance zéro, de décroissance, continue sa route.
Tel est le sillon que je continue à creuser.
Pour cette tâche, un vrai labeur avec parfois toute sa pénibilité, afin de recevoir l’éclairage de la Révélation du Christ, j’ouvre les thèses des théologiens contemporains. Il se trouve que les auteurs rencontrés au fil des pages sont toujours les mêmes. Kierkegaard , Bonhoeffer, Moltman, Rahner, Metz.
Un jour, un ami me conseilla de lire Urs van Balthasar, ce que je fis en particulier avec La gloire et la croix, lecture qui me fut d’un grand secours notamment dans mes dialogues avec les plasticiens. Toutefois, même si je reçu et reçois encore de beaux bénéfices de ce théologien, je me sens plus en phase avec la lignée de la revue Concilium qu’avec celle de Communio, revue théologique venue contrecarrer la précédente, hélas défunte.
Pierre-Yves Materne se place dans le sillon de la théologie politique de Jean-Baptiste Metz qui « plaide pour une théologie tournée vers le monde, dans un but de critique sociale ». Metz dit « comprendre d’abord la théologie politique comme un correctif critique contre la tendance à la “privatisation” à outrance qu’on trouve dans la théologie récente… (Elle est) essais de formulation du message eschatologique dans les conditions de notre société actuelle » (P.Y. Materne, La condition de disciple, p. 22).
Enfin, pour terminer la présentation de ce qui m’a réjouis (voir ce que j’écrivais au moment de la découverte de cet ouvrage, chez le libraire), il me faut dire que l’attention au monde contemporain n’est rien d’autre qu’une fidélité au Christ dont tout baptisé, y compris le prêtre, est le disciple. En effet, le chrétien, celui qui porte le nom du rattachement à Jésus-Christ, n’est pas un obéissant à des lois, mais un suiveur, un disciple.
Dans toutes mes études en théologie j’ai longuement médité sur la sequella Christi ; être dans la suite du Christ Jésus. Antoine Chevrier, fondateur du Prado, que j’ai d’abord rencontré dans des livres avant de connaître des pradosiens, Antoine, le prêtre des bas-fonds de la Guillotière avec son désir de former des prêtres qui soient de véritables disciples de Jésus-Christ y ait pour quelque chose dans cette orientation qui fut mienne assurément depuis la fin des études secondaires.
C’est là que la lecture du livre de Pierre-Yves Materne me comble de bonheur quand je lis ce qu’il écrit, par exemple : « Il ne suffit pas d’admirer Jésus pour être à sa suite, encore faut-il le revêtir (Rm 13,14), étant donné qu’on ne peut le connaître qu’en le suivant concrètement. En tant qu’il est non seulement la vérité et la vie mais également le chemin, Jésus appelle ses disciples à le suivre. “La christologie n’est pas seulement un enseignement sur la suite de Jésus, elle se nourrit, au prix de sa vérité propre, de cette suite pratique. Elle exprime par essence un savoir pratique” ».
Cette théologie politique est, me semble-t-il, celle qu’objecteurs de croissance nous avons besoin pour que l’Eglise s’engage dans le monde avec plus de vérité, de justice et d’amour. Certes, j’en reparlerai. La « suivance » du Christ est ce qui permet (permettra) au monde d’aujourd’hui de trouver une solution à ses crises systémiques. Il faudra pour cela discerner dans ce que vit le monde actuel les états pouvant collaborer à la mise en place d’une société juste, vraie et fraternelle sans attendre que tous reconnaissent la valeur d’un droit prétendument naturel ou universel s’imposant inéluctablement à tous.